Historique ! Les Émirats Arabes Unis ont annoncé la normalisation de leurs relations diplomatiques avec Israël. Si certains revêtent du manteau de pourpre des honneurs cette décision en y voyant un grand pas vers la paix dans la région, d’autres y voient une pure trahison et un poignard dans le dos du peuple palestinien. En réalité, la décision est purement pragmatique : l’objectif des deux États est de lutter contre l’expansion de l’influence turque et iranienne dans la région. On assiste là au triomphe de la realpolitik – la politique étrangère fondée sur le calcul des forces et l’intérêt national – sur les idéologies religieuses et supranationales. Donald Trump annonçait fièrement que plusieurs nations arabes allaient suivre le geste des EAU et normaliser leurs relations diplomatiques avec l’État hébreu, le Bahreïn étant le premier de la liste à le faire. Mais assistons-nous vraiment à un vrai changement de paradigme dans la région ? Que signifie ce changement pour les équilibres des forces au Moyen-Orient ? Que reste-t-il du rêve palestinien ?
Les accords d’Abraham, un nom porteur d’une grande symbolique
Les accords d’Abraham sont deux accords de paix dans le Moyen-Orient : le premier entre Israël et les Émirats Arabes Unis et le second entre Israël et le Bahreïn. Mais pourquoi choisir le nom d’accord d’Abraham ? Le patriarche Abraham est une figure centrale des récits bibliques de l’ancien testament et du Coran. Il serait, selon les écritures, marié à une femme stérile du nom de Sarah. Cette dernière, consciente de sa stérilité, demanda à une servante nommée Agar de donner un enfant à Abraham. Ce fut la naissance du premier fils du patriarche nommé Ismaël. Lorsque Abraham eut atteint sa centième année, Dieu vint à lui pour conclure un pacte avec Abraham et sa descendance et lui annonça la naissance de son deuxième fils Isaac. Isaac serait l’ancêtre du peuple juif dont Moïse fera partie tandis qu’Ismaël serait l’ancêtre du prophète Mohammed et des peuples arabes de la péninsule. Cela reflète la symbolique derrière le nom d’accord Abraham. Abraham est le personnage qui réunit les peuples frères arabes et hébreux.
Combattre l’influence grandissante de l’Iran : L’objectif commun des Émirats et d’Israël
La rivalité historique entre la Perse et l’Arabie, qui prend aujourd’hui la forme d’un combat entre musulmans sunnites et chiites fait peser une menace existentielle pour les États sunnites du Golfe. A titre d’exemple, du fait de siècles de domination et d’influence perse, 60% de la population du Bahreïn est de confession musulmane chiite. Cela représente une menace sur la monarchie absolue sunnite qui règne d’une main de fer sur le pays. Lors des protestations populaires de 2011 dans le sillage des printemps arabes, le Bahreïn a vu derrière la mobilisation la main de l’Iran. Le pays des ayatollahs a renforcé progressivement son influence dans la région. En Irak, après la chute de Saddam Hussein, les chiites majoritaires dans le pays prennent le pouvoir et l’Irak se rapproche de l’Iran. La Syrie de Bachar el-Assad s’est rapprochée de l’Iran pendant la guerre civile. L’Iran est devenu « un interlocuteur incontournable » pour les négociations internationales sur cette guerre civile et un allié privilégié pour la Russie dans sa volonté de soutenir le régime syrien. Le Hezbollah a même envoyé des hommes en Syrie pour appuyer le régime dans sa lutte contre l’État Islamique. Véritable État dans l’État, le Hezbollah est le parti chiite du Liban. Il dispose de sièges au parlement libanais et d’une armée. La mainmise de l’Iran sur ce mouvement est incontestable. Au Yémen, l’Iran soutient et arme les rebelles Houtis positionnés à la frontière avec l’Arabie Saoudite. Dans le jeu à somme nulle du Moyen-Orient où une victoire stratégique pour un acteur constitue une perte d’influence pour l’autre, la montée en puissance de l’Iran est une menace pour les intérêts des pétromonarchies sunnites du golfe ce qui justifie l’alliance objective avec Israël.
La réaction des autres pays
L’histoire ne pardonnera jamais aux Emirats arabes unis le “comportement hypocrite” qui les a conduits à conclure un accord avec Israël pour normaliser les relations entre les deux pays, a déclaré vendredi la Turquie. Ankara pourrait ainsi officiellement suspendre ses relations diplomatiques avec Abou Dhabi en réponse à un accord, a affirmé vendredi le président Recep Tayyip Erdogan. Mais rappelons tout de même que la Turquie entretien des rapports diplomatiques avec Israël depuis 1949 et que s’il vous arrive de vous promener sur les cotes de la marina de Tel Aviv vous aurez peut-être l’occasion de retrouver l’ambassade turque…
Les États européens de leur côté saluent une décision qu’ils jugent raisonnable. Ainsi le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne se sont prononcés en faveur de l’accord. Mais ils ont toutefois profité de l’occasion pour rappeler que seule une solution à deux États pour le conflit israélo-palestinien pourrait régler de manière durable ce problème qui ronge la région depuis un demi-siècle.
Certains pensent que l’Arabie Saoudite sera le prochain pays à normaliser ses relations diplomatiques avec Israël. Mais « le plus gros obstacle face à une telle normalisation n’est pas la crainte d’une réaction dans le pays ou la région », souligne Aziz Alghashian, professeur à l’université d’Essex, spécialisé dans les relations du royaume avec Israël à l’AFP. « L’Arabie saoudite juge nécessaire de ne pas normaliser les relations hors du contexte de l’Initiative de paix arabe qui appelle au règlement de la question palestinienne, si elle veut toujours être perçue comme leader du monde arabe et musulman ».
Un État Palestinien : que reste-t-il du rêve ?
L’accord d’Abraham énonce une suspension des annexions en Cisjordanie et non un arrêt définitif. Le livre de Stéphan Amar Le grand secret d’Israël sous-titré pourquoi il n’y aura pas d’État Palestinien explique les obstacles qui se dressent à la création d’un État palestinien. Israël avec ses colonies en Cisjordanie placées sur des axes stratégiques coupe les continuités territoriales palestiniennes. De plus, il existe aujourd’hui pratiquement deux Palestine que tout sépare : d’un côté, la bande de Gaza islamiste très hostile à Israël et de l’autre une Cisjordanie qui s’ouvre de plus en plus au monde extérieur.
Pour Joseph Bahout, politologue spécialiste du Moyen-Orient et chercheur au Carnegie Endowment interviewé par TV5monde, la surprise n’est qu’une surprise apparente, car dans les faits, la « convergence » – terme utilisé par les différents pays eux-mêmes – entre Israël et certains États du Golfe était déjà en cours depuis plusieurs années, et sur certains points finalisés depuis très longtemps. C’est un secret de polichinelle : ce à quoi nous assistons aujourd’hui est uniquement une sorte de mise à jour publique.