Retrouvez dans cet article l’analyse du deuxième sujet d’ESH ECRICOME 2024 ! Cette épreuve à fort coefficient (entre 6 et 9 selon l’option choisie et les écoles présentées) ne laisse pas le droit à l’erreur. Dans cet article, vous aurez une proposition de plan détaillé, avec une analyse de sujet précise.
LES SUJETS d’ESH ECRICOME 2024
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L’analyse du sujet 2 d’ESH ECRICOME 2024
Pour cette nouvelle édition des concours ECRICOME, nous avions le droit à un deuxième sujet assez classique dans sa formulation et dans le programme de révision auquel il s’adosse. En effet, le deuxième sujet est : « faut-il lutter contre les délocalisations ». Sur le fond, le sujet est en lien avec le deuxième grand module de première année (qui traite notamment des questions de désindustrialisation et de réindustrialisation) mais aussi avec le premier module de deuxième année relatif à la mondialisation économique et financière.
Ainsi, ce sujet est un sujet transversal avec assurément beaucoup de choses à dire pour tout candidat sérieux de CPGE ECG. Avant de réaliser l’analyse plus en détail, nous pouvons aussi voir que la forme du sujet n’est pas réellement de nature à déstabiliser les candidats puisqu’il s’agit d’une forme classique, sans doute étudiée tout au long de l’année par les étudiants. Le « faut-il » renvoie à une forme de nécessité, d’utilité. Le sujet pose ainsi la question de la nécessaire lutte contre les délocalisation et en creux la question des relocalisations d’entreprises.
De manière générale, une réflexion sur les raisons des délocalisations et de la possibilité des pouvoirs publics d’agir sur celles-ci étaient attendus. En effet, si les délocalisations sont le fait d’un mouvement naturel, il est difficile voire contre-productif de lutter contre celles-ci. Pour faire une métaphore, si vous demandez à un maître sauveteur : faut-il nager face au courant, il vous répondra de vous laisser porter car celui-ci opère dans un mouvement naturel qui vous dépasse et lutter contre celui-ci vous fatiguerez et vous mettrez en danger. Ici, on peut se demander si certaines délocalisations ne sont tout simplement pas issues d’un mouvement naturel comme le montre les analyses du cycle de vie du produit et potentiellement aussi les analyses du commerce international de D. Ricardo par exemple.
En outre, il peut exister des points positifs à ces délocalisations, si l’on prend par exemple la balance des transactions courantes françaises, nous savons qu’elle n’est pas si déficitaire grâce à la balance des revenus tirée par les firmes multinationales françaises. D’un autre côté, il faut évidemment se poser la question des raisons pour lesquelles les délocalisations ne sont pas forcément une bonne chose (perte de souveraineté industrielle, destruction du tissu industriel qui cause une accumulation des déficits commerciaux…). Évidemment ces questions doivent se poser à deux échelles différentes.
Au niveau de l’État premièrement en se demandant si les pouvoirs publics ont intérêt à mettre en place des politiques publiques permettant de lutter contre ces délocalisations. Mais aussi au niveau des entreprises, est-ce que le dirigeant d’entreprise a intérêt à lutter contre les délocalisations ? Dans une mondialisation devenue weaponization, est-ce que les entreprises n’ont pas aussi intérêt à lutter contre leurs propres délocalisations ?
Accroche : En février 2024, l’entreprise Solvay a annoncé que sa dernière usine française qui produisait des arômes de vanille (utilisés dans les yaourts par exemple) aller fermer ses portes et rejoindre l’autre fabrique de l’entreprise outre-Atlantique en Louisiane. Cette délocalisation est bicéphale : bonne nouvelle pour les États-Unis qui récupère un pan de l’activité industrielle de l’entreprise et mauvaise nouvelle pour la France qui voit se tarir davantage sa base industrielle avec comme répercussion directe plus de 30 emplois supprimés et ainsi une perte de compétence potentielle de ces salariés. Les délocalisations sont donc positives pour les pays qui accueillent les entreprises mais moins pour les pays qui voient des entreprises quitter leur sol national.
Faut-il : Renvoie à la nécessité et à l’utilité d’agir sur un mouvement qui peut paraître inexorable et une tendance lourde de l’économie mondiale. Le « il » dans le sujet peut renvoyer à plusieurs entités. L’entreprise doit-elle infléchir sa politique de délocalisation ? Les pouvoirs publics ont-ils aussi la nécessité d’agir contre la tendance des délocalisations qui existe depuis les années 1980.
Lutter : Agir contre quelque chose, résister à cette tendance des FMN à délocaliser certaines parties de leurs activités vers un autre pays.
