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L’agriculture et le monde agricole : frein ou facteur d’industrialisation au 19ème siècle ?

Sommaire

Dans cet article, nous allons nous questionner sur le rôle et le poids de l’agriculture et du monde rural dans l’industrialisation au 19 ème siècle. 

 

I/ Le préalable agricole de la révolution industrielle

 

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A/ Les conséquences des progrès de l’agriculture

En Grande Bretagne, les rendements à l’hectare auraient été multipliés par 2 entre 1750 et 1850. En revanche, il faut attendre la deuxième moitié du 19ème siècle pour que les progrès soient significatifs en France et en Allemagne.

Le principal changement, c’est la suppression progressive de la jachère grâce à la culture de nouvelles plantes (navet , blé, trèfle, orge), qui par ailleurs fournissent l’alimentation nécessaire à l’élevage d’ un cheptel plus important, donnant lui – même en retour plus de fumier pour fertiliser le sol. Cette évolution conduit à considérer que la révolution agricole fût le préalable nécessaire à la révolution industrielle. En particulier, si l’on suit l’analyse de Paul Bairoch, Révolution industrielle et sous développement (1963) , l’élévation du revenu agricole permet à la fois le développement d’une demande de produits manufacturés textiles et métallurgiques, et la mise à la disposition de l’industrie d’une épargne nouvelle.

 

B/ Des changements mis en œuvre par une minorité qui adoptent un comportement d’entrepreneurs

Selon Patrick Verley, dès le 18 ème siècle, les intendants des grands domaines agricoles ont un comportement de « managers ». Ils gèrent un personnel nombreux, diversifient leurs activités dans les mines ou les routes à péages, améliorent de manière continue leurs infrastructures. Des landlords anglais comme Charles Townsend, ou des grands propriétaires comme Jethro Thull, incarnent ainsi cette mentalité nouvelle . Il s’agit alors de rechercher une amélioration des rendements, caractéristique de la volonté de sortir l’agriculture de ses habitudes et traditions multi séculaires. La terre devient un capital dont on revendique la propriété et qu’il convient de valoriser comme le montre d’ailleurs le mouvement des enclosures. Pour mettre en évidence cette rupture, Marc Bloch baptisera du nom d’individualisme agraire, cette évolution qui voit le propriétaire se libérer de ses obligations traditionnelles vis à vis de la communauté. La vaine pâture disparaîtra avec l’open field remettant en cause la structure sociale des campagnes européennes.

 

C/ Le monde agricole reste hétérogène

Si les grands propriétaires issus ou non de l’aristocratie dominent les campagnes, ils coexistent avec un véritable prolétariat rural constitué par exemple de squatters en Grande – Bretagne et de journaliers en France, qui cumulent le travail souvent saisonnier dans les grandes fermes avec une activité indépendante qui souvent consistent en la propriété de quelques animaux qu’ils peuvent nourrir grâce à l’existence de terres communales ou de jachères. Entre ces deux extrêmes, un ensemble de fermiers, petits propriétaires ou bénéficiaires de baux à long terme, qui complètent leur revenu par une activité artisanale ou industrielle, comme les Yéomen ou les cottagers dont Marx fera le symbole des victimes de la révolution agricole. En effet, la propriété agricole se concentre (de 26 à 60 hectares au 19 ème siècle en Grande Bretagne) ce qui oblige une partie de la population des campagnes à quitter l’agriculture. Ces victimes de la modernisation agricole vont constituer une main d’œuvre nombreuse qui exercera une pression constante sur les salaires au bénéfice du développement industriel.

 

II/ Des liaisons toujours difficiles à vérifier

 

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A/ Des effets d’entraînement incertains

Si les transformations de l’agriculture ont pu être un facteur favorable, les effets d’entraînement sur l’industrie restent toujours contestables. Toutes les tentatives de vérifications, des effets vertueux mis en avant par Paul Bairoch, souvent échouent. On citera par exemple François Crouzet pour qui l’industrie britannique ne bénéficiera de l’exode rural après le take – off , souffrant d’ailleurs jusqu’en 1815, d’une pénurie de main d’œuvre et d’une tendance à la augmentation des salaires. Les besoins de financement d’ailleurs modestes de l’industrie sont davantage satisfaits par des capitaux d’origine commerciale issus de la proto industrialisation que par l’épargne agricole. Patrick Verley montre quant à lui qu’en France, les flux de financement vont plutôt de l’industrie vers l’agriculture. On assiste paradoxalement à une vague de construction de manoirs et de châteaux qui sont le signe da la réussite industrielle.

 

B/ Le monde agricole entre influence et sacrifice

La résistance à la modernisation est incarnée par les grands propriétaires qui , en Grande Bretagne, constituent précocement ce que l’on nommerait aujourd’hui un groupe de pression favorable au protectionnisme. On trouve par exemple dans l’opposition entre Malthus et Ricardo quant aux effets économiques de la rente, une opposition entre les industriels défenseurs du libre échange, et les grands propriétaires attachés au maintien des corn laws. Les premiers tel Richard Cobden, propriétaire d’une filature et animateur de l’anti corn laws league, se plaignent des prix du blé trop élevés qui contribueraient à augmenter les salaires. En revanche, il n’y a pas d’industrialisation tardive qui ne passe pas par un sacrifice de la paysannerie. Si l’agriculture japonaise est modernisée, les paysans japonais seront pressurés par une fiscalité dont le but est d’opérer des transferts de ressources vers l’industrie. Par contre, l’oukase du tsar Alexandre qui abolit l’esclavage en 1861 n’aura pas d’ effets sur la masse des paysans russes qui resteront à la marge de l’industrialisation.

C/ Les particularismes nationaux

L’influence politique du monde agricole est liée à son importance dans la population. Ainsi ,la Grande Bretagne qui a la fin du 19 ème siècle, résiste à la tentation protectionniste, ne comptait déjà plus que 22% de sa population active dans l’agriculture en 1850 . Par contre, le protectionnisme s’impose en Allemagne et en France avec les lois Méline (1891). Ces deux pays ont en commun que des paysans représentait encore presque la moitié de la population active. La République française après 1848 s’ imposera par une politisation progressive des campagnes. Après l’épisode sanglant de la commune, la stabilisation du régime passera par une alliance entre le pouvoir et les campagnes, qui s’incarnera dans l’agrarisme et dont le mélinisme en sera qu’un avatar.

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