Oppeinheimer, le dernier film de Christopher Nolan, est sorti le 19 juillet 2023. Dans ce biopic, le réalisateur met en scène l’histoire de J.Robert Oppenheimer et son implication dans le projet Manhattan, programme ayant pour but de développer l’arme atomique lors de la seconde guerre mondiale (1939/1945). le synopsis d’Allociné est le suivant : “le nouveau film de Nolan sur l’univers palpitant de l’homme complexe qui a mis en jeu la vie du monde entier pour mieux le sauver”.
Là est toute l’ambiguïté de l’arme nucléaire, à la fois arme de destruction comme vecteur de pacification. Celle-ci se définit comme étant une arme utilisant la fission de noyaux atomiques lourds (uranium et plutonium pour les bombes A), ou la fusion de noyaux légers (hydrogène pour les bombes H). Les enjeux l’entourant sont nombreux : militaires, énergétiques, géopolitiques, économiques…
Voici une proposition de lecture des enjeux de cette arme dans un format qui se rapproche d’une dissertation :
La détention de l’arme nucléaire est-elle véritablement un atout dans l’exercice de la puissance ?
L’armes nucléaire : un moyen d’infléchir les rapports de forces et un outil d’autonomie stratégique
Un instrument de hard power :
La seule utilisation à des fins militaires de l’arme nucléaire est le meilleur exemple de sa puissance : lors des bombardements de 1945, entre 70 et 140 000 personnes ont perdu la vie pour la seule ville d’Hiroshima. La puissance de l’arme nucléaire est telle que sa détention est un facteur non négociable pour être considéré comme une puissance de premier plan, pour faire jeu égal avec ceux qui s’en sont dotés ou alors pour prendre l’ascendant sur ceux qui ne l’ont pas…
Par exemple, Téhéran aurait un avantage certain sur Riyad si le régime venait à se doter de cette arme, ce qui explique l’enrichissement croissant des particules d’uranium dans les centrales du pays ces dernières années.
Un instrument de soft power :
La détention de l’arme nucléaire permet de faire partie du club très fermé des puissances nucléaires. En effet, seuls 9 pays possèdent officiellement cette dernière : la Russie, les Etats-Unis, la Chine, la France, le Royaume-Uni, le Pakistan, l’Inde, Israël et la Corée du Nord. C’est donc un atout de puissance, de soft power (Joseph Nye) incontestable, procurant une capacité de dissuasion sans équivalent.
Innovation et autonomie stratégique :
En réalité, la science n’a pas cessé de développer l’arme nucléaire depuis sa création. À ce jour, Tsar bomba est la bombe la plus puissante jamais testée (1961), environ 57 mégatonnes et 3000 fois plus puissante que celles larguées en 1945. Cependant on estime que les bombes actuelles sont encore 2 fois plus puissantes que Tsar Bomba.
Surtout, l’énergie atomique représente une véritable grappe d’innovation (Joseph Schumpeter) : elle a révolutionné de nombreux secteurs, militaire, énergétique…De nombreux pays tels que la France ont misé sur elle pour assurer leur autonomie énergétique et une électricité peu coûteuse.
L’arme nucléaire : la dissuasion pour empêcher les conflits ?
L’équilibre de la terreur :
“paix impossible, guerre improbable” disait Raymond Aron pour définir la Guerre Froide. C’est bel et bien la présence de l’arme nucléaire dans les deux camps qui rendait la guerre improbable : le fait de savoir que son utilisation induirait l’anéantissement total des deux blocs les empêchait d’y recourir.
Cet équilibre de la terreur est encore en vigueur aujourd’hui et permet de stabiliser de nombreux conflits : indo-pakistanais, sino-américain, russo-américain… La menace de l’utilisation de l’arme nucléaire assure une certaine forme de retenue des belligérants.
Cependant, certains flirtent avec cette limite, en témoignent les menaces de Vladimir Poutine qui a évoqué à plusieurs reprises la possible utilisation de l’arme nucléaire en Ukraine.
Lire plus : La terreur nucléaire : 1945-2022, le monde est-il devenu plus sûr ?