Délocalisation : ce terme était à coup sûr le terme central du sujet et il s’agissait de bien le définir. A notre sens, il existe potentiellement trois types de délocalisations. Une délocalisation relative qui se traduit par la création d’une unité de production à l’étranger sans destruction sur le sol national (IDE Greenfield), une délocalisation absolue qui se traduit par un transfert d’unité de production d’un pays A vers un pays B (IDE Brownfield). Enfin, la délocalisation peut aussi être une délocalisation géographique, c’est-à-dire qu’une entreprise déménage d’une ville A à une ville B, cela peut ici être dans le même pays !
Problématique : Les délocalisations sont-elles un phénomène si préoccupant pour les entreprises et États au point de nécessiter une action étatique ferme pour les stopper ?
I – Les délocalisations émanent de choix privés libres et pertinents à une échelle individuelle mais aussi collective
A. Le dirigeant choisit sa localisation en fonction de certains avantages, ce qui lui permet de minimiser son prix de vente et donc de maximiser le surplus du consommateur
Nous le savons avec F. Perroux (« le capitalisme », que sais-je), l’entreprise est l’institution cardinale du système capitaliste car elle se sert d’une combinaison productive (de facteurs de production) afin de maximiser son profit. Dans cette logique, une entreprise est amenée à réaliser des arbitrages pour dominer ses concurrents dans le cadre d’un marché concurrentiel. Ainsi, une entreprise peut être amenée à vouloir effectuer des économies pour proposer son produit à un prix plus bas, ce qui est censé maximiser les ventes et les profits via l’effet-volume.
Les entreprises réfléchissent ainsi à délocaliser une partie de leur processus productif dans le but de diminuer leurs coûts et de profiter d’avantages dans les autres pays. C’est ce que montre le paradigme OLI de J. Dunning. En présence des trois avantages : Ownership, localisation et internalization, la firme a intérêt à réaliser un investissement direct à l’étranger et donc à réaliser une délocalisation absolue ou relative. Cet arbitrage (intérêt ou non à délocaliser) peut se faire via le « localisation advantage » qui traduit les avantages qu’une firme a à délocaliser dans un lieu précis.
Concrètement, lorsque la Chine entre dans l’OMC en 2001, énormément d’entreprises occidentales ont intérêt à s’y installer pour des activités de production car cela leur permet de diminuer leurs coûts et donc leurs prix en profitant de la main d’œuvre abondante et peu chère chinoise ainsi que de normes sociales et environnementales quasi-inexistantes. La Chine profite de son avantage en dotations factorielles (théorème HO) et les entreprises occidentales peuvent diminuer leurs prix afin de maximiser le surplus du consommateur et/ou leur profit (qui se traduira dans de nouveaux investissements porteurs pour l’avenir).
B. Le processus de délocalisation permet un transfert de technologie qui fait de la mondialisation un jeu à sommes positives : développement pour les PED et balance des services excédentaires pour les PDEM
Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, la mondialisation est pensée comme une mondialisation heureuse (A. Minc) et pacificatrice (le doux commerce de Montesquieu). Dans ce cadre, la mondialisation doit représenter un jeu à somme positive pour perdurer. Or si la mondialisation est un jeu à somme positive, c’est aussi parce qu’il existe des délocalisations. En effet, selon la théorie du cycle de vie du produit de Vernon, un pays industrialisé a tout intérêt à délocaliser sa production lorsque l’innovation à la base de la commercialisation du produit devient peu à peu une connaissance commune à tous les pays. En effet, les pays développés innovent de manière rentable grâce aux débouchés extérieures puis une fois leur brevet périmé, ils n’ont plus d’intérêt à produire ce même bien car ils ne sont pas assez compétitifs. Il vaut alors mieux réaliser ce transfert de technologie et se concentrer sur la recherche et développement pour créer de nouvelles innovations porteuses.
Ainsi, les délocalisations permettent à chaque pays de s’insérer dans le jeu à somme positive du commerce international. Cela se fait selon la logique de la courbe du sourire de Stanley Shih. Les activités à forte valeur ajoutée pour les PDEM et les activités de production pour les PED. Néanmoins, ce transfert de technologie symbolise la première étape du développement des PED pour ceux qui choisissent la stratégie du vol d’oie sauvages d’Akamatsu (la Corée à la fin du 20ème siècle ou la Chine depuis son entrée à l’OMC).
En échange de ce développement des PED, les PDEM ont une croissance plus dynamique et un excédent de la balance des services issu des capitaux rapatriés de la part des FMN dans leur pays d’origine. Les délocalisations peuvent aussi être positives pour les PDEM lorsque l’on parle de délocalisations d’individus, le fameux Brain Drain.
