Culture générale 2022 : Husserl et le « Monde de la vie »

« Le monde », thème de culture générale de cette année, est un sujet vaste. De nombreux auteurs l’ont abordé sous des prismes très variés. La perspective d’Husserl dans La Terre ne se meut pas est pour le moins intéressante et ce pour plusieurs raisons. D’abord car l’ouvrage est relativement peu connu mais aussi parce que l’auteur y fait une approche originale en réfléchissant sur l’origine de la spatialité et sur le « Monde de la vie ». On peut enfin ajouter la critique de la science copernicienne qui y est faite. Cet article présente une thèse qui pourrait s’avérer utile pour certains sujets cette année.

« La Terre ne se meut pas. »

Dans ce livre, Husserl montre que l’expérience que nous avons du mouvement et du repos des corps quelconques suppose une Terre absolument immobile. C’est uniquement par rapport à elle que mouvement et repos peuvent prendre sens. Cette Terre, c’est « l’arche originaire », de laquelle découle tout mouvement. À partir de là, Husserl s’efforce de construire un concept de l’espace qui ne soit pas celui de la géométrie et des sciences de la nature, mais plutôt celui de cet espace dans et par lequel nous faisons l’expérience de notre propre corps, espace qui est au fondement phénoménologique de la spatialité des sciences physiques.

La critique de la spatialité copernicienne

La Terre « est une des étoiles de l’espace infini du monde ». Pour Husserl, la doctrine copernicienne va à l’encontre de notre rapport au monde, elle nous dévie de notre expérience originaire. En d’autres termes, la science moderne nous a privés du référentiel premier, la « Terre-sol » a été remplacée par la « terre-corps ». Il s’agit de revenir à la Terre-sol pour faire l’expérience de la seconde. Alors que la Terre était ce berceau où se développait toute forme de vie, un refuge en somme, elle en est venue à n’être plus qu’un corps en mouvement relatif dans l’espace infini du monde.

Husserl dégage les motifs philosophiques de cette transformation historique à travers le moment galiléen qui a donné lieu à la mathématisation du monde (c’est le passage de la science classique à la moderne, d’un rapport au monde à un autre. Il ne faut pas oublier : le réel est le corrélat des idéalités). On aboutit à une représentation plus abstraite du monde, plus objectivée, mais aussi plus claire, plus compréhensible. Cette révolution a provoqué une dissociation entre le monde perçu et la connaissance scientifique. Elle est également à l’origine de l’éclatement du savoir et de la parcellisation des sciences.

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Retrouver l’arche originel

La Terre s’apparente donc chez Husserl à une arche (on retrouve une dimension spirituelle et cosmologique ici, de nombreuses allusions bibliques y sont faites). Nous, en tant qu’hommes, devons chercher à retrouver la « Terre-refuge », le lieu d’habitation. Il y a ici une injonction à l’immobilité. Toutefois, nous demeurons fermement ancrés dans le système copernicien. Il faut donc trouver un fondement à cette thèse afin de garder notre humanité, notre ancrage dans le monde.

Le monde selon Husserl

Husserl a une vision très subjective du monde. Celui-ci existe essentiellement sous forme de représentations. Le paysage est la limite de son monde. La notion de paysage est très importante en géographie, elle ne désigne pas seulement le champ spatial perçu par l’expérience sensible, mais s’accompagne insidieusement d’une forte subjectivité, allant du simple préjugé à la mémoire et aux émotions). On comprend alors que le monde tel qu’on le perçoit est dénué de toute objectivité. Chacun le voit à sa façon, chacun a son propre rapport à lui.

Pour mieux comprendre, on pourra citer Merleau-Ponty qui y fait référence de nombreuses fois, dans ses cours comme dans ses œuvres. « La Terre est la souche où s’engendrent les objets. Elle n’est ni mobile ni au repos, elle est en-deçà: un être qui contient toutes les possibilités ultérieures, un berceau, ce que notre connaissance a effacé ». Celle-ci est ainsi définie comme une ouverture, un lieu sans lequel on ne pourrait exister, un préalable au monde, alors même qu’elle n’en est qu’une infime partie. On ne peut exister et penser que par rapport à ce sol d’expérience: « la Terre est la racine de notre histoire, elle est porteuse de tout le possible. » poursuit Merleau-Ponty.

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Le sens de ce monde

En résumé, le monde d’Husserl, c’est le « Monde de la vie » , l’origine, le sol de toute connaissance scientifique (ce qui est paradoxal d’ailleurs, car la connaissance est censée nous ouvrir l’accès au monde). Le philosophe autrichien prône donc le retour de la science vers le monde perçu. Ce monde de la vie, c’est le monde culturel avec une signification qui nous précède. C’est un monde intersubjectif, un monde de la pluralité humaine, qui contient toute la sédimentation des actes, pensées, antérieurs à la connaissance. C’est une réalité à la fois biologique et spirituelle.

Husserl distingue ainsi deux sphères distinctes : un monde culturel fait d’historicité et de pluralité et un monde perceptif, antérieur au jugement, celui de la 1ère connaissance.

Le monde de la vie, c’est le monde avant la formalisation scientifique, avant la conceptualisation, le monde dans lequel l’homme est en prise directe sur le réel. Ce monde permet de donner un sens à toute pratique humaine, il est un donné, il nous précède. Ce qui en est la condition, c’est la présence de l’homme au monde.

« Nous marchons sur le sol terrestre. Mais notre Terre n’est-elle qu’une planète parmi d’autres ou l’arche absolument immobile qui rend possible le sens de tout mouvement et de tout repos? Nous marchons dans un espace où le mouvement et le repos des corps renvoient à un centre de référence qui se confond avec ma chair. L’espace n’est-il pas alors constitué à partir des divers modes de mon incarnation et des différents champs de ma sensibilité? Nous marchons au milieu de choses. Dès lors, comment se constitue, sur le fondement du présent de ma perception, le monde environnant qui m’est extérieur ? » Husserl.

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