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1929, une crise de sur-investissement ?

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Le Prix Nobel d’économie, ou plutôt Prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel, ça en impose, non ? Alors aujourd’hui on vous propose une explication  hétérodoxe des cycles et crises économiques qui aura valu à son très libéral et inclassable auteur cet honneur en 1974.

 

Un contexte favorable à l’émergence de nouvelles théories économiques 

La crise de 1929 a été le théâtre d’un affrontement idéologique sans précédent dans la sphère économique. Deux courants explicatifs majeurs contemporains de la crise se sont distingués, avec d’un côté l’analyse keynésienne (Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, 1936) interprétant la dépression de l’activité comme le résultat de la faiblesse de la demande anticipée, et plébiscitant l’intervention de l’Etat pour mener une politique contracyclique en soutenant la dépense privée,  et en rehaussant les anticipations des agents. De l’autre, on trouve une explication d’inspiration néoclassique accusant les rigidités, salariales en particulier (Robbins, The Great Depression, 1934). L’économiste autrichien Friedrich von Hayek  (Monetary theory and the trade cycle, 1929) s’est cependant frayé un chemin, et a proposé une explication originale de la crise de 1929, explication qu’il a rapidement suggérée de généraliser à l’ensemble des crises modernes. Cette troisième voie, c’est une explication par l’investissement, et c’est l’occasion de faire un détour du côté de l’un des concepts phares de l’analyse hayékienne : l’effet accordéon, d’après l’expression consacrée par Nicholas Kaldor (Professor Hayek and the Concertina Effect, 1942). 

 

Une nécessaire inspiration de travaux plus anciens

Pour cela, commençons par introduire les deux théories dont Hayek fait la synthèse afin d’élaborer sa propre explication des crises. La première, c’est celle de son compatriote autrichien Eugène Böhm-Bawerk (« Une nouvelle théorie du capital », 1889) qui affirme qu’il existe deux façons de produire un bien, soit le produire directement, soit produire des biens de production permettant ainsi de produire indirectement. De tels biens constituent un « détour de production ». Ces deux méthodes ne sont pas sans conséquences. En effet, avoir recours aux biens de production, c’est se munir de la garantie de produire plus efficacement. Il l’illustre à travers sa métaphore de l’approvisionnement en eau. En prenant l’exemple d’un homme habitant à quelques centaines de mètres d’une source d’eau claire, cet homme peut faire le choix d’aller recueillir de l’eau au creux de ses mains dès qu’il a soif (il produit directement), ou de bâtir en seau voire un aqueduc afin de constituer des réserves lui permettant de ne pas toujours se déplacer à la rivière (il produit indirectement). La seconde théorie, c’est celle de Knut Wicksell (« Interest and Prices », 1898). Ce dernier stipule que deux taux d’intérêt sont à l’œuvre dans la détermination des équilibres économiques. Le premier est le taux d’intérêt monétaire, il résulte des interventions de la banque centrale sur le marché monétaire, il est le prix de la liquidité pour les banques de second rang. Le second est le taux d’intérêt réel neutre, non observable, il correspond au taux qui réalise l’équilibre sur le marché des fonds prêtables, c’est-à-dire, celui qui assure l’équilibre entre l’offre de fonds (l’épargne) et la demande de fonds (l’investissement). 

 

L’apport fondamental d’Hayek

Mais alors, où Hayek intervient-il ? Comment mobilise-t-il ces éléments ? C’est très simple. Dans les années 1920, la politique monétaire américaine est accommodante. A titre d’exemple, on pourra noter que la masse monétaire américaine passe de 45 milliards en 1921 à 73 milliards  de dollars en 1929. Cette augmentation de l’offre de monnaie exerce une pression à la baisse sur le taux d’intérêt monétaire qui vient se fixer en dessous du taux d’intérêt naturel. Le taux d’intérêt pratiqué étant faible, le coût d’opportunité du crédit baisse et les agents sont incités à investir dans des projets non-rentables pour lesquels la demande n’existe pas. Hayek montre alors qu’en envoyant un faux signal de rentabilité aux agents, la chaîne de production s’allonge. La baisse du taux d’intérêt entraîne alors une allocation non-optimale des ressources orientée vers la production de biens d’équipement plutôt que vers les biens finaux. Cette augmentation de l’intensité capitalistique témoigne d’une situation de surinvestissement. Du fait de l’accroissement de l’offre de crédit, la consommation augmente à son tour, stimulant artificiellement une nouvelle fois la demande de biens d’équipement. Lorsque la banque centrale prend conscience de cette situation, elle élève son taux d’intérêt le taux d’intérêt directeur passe de 3,97% à 5,42% en novembre 1929 – l’offre de biens d’équipement devient alors supérieure à la demande, ce faisant, leurs prix baissent. Aussi, la demande se déporte vers les biens de consommation dont les prix augmentent. Or, à cause des choix précédents des agents qui ont décidé de produire des biens de production, on assiste à une pénurie de biens de consommation, dont le prix augmente. Les ménages réduisent leur consommation, et constituent une épargne forcée. Le taux d’intérêt naturel baisse à nouveau. L’écart entre le taux d’intérêt naturel et le taux d’intérêt monétaire se creuse, et les déséquilibres sont amplifiés. Le cycle économique s’est retourné. On saisit alors la portée de la métaphore de Kaldor : à la manière d’un accordéon, la chaîne de production s’allonge et rétrécit au gré des décisions des autorités monétaires. 

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Nicolas Wisniewski
Étudiant à l'ESCP. Passionné par l'économie. Ici pour rendre tout ce que j'ai reçu en deux ans de prépa ECE à H4. Supporter de l'ASSE (si, si, ça a son importance).