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Au Xinjiang, l’enfer orwellien de la minorité Ouïghoure

Sommaire

Pour quelle raison la situation des Ouïghours est-elle aujourd’hui plus que jamais au cœur de l’actualité ? Éclairages en 3 points majeurs pour décrypter les enjeux épineux de la répression Ouïghoure.

 

Mise en contexte

Les Ouïghours turcophones et de religion musulmane sont l’une des 56 ethnies qui composent la République populaire de Chine, dominée par les Hans (92% de la population). Ils sont aujourd’hui environ 11 millions dans cette région autonome sous souveraineté de Pékin qui représente 16% du territoire. Le sinologue Jean-Philippe Béja (directeur de recherche émérite au CNRS et au CERI Science Po nous explique que : « Les Ouïghours ne sont donc pas de culture chinoise et ils n’ont été rattachés à la Chine qu’au moment de l’empire des Qing (1644-1912) ». Le Xinjiang (qui signifie “nouvelle frontière” en chinois) est intégré à l’État en 1759 et ce sont aujourd’hui les frontières que le Parti communiste chinois veut maintenir à tout prix.

La mort de Mao scelle le début d’une période d’apaisement après le terrible bilan d’une révolution qui se solde par plusieurs millions de victimes et un profond recul de l’économie du pays au détriment des libertés individuelles. Ce n’est qu’en 1995, après les émeutes d’Aksou dans le Xinjiang, que la tolérance religieuse et culturelle que favorisait Deng Xiaoping est éradiquée. Dès lors, une politique de plus en plus répressive censée lutter contre le djihadisme et le radicalisme musulman est engagée par le gouvernement. Cependant, cette politique dépasse rapidement ses prérogatives officielles en s’attaquant violemment à la culture Ouïghoure et à ses habitants au Xinjiang.

 

Répression ou génocide ?

La communauté internationale est divisée et deux visions s’opposent autour de cette controverse majeure. La répression que l’on connaît aujourd’hui est liée à l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping, Secrétaire Général du Parti Communiste Chinois depuis 2012 et président de la République populaire depuis 2013. « La politique d’internement et de répression commence véritablement en 2016 avec l’arrivée de Chen Quanguo au poste de secrétaire du Parti Communiste au Xinjiang après avoir occupé le même poste au Tibet », précise Jean-Philippe Béja. Le degré de répression a considérablement augmenté depuis son élection à ce poste.

D’un côté, les associations de défense des Droits de l’Homme comme Amnesty International ou Human Rights Watch dénoncent, dans un rapport publié en 2018, une politique d’assimilation forcée et une répression violente de la culture et de la religion Ouïghoure au Xinjiang, où viols, tortures et stérilisations forcées sont dénoncés par de nombreux spécialistes de la question. Selon eux, plus d’un million de Ouïghours (hommes, femmes et enfants) seraient aujourd’hui détenus de façon arbitraire dans des camps ressemblant à des prisons et travailleraient parfois pour des sous-traitants chinois de grandes marques occidentales. Plus grave encore, certains disparaîtraient purement et simplement. En 1945, les minorités ethniques représentaient plus de 90 % de la population au Xinjiang, contre 60 % en 2008. Cette superposition ethnique contrainte et forcée pose une fois de plus le problème de l’ingérence chinoise au sein des régions autonomes.

De l’autre, Pékin nie toute accusation mais assume une politique stigmatisant la minorité Ouïghoure dans le cadre de sa lutte contre le terrorisme et parle de « centres de formation professionnelle » créés pour lutter contre le « séparatisme » et le « terrorisme ». Lorsque des critiques sont ouvertement émises à son encontre, la Chine se fend de déclarations éhontées et lapidaires comme ce tweet posté par l’ambassade de Chine en France, en réponse au député européen Raphaël Glucksmann, qui dénonçait l’accession de l’Empire du Milieu au conseil des droits de l’homme de l’ONU : « Arrêtez de semer des troubles sur les questions liées au Xinjiang qui relèvent entièrement des affaires intérieures de la Chine. Aucun pays ni aucune force n’a le droit d’y interférer, et toutes les tentatives contre la Chine sont vouées à l’échec. »

 

S’il est certain que les rapports entre la Chine et les Ouïghours ont toujours été houleux et le sont encore peut-on pour autant parler de génocide ? 

