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Interview d’Aurélie Perez-Tellier, professeur d’ESH au lycée Clément Marot à Cahors

Sommaire

Rencontre éclairante, avec Aurélie Perez-Tellier, professeur d’ESH à la CPGE du Lycée Clément Marot dans le Lot (46).

 

Bonjour Madame Perez-Tellier, pouvez-vous nous parler de votre parcours ?

Je suis enseignante d’ESH en CPGE au lycée Clément Marot de Cahors depuis la rentrée 2016 après avoir été pendant presque 20 ans professeure de SES certifiée puis agrégée et tutrice de nombreux jeunes collègues, formatrice académique et khôlleuse pendant 13 ans en hypokhâgne et khâgne B/L dans l’académie de Toulouse.

 

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Pourquoi avoir choisi d’être professeur d’ESH en CPGE ?

J’ai toujours eu un goût prononcé pour l’économie et les enjeux dont cette discipline est porteuse. De manière un peu provocatrice, je dis souvent que l’économie, c’est de la vie quotidienne… Par exemple, en période de crise ou d’inflation comme ces derniers temps, nos vies sont réellement affectées.

De plus, le projet cadurcien entrait pleinement dans la poursuite de ma mission républicaine. La possibilité pour chaque enfant d’avoir la position sociale qui correspond à ses capacités est fondamental dans les sociétés modernes. Durkheim ne disait-il pas que « la division du travail ne produit la solidarité » que si rien ne « peut entraver, même indirectement, le libre déploiement de la force sociale que chacun porte en soi” ? Et il précise : “Elle suppose, non seulement que les individus ne sont pas relégués par la force dans des fonctions déterminées, mais encore qu’aucun obstacle, de nature quelconque, ne les empêche d’occuper dans les cadres sociaux la place qui est en rapport avec leurs facultés.” (Durkheim, DTS, 1893)

De même, Adam Smith ne disait-il pas que “La différence entre les hommes adon­nés aux professions les plus opposées, entre un philosophe, par exemple, et un portefaix, semble provenir beaucoup moins de la nature que de l’habitude et de l’éducation.” (Smith, RDN, 1776)

Permettre à chaque élève d’accéder au plus haut de son potentiel intellectuel est une très belle idée, motivante, car elle correspond à la société dans laquelle j’ai envie de vivre, une société dans laquelle chacun doit pouvoir poursuivre ses projets, une société qui développe les “capabilités” individuelles et qui permet à tous d’être des “premiers de cordée” là où s’expriment des souhaits et des possibilités.

 

 

Vous êtes professeur de prépa au Lycée Clément Marot en ESH depuis son ouverture en 2016. Décrivez-nous un peu la prépa dans laquelle vous enseignez et ses particularités.

La CPGE ECG du Lycée Clément Marot s’est ouverte en 2016 sur la base d’un petit effectif (24 places). Cahors est un endroit assez enclavé géographiquement et n’est pas la représentation qu’on se fait d’une ville étudiante. Aussi la CPGE de Cahors est-elle la seule prépa du Lot à destination des bacheliers généraux. L’objectif était de pousser les ambitions des jeunes lotois vers le haut. Il y avait donc matière à défi !

Cependant Cahors est une ville où il fait bon faire ses études. C’est un endroit calme, excentré et donc loin des potentielles sources de distraction, idéal pour faire une prépa pour un étudiant motivé !

Le mot d’ordre était d’avoir un environnement bienveillant et accueillant pour les étudiants, avec une ambiance de travail propice à une proximité forte entre les étudiants et les professeurs permise par le petit effectif avec pour objectif d’amener les étudiants au plus haut de leur potentiel, sans le dépasser pour ne pas les abîmer psychologiquement. Cela se retrouve dans beaucoup de prépas aujourd’hui. De ce point de vue, la prépa est un moteur d’épanouissement intellectuel.

