Après deux cents ans de domination occidentale favorisée par les révolutions industrielles successives, depuis les réformes d’ouverture économique initiées par Deng Xiaoping en 1978, on assiste au retour de la Chine sur l’échiquier mondial. Profitant en 2008 de la crise financière des subprimes, l’empire du Milieu devient la deuxième puissance économique mondiale en 2010, dépassant ainsi le Japon. Depuis lors, la Chine ne cesse d’affirmer son ambition – devenir la première puissance mondiale – avec une date précise en tête : les cent ans du parti communiste chinois.
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Des capacités chinoises qui se développent en tous domaines
La Chine apparaît aujourd’hui comme l’une des deux puissances globales avec les Etats-Unis. En effet, la puissance chinoise se manifeste aujourd’hui dans tous les domaines ; elle a également vocation à étendre son influence sur le monde entier avec un réseau diplomatique important et une extension territoriale via les nouvelles routes de la soie.
Cette volonté de devenir une puissance complète débute sous la présidence de Hu Jintao et se renforce sous le président actuel, Xi Jinping. On assiste à une montée en gamme dans les domaines financier et économique – la Chine représente 17% du PIB mondial en 2023 et incarne l’une des principales mannes financières pour les pays du Sud -, ce qui a d’ailleurs pu faire l’objet de contestation comme par exemple avec le port du Hambantota situé au Sri Lanka, désormais placé sous contrôle chinois.
Cette politique agressive a permis à l’empire du Milieu de développer son réseau commercial avec les BRI (Belt and Road Initiative). Cette expansion commerciale et les flux de marchandises associés sont devenus cruciaux pour l’économie chinoise et nécessitent notamment une protection accrue. La Chine a alors fortement investi dans ses capacités militaires et en particulier dans les forces navales : tous les quatre ans, la Chine met à l’eau l’équivalent de la Marine française. Elle compte ainsi parmi les plus grandes flottes à l’échelle mondiale.
Cette modernisation rapide a également permis au pays de se moderniser, profitant des savoir-faire occidentaux. En effet, tirant profit de la naïveté occidentale, la main-d’œuvre chinoise a pu se former au gré des délocalisations des industries occidentales, et cela quel que soit le domaine.
Un véritable rattrapage technologique a donc eu lieu et les investissements massifs dans la R&D associés à une main-d’œuvre peu coûteuse ont permis à la Chine de se positionner comme leader dans des domaines stratégiques à l’instar de l’intelligence artificielle, des énergies renouvelables comme les panneaux photovoltaïques et les batteries. Cette puissance économique et sa présence globale lui permettent de retrouver une influence certaine sur la scène mondiale et son fonctionnement.
Forte de son statut de membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU et d’une présence dans quasiment toutes les agences onusiennes, la Chine envisage la possibilité de profiter de l’affaiblissement américain et occidental pour créer un système alternatif dont nous pouvons déjà retrouver certains éléments fondateurs tels que l’Organisation de coopération de Shanghai, le forum de coopération sino-africaine, etc.
Les intentions impérialistes chinoises sont symbolisées par un projet qui dépasse le simple cadre terrestre : la conquête spatiale. En effet, de nombreux programmes d’exploration lunaire et martienne, vols habités, lancements de satellites à vocation scientifique, commerciale ou militaire voient le jour et sont soutenus par la puissance publique qui encourage des acteurs issus du secteur privé à s’engager dans ce projet.
Changer son image : le nerf de la guerre pour Pékin
Depuis le début de sa présidence en 2012, Xi Jinping a accéléré la politique de Hu Jintao consistant à affirmer davantage la puissance de la Chine sur la scène internationale. Alors que le Secrétaire général du Parti communiste chinois multipliait les références aux humiliations subies par son pays comme la guerre de l’opium, c’est en 2018 qu’il affirme “un grand pays comme le nôtre mérite de grandes ambitions”.
Cette quête de reconnaissance se manifeste notamment par une attention particulière portée aux classements internationaux. La Chine cherche à y être la mieux représentée possible, que ce soit dans les classements des médailles olympiques, ou dans les domaines où elle est déjà leader tels que le classement des universités, des think tanks, du “développement vert”.