Le mot “génocide” était déjà utilisé par des militants ouïghours car la politique chinoise vise à réduire démographiquement et sciemment leur population. Mais ce mot est désormais utilisé plus largement, notamment dans le monde académique et par Adrian Zenz, un anthropologue allemand qui, le premier, évoque un « génocide démographique » en dénonçant la stérilisation forcée des femmes ouïghoures. Ainsi, bien que le terme de « génocide » mette mal à l’aise en Europe car très connoté, il est objectivement associé aux stérilisations forcées et au contrôle des naissances, l’un des cinq critères d’un génocide (avec les meurtres, les atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale, la soumission intentionnelle ou le transfert forcé d’enfants).

Les preuves s’accumulent. En effet, une enquête d’Associated Press, publiée fin juin 2020, a établi une dynamique opposée sur les stérilisations entre la Chine et le Xinjiang. A l’échelle nationale, cette étude constate une chute de cette pratique qui ne cesse de monter en flèche dans cette région. Cette politique coercitive est influencée par les préjugés envers les minorités. Bien que les autorités tentent de la justifier par du néo-malthusianisme, à savoir la crainte que la surpopulation puisse provoquer un désastre humanitaire et écologique, il est particulièrement crucial de s’opposer à cette idéologie qui conduit aujourd’hui au génocide culturel des Ouïghours.

 

Enjeux sécuritaires et lutte contre l’islamisme en Chine

Tentons de changer de paradigme et de comprendre les enjeux géopolitiques et sécuritaire qui ont poussé l’État chinois à prendre de telles mesures envers la minorité Ouïghoure.

Le leitmotiv chinois de « lutte contre le séparatisme et le terrorisme » est récent.  C’est à partir de 2009 et les émeutes d’Urumqi (la capitale de la région) ayant conduit au massacre de près de 200 Hans en marge de manifestations Ouïghoures, suivies des attentats et attaques de gares de 2013 et 2014 ayant durement frappé les consciences chinoises, que la répression s’accentue face à la menace islamiste, soutenue par la population. La politique de Xi Jinping est bien évidemment commandée par la raison. Cette réflexion de Jean-Jacques Rousseau dans Du contrat social l’explicite parfaitement : « Céder à la force est un acte de nécessité, non de volonté c’est tout au plus un acte de prudence. En quel sens pourra-ce être un devoir ? » Cependant, face à cette menace bien réelle, la Chine use et abuse de l’étiquette « terrorisme ». Cela a toujours été un moyen de mater la contestation, systématiquement associée à ce que le régime chinois dénonce comme les « trois forces » : « séparatisme, fondamentalisme et terrorisme ». Cet amalgame permet d’étouffer tout débat sur la politique mise en place au Xinjiang, source du malaise des Ouïghours. Pékin affiche zéro tolérance pour la critique. Même si l’opinion publique sur Internet et certains médias tentent de faire contrepoids sur les décisions les plus dictatoriales, l’appareil répressif étatique l’étouffe et impose ses résolutions qui favorisent l’immigration des Chinois Hans qui concourent à un partage partial des ressources, s’attaquent à la culture et à la langue ouïghoures et enserrent les pratiques religieuses dans un carcan de régulations.