De la dissuasion à la course à la puissance :
La puissance des armes atomiques est révélée suite aux bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki. Dès lors, la supériorité militaire devient proportionnelle au développement des armes atomiques. Ceci explique la volonté russe de rattraper son retard sur les États-Unis : le programme nucléaire de l’URSS commence dès 1943 alors que le régime découvre l’existence du projet Manhattan. L’URSS devient alors la seconde puissance nucléaire en 1949.
C’est cette logique qui a aussi rythmé le conflit indo-pakistanais : le Pakistan démarre un programme visant à obtenir l’arme nucléaire dans les années 70, en réponse aux essais indiens de 1974.
Mais l’enjeu est aussi d’empêcher l’adversaire d’obtenir cette technologie. Le programme américain Cocom de 1949 avait pour but de freiner le développement soviétique de l’atome. Autre exemple, les États Unis tentent depuis des années de ralentir l’enrichissement iranien, que ce soit par le ver informatique Stuxnet qui s’attaquait aux centrifugeuses iraniennes ou par les accords de Viennes de 2015.
Des tentatives de régulation internationale :
“Une guerre nucléaire ne peut être gagnée et ne doit jamais être menée” déclarait le conseil de sécurité de l’ONU en janvier. Il appelait alors à “prévenir la poursuite de la dissémination”. Le TNP (traité sur la non prolifération) est signé en 1968 et est garanti par l’AIEA (Agence internationale de l’Energie Atomique). L’objectif était alors de réguler, d’encadrer, voire d’empêcher la prolifération nucléaire. De même, les accords de Vienne, récemment évoqués, ont permis de ralentir pendant quelques années l’enrichissement des atomes iraniens.
L’arme nucléaire : encore une vraie utilité dans le contexte géopolitique actuel ?
Risques et contaminations :
Si détenir la technologie nucléaire confère de nombreux avantages, sa possession n’est pas exempte de risques, en témoignent les catastrophes de Tchernobyl en 1986 et de Fukushima en 2011. Les dégâts engendrés par ces accidents sont proportionnels à la puissance de ces armes : de nombreuses personnes meurent encore de cancers et autres maladies dus aux radiations.
L’échec de la régulation :
3 pays n’ont pas signé le TNP de 1968 : le Pakistan, l’Inde et Israël. Tous trois se sont dotés de l’arme atomique. Par ailleurs, la Corée du Nord l’a signé mais s’en est retiré en 2003. La communauté internationale peine à réguler l’acquisition de cette arme.
En effet, on observe aujourd’hui une nouvelle course au nucléaire : l’Iran posséderait désormais de l’uranium enrichi à 90% et serait donc en mesure de créer la bombe, malgré les tentatives des Etats-Unis et de l’AIEA pour l’en empêcher. Par ailleurs, les dépenses mondiales liées aux armes nucléaires ont augmenté de 9% entre 2021 et 2022 : certains pays cherchent à améliorer leur arsenal, d’autres à se doter de cette arme.
Lire plus : La croissance de l’arsenal nucléaire en Asie du Sud
Une arme de plus en plus critiquée :
L’entretien de l’arsenal nucléaire est compliqué et coûte très cher. Environ 20% du budget alloué à la défense française sert à entretenir ces armes, et un montant important de la nouvelle LPM (Loi de Programmation Militaire) est prévu pour moderniser les armes atomiques françaises
Pourtant, dans le contexte international instable que nous connaissons ces dernières années, ces armes sont-elles réellement toujours un gage de dissuasion ? Les menaces nucléaires de Vladimir Poutine ou de la Corée du Nord interrogent quant à l’impossibilité de franchir le pas.
Camus résumait le 8 août 1945, dans l’éditorial Combat, tout l’enjeu autour de l’arme nucléaire : “la civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie. Il va falloir choisir, dans un avenir plus ou moins proche, entre le suicide collectif ou l’utilisation intelligente des conquêtes scientifiques”. A l’heure où les bombes actuelles sont 6000 fois plus puissantes que celles dont parlait Camus, reste à voir quel usage nous ferons des conquêtes scientifiques atomiques.