C. Les délocalisations géographiques sont un moyen de créer des clusters qui ont un effet positif sur la compétitivité d’un pays
Ce dernier sens du terme de délocalisation est plus rare mais on peut le retrouver dans le lexique d’Alternative économiques par exemple. Il peut ainsi être positif pour une entreprise de se situer à un autre endroit au sein du même pays pour accroître la coopération avec d’autres acteurs du même secteur d’activité.
C’est ce qu’A. Marshall appelait des clusters d’innovation. P. Krugman parlait en reprenant cette tradition théorique d’effets d’agglomérations. Le fait pour des entreprises/entités publiques de se regrouper dans une même région est intéressant pour diminuer les barrières à l’échange tant économique qu’intellectuel. Ces échanges de technologies peuvent se traduire in fine par de nouvelles innovations et des gains de productivité qui permettent plus de croissance économique, ce qui n’est pas pour déplaire à un gouvernement…
Par exemple, l’École normale supérieure a déménagé du campus de Cachan pour celui de Saclay en 2020. Pour justifier cette délocalisation géographique l’école montre l’opportunité que cela représente pour la recherche française (rappelons que de multiples organismes de recherches et d’écoles de renom logent déjà sur ce plateau de Saclay).
Ainsi on peut retrouver sur le site de l’école la phrase suivante : « Ce déménagement s’inscrit dans un vaste projet pédagogique et scientifique autour de l’université Paris-Saclay pour créer un pôle d’excellence de rang mondial ». Le but est donc économique mais aussi politique puisque ce pôle fait rayonner la recherche française à l’international, ce qui améliore le soft-power français aussi.
II – Pour autant, ces délocalisations ont des conséquences négatives qui peuvent inciter décideurs et entrepreneurs à lutter contre celles-ci
A. Les délocalisations absolues provoquent des pertes de tissu industriel qui se traduisent par de la désindustrialisation et des déficits commerciaux
Les délocalisations absolues représentent une tare pour les pays développés. En effet, ces délocalisations se traduisent par un jeu à somme nulle mercantiliste. Ce qu’obtient le pays A est enlevé au pays B. Dans ce cadre, les pouvoirs publics doivent absolument lutter contre les délocalisations puisque celles-ci sont de nature à peser sur les performances économiques du pays au sens du carré magique de N. Kaldor.
L’étude d’Autor et al. montre l’importance du « choc chinois » (2016) sur l’emploi industriel aux USA. Cette influence négative chinoise provient de la compétitivité des importations chinoises mais aussi de potentiels comportements de délocalisation de la part des entreprises américaines (celles de la fameuse Rust Belt désindustrialisée).
Le cas français montre exactement la même chose. V. Vicard & S. Jean, « FMN & french trade deficit » (2022) montrent que les comportements de délocalisation des FMN expliquent une partie importance du déficit commercial d’aujourd’hui (rappelons que les FMN françaises ont plus d’employés à l’étranger qu’en France, environ 55%). Cela s’explique par une performance modeste à l’export et une importation des biens fabriqués par les FMN françaises à l’étranger. Ainsi, malgré un excédent de la balance des services, ces FMN sont surtout responsables de notre désindustrialisation et de notre déficit commercial chronique.
B. Les délocalisations créent des dépendances importantes dans le cadre de la division internationale du processus productif qui ne sont ni bonnes pour les dirigeants d’entreprise ni pour les dirigeants politiques
Ces délocalisations entraînent donc l’accumulation des déficits commerciaux pour les PDEM. Ces déficits commerciaux sont aussi une cause et une conséquence de la désindustrialisation comme le montre T. Grjebine (2023) pour le CEPII. Les déficits commerciaux sont synonymes d’importations importantes qui diminuent les débouchés des producteurs locaux, cela a pour conséquence une faiblesse des économies d’échelle pour les producteurs nationaux et in fine un manque de performance pour ces entreprises qui disparaissent. Ainsi délocalisation, déficits commerciaux et désindustrialisation sont intimement liés. C’est pourquoi, nous pouvons dire que les délocalisations sont aussi responsables de notre perte de souveraineté industrielle.
C’est ce que montre E. Cohen dans « Souveraineté industrielle » (2021) dans le secteur pharmaceutique. Dans une stratégie de baisse de coût pour la sécurité sociale, les industriels de concert avec le gouvernement n’ont pas hésité à délocaliser toute la production de médicaments. Le cas emblématique de cela est le Doliprane. En effet, le président de Sanofi O. Bogillot affirmait volontiers dans les médias que l’entreprise n’a pas hésité à délocaliser toute la production. Notre santé est d’une certaine manière entre les mains des chinois et indiens. Ce constat réalisé pendant le COVID a permis une prise de conscience de tous les acteurs avec une incitation à la relocalisation pour recouvrer de la souveraineté industrielle.