Si certaines de ces actions ont pu être menées par des individus de manière isolée, ou dans le cadre de petits groupes auto-structurés, Nicholas Bequelin, de Human Rights Watch, signale toute de même que « la pénétration d’Internet et la globalisation de la Chine ont aussi mis à disposition des plus radicaux la boîte à outils idéologique des djihadistes telle qu’elle est disséminée par le TIP (Parti islamique du Turkestan », un groupuscule installé au Pakistan qui propose de faire la guerre aux « envahisseurs chinois ». C’est majoritairement autour de cette épineuse question des frontières que se cristallisent les tensions. Le Xinjiang (ou Turkestan oriental) partage une frontière commune avec un grand nombre d’États et de régions (la Mongolie, la Fédération de Russie, le Kazakhstan, la République kirghize, le Tadjikistan, l’Afghanistan, le Pakistan, le Cachemire et l’Inde) et à l’intérieur du territoire chinois actuel, elle est également limitrophe du Tibet. Sur le plan géostratégique, cette localisation géographique met la République populaire de Chine en communication avec l’ensemble de ces espaces, ce qui, en fonction de l’environnement régional et de la situation politique peut être une source de puissance ou de faiblesse. 

Traditionnellement considérée comme une zone tampon, la région est une « première ligne de défense » protégeant initialement le nord du pays et Pékin des invasions nomades. Aujourd’hui ce sont les frontières avec le Pakistan et l’Afghanistan qui sont le point de départ de la plupart des attentats et revendications séparatistes. Le gouvernement chinois s’appuie donc sur cette violence incontestable et les troubles que cela peut engendrer pour déployer ses forces aux confins de son territoire. De plus, le Xinjiang a également pour vocation de devenir un véritable « pont » vers les régions adjacentes permettant à la Chine d’entrer en contact et de projeter son influence vers le Sous-continent indien, la Sibérie, l’Asie centrale et, au-delà, le Moyen-Orient et l’Europe.

Vous comprenez désormais pourquoi la question de l’islam radical au Xinjiang est sensible en Chine et préoccupe Pékin. Le contrôle de cette région autonome est en effet un enjeu sécuritaire et géostratégique majeur.

 

Réactions de la communauté internationale

En France, le gouvernement a tardé à prendre position. Après plus de trois ans de frilosité et sentant les lignes bouger, l’Élysée a enfin communiqué sa position. Le 06 septembre dernier, le président français dénonçait les « pratiques inacceptables qui vont contre les principes universels inscrits dans les conventions internationales aux droits de l’homme » de Pékin dans un courrier aux parlementaires. Précautionneux, le ministre des affaires étrangères Jean-Yves le Drian a quant à lui rappelé lors des questions au gouvernement du 06 Octobre 2020 l’urgence à ce que « les entreprises françaises ou européennes soient vigilantes sur le respect des droits de l’homme [au Xinjiang] ». Sans être nommées pourtant, les marques qui continuent à produire dans cette région de l’ouest de la Chine malgré les très forts soupçons de travail forcé ont donc été rappelées à l’ordre. Le ministre a pour cela rappelé que la France, depuis 2017, est dotée d’une loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, qui engage leur responsabilité en cas de violation des droits humains à une quelconque étape de leur production. 

« La diplomatie déclaratoire est importante, surtout venant du plus haut niveau de l’État » se félicite Antoine Bondaz, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique. La responsabilité de la France, membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, est de dénoncer le potentiel risque génocidaire. Et si le silence assourdissant des députés et sénateurs du groupe d’amitié France-Chine, les dérapages inacceptables, la désinformation et les insultes étaient quotidiennes avant l’exposition au grand jour de cette affaire, aujourd’hui, « l’ambassade de Chine en France a ouvert la boîte de Pandore car la Chine devient petit à petit un sujet du débat public et politique » selon Antoine Bondaz, chercheur pour la FRS.

À l’international, la position des 46 pays signataires de la déclaration de soutien à la politique chinoise visant les Ouïghours est contestable. Si la présence de la Russie, de la Corée du Nord ou de Cuba ne nous étonne guère, tout comme celle d’une myriade de pays africains soumis à la bonne volonté des relations bilatérales chinoises, il faut souligner l’abject soutien de gouvernements musulmans comme la République islamique d’Iran, la monarchie absolue islamique saoudienne ou des élites palestiniennes dont l’hypocrisie côtoie l’intolérable.

