Alors que la vague d’extrême droite se fait ressentir au sein de l’Europe, c’est désormais au tour de l’Autriche de légitimer par les urnes un parti très controversé pour sa ligne politique proche de l’aile radicale de l’AFD allemande. En effet, le FPÖ (Parti de la liberté d’Autriche), dirigé par Herbert Kickl, a récolté près de 30% des voix lors des dernières législatives. Ce score historique, s’il constitue évidemment une victoire électorale, peine néanmoins à incarner une véritable victoire politique.
Comment expliquer cette victoire en demi-teinte pour un parti d’extrême droite qui semble pourtant durablement établi sur l’échiquier politique autrichien ?
Une victoire électorale historique
Si le FPÖ (Freiheitliche Partei Österreichs, ou Parti de la liberté d’Autriche) a été fondé en 1956, son implantation dans le champ politique s’est réalisée plus tard, au cours des années 1980. C’est notamment grâce à l’investissement controversé de Jörg Haider (élu à la tête du parti en 1986) que l’influence du parti s’est renforcée, en abandonnant en grande partie son héritage libéral, pour se recentrer sur une idéologie essentiellement national-conservatrice, de sorte que la formation d’extrême droite enregistra en 1999 son premier véritable succès électoral, arrivant deuxième aux législatives. Dès lors, la ligne du parti n’a cessé de se durcir, intégrant les questions identitaires (rejet franc de l’islam), migratoires et eurosceptiques, tout en affichant une position climatosceptique, russophile et surtout antisémite. A titre d’exemple, la direction du parti s’est prononcée contre l’accord de Paris sur le climat (2015).
Le paradoxe de la popularité de ce parti tient réside dans son héritage ouvertement néo-nazi : historiquement, les premiers dirigeants étaient directement issus des hauts gradés SS. Cependant, si Herbert Kickl adopte sur ce point une ligne extrêmement provocatrice, la loi autrichienne reste très contraignante quant à toute référence aux idéologies passées. Cela étant dit, cela n’a pas empêché le président du parti de se présenter comme le « Volkskanzler » (Chancelier du peuple), une référence directe à la dénomination d’Adolf Hitler. Ce positionnement politique extrême n’empêche pas la victoire aux législatives de septembre 2024, s’expliquant d’une part par la participation à une coalition gouvernementale en 1999 légitimant la participation politique de ce parti, et, d’une autre part, par le déclin des formations traditionnelles comme l’ÖVP (Parti populaire autrichien, démocrate-chrétien et conservateur), traversé par de nombreuses affaires de corruption depuis 2020. Enfin, la situation économique du pays (inflation record) a aussi permis au FPÖ de séduire les plus concernés.
Pourtant, cette percée dans les urnes risque de ne pas se concrétiser dans le champ du politique
Aussi impressionnante que cette réussite électorale puisse sembler, une accession de Kickl à la chancellerie (l’équivalent du Premier ministre) est loin d’être envisageable, et ce pour plusieurs raisons. D’abord, sa relation conflictuelle avec l’actuel président autrichien (Alexander van der Bellen) est un frein, puisque ce dernier a la possibilité de bloquer sa nomination et de dissoudre un gouvernement déplaisant. Toutefois, le principal point de blocage réside dans la possibilité pour le parti du chancelier actuel (Karl Nehammer, ÖVP) de créer une coalition tripartite avec les sociaux-démocrates et les libéraux ; la constitution d’un tel front républicain n’aurait par ailleurs rien d’inédit dans l’histoire politique autrichienne. Il faut garder à l’esprit que la coalition entre le FPÖ et l’ÖVP de 1999 a laissé un souvenir amer à la société autrichienne et à l’opinion européenne. En dernier lieu, cette poussée de l’extrême droite est régulièrement mise à mal par la récurrence de scandales, à l’image de la figure du militant néo-nazi autrichien Martin Sellner, récemment interdit d’entrée de territoire en Allemagne après avoir rencontré des adhérents radicaux de l’AFD.
Cela ne dément tout de même pas une vague de fond de l’extrême droite dans le monde germanophone
Il est intéressant de noter un courant similaire entre l’Allemagne et l’Autriche, qui se décline sur plusieurs aspects. Cela est avant tout perceptible dans la baisse des partis traditionnels. En Allemagne, le parti du chancelier Olaf Scholz (SPD, sociaux-démocrates) a enregistré des scores décevants lors des élections régionales de 2023 en Hesse et Bavière, et a dépassé de justesse l’extrême droite incarnée par l’AFD dans le Brandebourg en septembre 2024. Inversement, la montée de l’extrême droite se fait clairement ressentir dans les länder de l’Est, plus précisément en Thuringe où tous les partis de la coalition tricolore actuelle se sont écroulés. Néanmoins, une autre tendance partagée est la « dédiabolisation » des partis d’extrême droite, et le plus frappant est qu’elle est dans la plupart des cas facilitée par les partis républicains. En effet, en s’appropriant une partie des idées de l’extrême droite (sur les plans social, économique et migratoire) afin de récupérer des voix, ces partis légitiment indirectement les mouvances les plus radicales.
La situation en Autriche et en Allemagne n’a rien de singulier. Cette dynamique s’inscrit dans un mouvement de fond qui traverse l’Europe et remet en cause les choix politiques des partis traditionnels, ainsi que leur crédibilité face à l’émergence de formations politiques démagogiques et contestatrices. A l’avenir, il sera intéressant de suivre les négociations de coalition en Autriche afin d’établir si le front républicain, aussi disparate qu’il puisse sembler, va réussir à contenir cette progression de l’extrême droite. En effet, le Parlement autrichien a dores et déjà nommé Walter Rosenkranz, un proche de Kickl, à sa tête, le faisant accéder à l’une des plus hautes fonctions de la République.
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