La CPGE du Lycée Clément Marot propose uniquement mathématiques appliquées + ESH. Elle possède aussi un internat, sans restriction de place, car étant un lycée situé en zone rurale, les étudiants viennent souvent d’assez loin et ils apprécient beaucoup le fait d’avoir un hébergement pour un prix très modéré (2500 euros l’année environ, nourris et logés). Il y a aussi la possibilité d’avoir un régime d’interne-externé où l’étudiant prend tous ses repas au lycée (petit-déjeuner, déjeuner et dîner), tout en ayant son propre logement.

 

A quoi ressemble votre quotidien en tant que professeur d’ESH et référent CPGE ?

C’est énormément de travail et d’investissement personnels. Le métier est très prenant, mais j’adore cela.

 

Nous sommes en pleine période Parcoursup, avec des choix à faire pour les étudiants. Pourquoi recommandez-vous la prépa ?

J’ai l’habitude de dire que nous formons les managers de demain qui ont donc vocation à organiser le travail des autres dans un futur proche. Pour cela, il faut acquérir des compétences de communication (celle-ci doit être rigoureuse), d’analyse et de décision. Cela passe par le développement de capacités de réflexion, de travail et de mise en ordre de multiples aspects d’un problème. Avec les bases acquises en CPGE, d’une manière détournée, ces capacités permettent de mieux agir dans un monde changeant où le tissu productif se recompose incessamment : c’est cet aspect que je souligne auprès des étudiants. En effet, même si ce qu’ils apprennent ne leur sert pas directement pour la suite, ce sont des structurations intellectuelles et d’attitude face au travail qui vont se forger. Faire une classe préparatoire aux grandes écoles est un atout pour la vie. Les compétences transversales acquises permettent de s’adapter plus facilement.

 

Avez-vous des conseils pour des lycéens intéressés par la CPGE ECG ?

Pour réussir sa prépa, c’est-à-dire pour permettre à son propre potentiel d’atteindre son maximum, je pense qu’un lycéen a intérêt à commencer à développer ses capacités à apprendre par cœur : ce n’est pas du tout dans l’air du temps, mais c’est quelque chose qui va donner de la facilité. Il y a un « gros ticket d’entrée », car c’est très difficile au départ, quand on ne l’a jamais fait ou quand on n’a pas de facilité de ce point de vue. Cela nécessite de l’entraînement, d’où la nécessité de commencer le plus tôt possible. En effet, quand on veut être un manager efficace, il faut être capable de lire et digérer beaucoup d’informations rapidement, pour être opérationnel tout aussi rapidement. Donc, il est nécessaire d’avoir des capacités de mémorisation très importantes. C’est une bonne solution pour amorcer le mouvement vers des compétences qu’on acquiert d’autant plus en classe prépa.

Le deuxième conseil est de mettre l’accent sur l’expression orale et écrite (il est plus facile de travailler l’expression écrite, qui est plus évaluée au lycée). Il s’agit de maîtriser l’orthographe, la syntaxe, la grammaire et la conjugaison : c’est un aspect essentiel, voire fondamental en prépa. Et c’est par la répétition des exercices que cela peut s’acquérir comme un automatisme, un peu comme les gammes au piano. En plus, il a été démontré que les élèves étant les meilleurs en langues sont ceux, dont les bases grammaticales dans leur langue maternelle sont les plus solides : on peut mieux comprendre la structuration d’une autre langue, quand on a bien en main la sienne. Donc les progrès en expression écrite et orale permettent de progresser en langues étrangères.

Enfin, prendre l’habitude de suivre l’actualité permet de comprendre mieux les enjeux du monde contemporain. Les sujets des concours ne sont jamais « hors sol ». Sans être purement théorique ou historique, ni purement d’actualité, les concepteurs cherchent toujours à lier les deux dimensions dans les sujets d’ESH qu’ils proposent. Cette capacité à mêler les contenus académiques et les aspects historiques et actuels d’un problème permet de saisir l’enjeu du sujet et d’en faire un traitement efficace. Ainsi suivre l’actualité est-il tout aussi essentiel.

 

Nous sommes aussi à deux mois des concours écrits. Quels sont vos conseils pour réussir la dissertation d’ESH au concours ? Comment éviter le hors-sujet ?