Enfin, même les entreprises peuvent avoir intérêt à revoir leur stratégie de délocalisation. Par exemple, certains groupes comme Renault avaient décidé de délocaliser leur production en Russie pour rencontrer leur demande (via la marque Lada). Le conflit entre la Russie et l’Ukraine a obligé l’entreprise à se retirer et à dire adieu aux avantages de cette stratégie. Ainsi, les délocalisations peuvent aussi avoir des coûts en cas de nécessaire retrait. Ces retraits seront amenés à se multiplier dans une mondialisation à bras armé. Comme le disait I. Bensidoun, la sécurité économique est devenue le nouveau principe fondateur de la mondialisation au-delà de la baisse des coûts.
C. Mais aussi par des conséquences sociales désastreuses
Enfin, il faut aussi dire que ces délocalisations ont une influence sociale désastreuse : chômage, suicides et vote populiste sont les conséquences directes des délocalisations absolues.
A. Deaton & A. Case analysent ainsi les morts de désespoirs liés à l’utilisation de drogues, alcools, anxiolytiques aux USA. Ils montrent que ceux-ci sont surreprésentés chez les ouvriers blancs de plus de 50 ans qui ont été affectés par les délocalisations des entreprises américaines vers la Chine. En effet, l’ouvrier devient ainsi chômeur et est disqualifié socialement (S. Paugam), cela peut le conduire à un suicide égoïste au sens de la typologie édifiée par E. Durkheim.
D. Rodrik a aussi montré dans « Why globalization fuel populism » que les zones touchées par la désindustrialisation et les délocalisations sont celles ou le vote populiste est le plus fort (la Rust Belt vote massivement pour D. Trump aujourd’hui).
III – Plus que lutter contre les délocalisations en elles-mêmes, il faut lutter contre les raisons fallacieuses de ces délocalisations et savoir les attirer
A. L’importance de la politique commerciale et des clauses miroirs dans les accords de libre-échange
Nous proposons ici le fait que lutter contre les délocalisations n’a pas de sens en soi car cette décision est privée et relève de l’entrepreneur. L’État n’est pas habilité à choisir les lieux de production des entreprises dans une économie de marché. Pour autant, l’État doit s’assurer du respect d’une concurrence saine et équitable pour ne pas plonger dans une ère de guerres commerciales et de conflits devant l’O.M.C. Or assurer cette saine concurrence diminue de fait le phénomène des délocalisations.
Réduire l’optimisation/évasion fiscale, les fuites de carbones, le travail d’esclaves (ouighours) va contribuer à diminuer les avantages de localisation des entreprises dans le paradigme OLI. Cet objectif est au cœur de la stratégie européenne aujourd’hui avec son mécanisme européen aux frontières (MACF) pour éviter les fuites de carbones. Elle y participe aussi en incitant le MERCOSUR à signer des clauses miroirs pour finaliser l’accord de libre-échange qui est en débat depuis si longtemps. Toutes ces mesures sont de nature à lutter contre les délocalisations sans les empêcher.
B. Les politiques publiques (politique industrielle) d’un État doivent aussi permettre d’attirer les délocalisations de certaines entreprises
Finalement dans une économie compétitive, on pourrait aussi fixer comme objectif l’attractivité du territoire. Attirer des projets étrangers est une bonne chose pour l’économie nationale. On le voit avec l’arrivée de Prologium à Dunkerque ou de STMicroelectronics à Crolle dans le cadre des PIIEC européens et du Net Zero industrial Act. Ces programmes créent des emplois, augmentent la demande et incitent à l’investissement des entreprises privées.
De même, les USA ont voté l’IRA et le Chips & Science Act (politique industrielle) dont le but est d’attirer des projets de délocalisations absolues ou relatives. On pense ici à Northvolt, LG, Samsung, DG Fuels…
Conclusion
Pour conclure, nous pouvons dire que les délocalisations mettent en danger les performances économiques et sociales des pays développés. Pour autant, elles sont le fruit d’entrepreneurs libres et éclairés, cela rend ainsi difficile toute intervention trop stricte des pouvoirs publiques.
Ainsi, l’État ne doit pas absolument lutter contre les délocalisations mais plutôt empêcher que celles-ci se fassent à cause d’une concurrence déloyale des pays en développement. Les pouvoirs publics des pays développés peuvent alors passer par deux moyens différents mais complémentaires. Mettre en place des politiques permettant de contrecarrer la concurrence déloyale des pays en développement ou mettre en place des politiques visant à attirer les délocalisations d’entreprises.