Le commerce d’organes « halals » en provenance de prisonniers ouïghours pour des acheteurs musulmans fortunés des pays cités plus haut serait, selon le rapport publié par le média américain Vice et confirmé par Raphaël Glucksmann, la principale explication de cette entente tacite. Si l’atonie d’une partie du monde musulman honore son immobilisme, quelle est la raison de ce manque de « solidarité confessionnelle » ?

Le premier élément de compréhension repose sur une opinion bridée par les régimes des pays musulmans. Sans liberté d’expression, les manifestations publiques sont impossibles. Il n’y a dès lors aucune habitude ou culture de manifester pour protester et montrer la solidarité publique dans ces pays. Cette situation ne signifie pas que le peuple ne s’émeut pas de cette situation. Cependant, cela ne change rien dans des pays dirigés par un système étatico-religieux. Un monde musulman uni sous la même bannière n’est pas encore à l’ordre du jour. Pour le moment, il s’agit du fantasme des islamistes et des islamophobes. Le second apparaît dans l’absence de réaction des États au nom de l’Islam. Ils privilégient leurs rapports diplomatiques, bien que les opinions publiques puissent être révoltées. Seuls des lobbys puissants peuvent faire changer les choses, comme la diaspora Ouïghoure en Turquie, si puissante qu’elle a poussé Erdogan à manifester son mécontentement. En d’autres termes, pour les États musulmans, le dossier ouïghour est plus un problème qu’une solution dans leur rapport à la Chine

En Occident, ce sont les États-Unis par la voix de Mike Pompeo qui ont condamné le plus énergétiquement les répressions chinoises à l’encontre des musulmans ouïghours. Les révélations récentes du New York Times sur l’existence du système concentrationnaire n’a pour conséquence que l’exacerbation des rivalités sino-américaines qui tendent vers une bipolarisation du monde. En marge du Conseil des droits de l’homme à Genève, le « génocide culturel » a été condamné par les États-Unis, l’Allemagne, le Royaume-Uni, les Pays-Bas et le Canada.

Les réactions restent cependant timorées là où s’emmêlent les intérêts diplomatiques et économiques. Pour compenser le manque de dynamisme de la part des instances officielles de nombreuses personnalités -publiques ou anonymes- ont posté des images bleues sur les réseaux sociaux, accompagnées du mot-clé #FreeUyghurs. Ce militantisme de l’autosatisfaction, propre à notre époque, détonnera toujours par sa platitude mais il a le mérite de donner de la visibilité à ce sujet. Citons Gustave Le Bon qui, dans Hier et Demain, affirmait que « L’inaction morne de certains hommes rebelles à tout effort ne diffère pas sensiblement du repos de la tombe. Ces morts vivants n’ont de la vie que l’apparence. » En effet, la dénonciation est nécessaire et utile mais sans action concrète lui succédant, aucun problème ne se résoudra jamais. Concernant la répression des ouïghours il faut agir, et vite.

 

Conclusion

Face à l’agressivité politique de Xi Jinping qui, depuis son arrivée au pouvoir, a renforcé tous les aspects totalitaires du régime (de la société civile à l’expérimentation abusive des nouvelles technologies) et étend son influence dans les régions autonomes, la communauté internationale balbutie. L’oppression Ouïghoure en témoigne, personne n’ose se dresser vent debout contre la Chine et une chose est sûre, ce n’est pas en se bandant les yeux que l’on résoudra le problème.

Maxence Bonnet, membre de l’association UN’iversal

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Dorian Zerroudi
Co-fondateur d'elevenact (Mister Prépa, Planète Grandes Ecoles...), j'ai à coeur d'accompagner un maximum d'étudiants vers la réussite !