Pour éviter le hors-sujet, il faut impérativement définir les termes du sujet. Sans cela, il est compliqué de développer une réflexion et cela peut conduire à un traitement partiel ou inapproprié du sujet.

En construisant un plan qui répond explicitement à la problématique définie à partir des enjeux sous-jacents du sujet et en reprenant le plus possible les termes du sujet, le candidat peut vraiment éviter le hors-sujet.

Le sujet doit aussi réapparaître souvent dans l’argumentation, par exemple à la fin de chaque paragraphe ou sous-partie, de manière à ce que le candidat soit obligé de faire le lien explicitement entre la connaissance qui vient d’être restituée et le sujet.

La bonne expression écrite (grammaire, orthographe et syntaxe) est aussi importante, tout comme le fait de bien travailler ses cours dans la mesure où, pour chaque sujet, il y a un ensemble de connaissances théoriques et empiriques particulièrement attendues par les correcteurs des épreuves.

La différence entre une bonne copie (14/20) et une excellente copie (18/20) se fait sur la qualité du lien établi intellectuellement, entre la connaissance pure et le sujet. Tout le travail intellectuel d’une dissertation se situe ici et c’est cet effort intellectuel qui est difficile à faire. C’est à cet endroit précis que les correcteurs verront toute la subtilité du raisonnement de l’étudiant.

Apprendre par cœur permet de restituer les connaissances plus rigoureusement et de gagner du temps et de l’énergie intellectuelle afin de faire ce lien entre la connaissance pure et la problématique d’un sujet.

Il convient aussi de lire les rapports de jury des concours : on y trouve les meilleurs conseils pour progresser.

 

Pour les oraux d’ESH, notamment dans les Parisiennes, quels sont vos conseils pour aborder au mieux ces épreuves ?

Ce sont les mêmes ingrédients : l’apprentissage par cœur. Aussi ne faut-il jamais perdre de vue le sujet et toujours y répondre. La connaissance de l’actualité est importante, tout comme les schémas en microéconomie et en macroéconomie qu’il faut pouvoir expliquer clairement. Bien écouter les questions posées par le jury à l’oral en restant lucide (un conseil que je donne à mes étudiants) est une des clés de la réussite.

Savoir s’exprimer et maîtriser ses émotions sont deux éléments nécessaires à une belle performance. Être réservé pour un oral n’a jamais été un problème, mais être timide en est un. La différence entre la réserve et la timidité, consiste à ne pas se laisser déborder par ses émotions.

 

Pour les premières années qui ne passent pas le concours. Comment travailler l’ESH ?

Je conseille à un étudiant de première année de construire ses fiches en ce demandant ce qu’il devrait réviser pour le concours blanc, pendant les vacances, puis en deuxième année et pour les concours ? Autrement dit, quelles sont les connaissances attendues sur tel ou tel sujet, dans une copie de concours ? Je l’invite aussi à faire un carnet de vocabulaire pour élever son niveau de langue.

Plus simplement, il faut se mettre déjà en situation de concours, mais aussi apprendre ses définitions par cœur. La mémorisation des grandes théories et le suivi de l’actualité sont deux composantes essentielles pour la première année d’ESH. Des fiches spécifiques pour des accroches, des ouvertures ou certains contenus du développement sont aussi pertinentes.

En un mot : répéter, répéter, répéter les connaissances, pour qu’elles entrent dans le cerveau afin que l’étudiant se les approprie progressivement et se constitue ainsi une solide culture économique, sociologique et historique. L’objectif est de pouvoir restituer les connaissances de manière rapide, opérationnelle et rigoureuse en les mobilisant pour répondre à un sujet.

 

Le mot de la fin

Restez lucide, sachez pourquoi vous faites cela. Prenez du recul, observez et travaillez ! En effet, c’est une opportunité rare dans une vie d’avoir du temps pour s’épanouir intellectuellement. Construire sa vie à partir d’une prépa est une grande chance, car les étudiants sortent d’une prépa avec un profil très complet et des compétences larges.

 

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Maxime Diguet