Cependant, cette affirmation peut aussi prendre une tournure plus agressive à travers l’envoi des “loups guerriers”, ces diplomates chinois se montrant très belliqueux sur les réseaux sociaux symbolisant une attitude plus décomplexée de la Chine envers le monde occidental. En plein conflit ouvert avec les États-Unis, la Chine n’hésite plus à leur répondre du tac-au-tac et à, elle aussi, leur imposer des sanctions.
Ces sanctions permettent notamment à la Chine de s’opposer aux puissances hégémoniques traditionnelles. En effet, le pays se décrit comme un “hégémon bienveillant”. Pour y parvenir, l’empire du milliard a considérablement augmenté sa participation aux institutions internationales, tandis que les États-Unis ont réduit la leur sous le mandat de Donald Trump.
Sa population nombreuse lui permet de fournir de nombreux soldats et sa croissance économique se reflète dans l’augmentation de sa contribution au budget de l’ONU. Pékin s’est ainsi achetée une réputation internationale pour son rôle dans les opérations de maintien de la paix de l’Organisation des Nations Unies mais aussi à travers d’autres initiatives telles que la “diplomatie des vaccins”.
Les aides que le Chine accorde ne sont pas soumises à des mesures de dérégulation associées à des plans d’ajustement structurel ni à une uniformisation des valeurs. L’ancien secrétaire au Trésor, Larry Summers, relatait les propos d’un décideur d’un pays du sud : “la Chine nous donne un aéroport. L’Amérique nous donne une leçon de morale”. Ces actions sont appuyées par les propos de Xi Jinping qui affirme que son pays “fut, est et restera toujours un bon voisin, un bon ami, un bon partenaire”.
La Chine se positionne ainsi comme un champion des pays du Sud Global, cet ensemble de pays hétérogènes non-alignés. Malgré son poids économique, la Chine est admise dans ce groupe en raison de l’impérialisme qu’elle a subi.
Depuis la Guerre Froide, Pékin promeut par exemple l’autodétermination des pays africains et soutient encore plusieurs mouvements d’indépendance dans la région. Sa présence sur le continent se manifeste principalement par l’octroi de prêts ou la construction d’infrastructures. Depuis 2013, c’est à travers les nouvelles routes de la soie que ces projets sont mis en place initialement en Afrique du sud-est puis sur tout le continent, en Asie et en Amérique latine.
Lors du Forum 2023 des nouvelles routes de la soie, Xi Jinping les présente ainsi : “Elles favorisent la connectivité, les avantages mutuels, le développement commun, la coopération et les résultats gagnant-gagnant. La confrontation idéologique, la rivalité géopolitique et la politique des blocs ne sont pas un choix pour nous”. La balance commerciale entre le géant asiatique et les pays concernés par ce projet est relativement équilibrée. Dans le cas du “sous-continent”, il existe même un léger excédent de 2 milliards de dollars en faveur de l’Amérique latine.
Une puissance qui reste contrariée
La puissance de l’empire du Milieu pourrait sembler limitée en comparaison aux grands empires du siècle précédent : le Royaume-Uni et les États-Unis. En effet, leur hégémonie reposait sur trois piliers : la domination du commerce et de la finance à l’échelle mondiale, la suprématie navale et la culture.
Pour le premier pilier, la Chine, puissance de la terre historique, concentre ses efforts sur le développement de sa Marine depuis l’arrivée au pouvoir de Deng Xiaoping. En ce qui concerne le commerce et la finance, le projet des “routes de la soie” symbolise la réorganisation des flux commerciaux mondiaux à l’avantage de Pékin.
Pour autant, ce pilier reste incomplet. Les bourses chinoises ne rivalisent pas avec les places financières occidentales, l’Europe joue encore le rôle d’empire normatif, le yuan n’est pas encore totalement considéré comme une valeur refuge… De plus, comme le disait Xi Jinping, “La Chine ne peut se porter bien que si le monde se porte bien”.
Cependant, les États-Unis, en abandonnant leur rôle de gendarme du monde, ont laissé place à un retour à la “normalité”, synonyme de chaos, ce qui n’est pas favorable aux ambitions commerciales chinoises selon Robert Kagan. Enfin, la culture mondiale reste encore très largement basée sur les mœurs occidentales, et en particulier américaines, et c’est dans ce domaine que la Chine a le plus de retard.
A ces limites s’ajoutent de nombreuses contestations face au géant asiatique. Tout d’abord, les contestations internes représentent une menace pour le régime actuel. Comme le souligne Stéphanie Balme, la société chinoise est divisée sur les plans ethnique, social et générationnel, et la crise de Hong Kong en 2020 en est un exemple probant.
Cependant, malgré ces divisions, la confiance des citoyens reste élevée, comme en témoigne le taux de croissance chinois de 8,3% au premier trimestre 2024, reflétant l’optimisme des consommateurs.
Deuxièmement, les oppositions extérieures constituent un défi pour la Chine. Les États-Unis, en particulier, mènent la contestation et permettent à une grande partie de l’Asie du sud-est de résister à la pression chinoise, entravant ainsi ses projets dans la région. L’Inde, quant à elle, cherche à prendre la tête des pays émergents et à supplanter la Chine, sans oublier les tensions ouvertes entre les deux pays au niveau de l’Arunachal Pradesh.
Malgré des tentatives de rapprochement, Pékin reste mal perçue en Europe en raison du durcissement de sa politique étrangère et de sa position dans la guerre en Ukraine. Enfin, les voisins de la Chine expriment également des résistances et des inquiétudes. Parmi eux, se trouvent Taïwan, le Japon, l’Australie et le Vietnam.
Face à ces nombreux défis, la course à l’hégémonie mondiale est peut-être relancée. D’une part, les États-Unis ont tardé à réagir face à la puissance chinoise. Conscients de leurs difficultés à surpasser la Chine sur le plan économique en raison de l’influence du néolibéralisme et de la polarisation de la politique américaine, ils auraient choisi une autre stratégie, selon Jan Krikke.
Les États-Unis ouvriraient ainsi des fronts de guerre à l’étranger, prétendant défendre les droits de l’homme ou la démocratie, mais dans le but réel de détourner l’attention de l’opinion publique mondiale. Cependant, comme l’affirme Paul Kennedy dans son livre The Rise and Fall of the Great Powers, le déclin des pays résulte souvent d’une surextension de leur puissance en étendant leurs engagements militaires au-delà de ce qu’ils peuvent supporter.
D’autre part, l’Inde est devenue la première puissance démographique mondiale en 2023 au détriment de la Chine avec 1,43 milliard d’habitants. Cette croissance démographique soutient le développement économique du pays, qui aspire à devenir la troisième économie du monde d’ici 2030, alors qu’elle était encore dixième en 2010.
Le contexte géopolitique lui est aussi favorable. La guerre en Ukraine a fait de l’Inde un contrepoids face à Pékin et Washington. Bien qu’elle se rapproche de ce dernier au vu de l’agressivité chinoise, elle partage avec la Russie et la Chine un objectif commun : rééquilibrer le rapport de force mondial jugé encore trop occidental.
Ainsi, la Chine se place comme seule rivale crédible à l’hégémonie américaine. Le développement de structures et institutions alternatives et concurrentes au modèle proposé par les Etats-Unis est l’illustration parfaite de l’esprit de revanche qui anime Xi Jinping.
En effet, la Chine souhaite reprendre la place qui était la sienne avant les humiliations subies lors du XIXème et de la première moitié du XXème siècles. Cet esprit de revanche est détaillé par Dominique Moïsi dans Géopolitique de l’émotion. Il y distingue deux blocs : un bloc de l’espoir (et de la revanche) qu’incarne la Chine et un bloc de la peur incarné par l’Occident et en particulier les Etats-Unis.
Cette confrontation entre les deux blocs peut laisser craindre une escalade des tensions d’après certains spécialistes tels que Pascal Boniface, avec en toile de fond le piège de Thucydide. Ce dernier explique notamment que lorsqu’une puissance hégémonique se voit contestée par un outsider, la confrontation militaire devient inévitable et est le plus souvent provoquée par la puissance dominante. Ainsi, plus nous nous approchons de 2049, plus le risque de conflit direct entre les deux est élevé. Des territoires comme Taiwan pourraient être l’exutoire de leurs ambitions. Reste à savoir si la Chine aura les moyens de ses ambitions, ou passera son tour comme l’URSS d’antan.
Nous remercions l’association GEM ONU, partenaire de Mister Prépa et un de ses rédacteurs François Forquet, pour l’écriture de cet article.
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