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La concurrence fiscale en Europe

Sommaire

Dans cet article, nous te proposons de découvrir la forte concurrence fiscale qui existe entre les 27 pays membres de l’Union européenne (UE) – certains États étant même considérés comme des paradis fiscaux.

 

Le partage des compétences au sein de l’UE rend l’harmonisation fiscale presque illusoire

Au sein de l’Union européenne, il existe trois types de compétences :

  • Les compétences exclusives. Il s’agit des compétences que seule l’UE doit gérer, et plus du tout les États. Ex: la politique monétaire, ou encore la politique de la concurrence.
  • Les compétences partagées. Les Etats membres et l’UE peuvent intervenir conjointement, en évitant toute contradiction. Ex: l’énergie, ou encore la politique environnementale. C’est d’ailleurs depuis le traité de Maastricht de 1992 qu’existe le : principe de subsidiarité pour ce type de compétences. Ce principe exclut l’intervention de l’Union lorsqu’un sujet peut être réglementé de manière efficace par les États membres eux-mêmes.
  • Les compétences réservées. Ici l’État-nation garde l’entièreté de la compétence. Et si, éventuellement, on voudrait une politique commune pour une de ces compétences, il faudrait absolument un vote à l’unanimité. La FISCALITÉ fait partie de ces compétences. Ainsi les politiques fiscales sont de la responsabilité des États et les décisions européennes dans ce domaine doivent être prises à l’unanimité. L’harmonisation fiscale européenne se heurte donc à des difficultés.

 

Une course à la facilitation fiscale en Europe

La libre circulation des capitaux, des produits et des services est une règle de base du marché unique européen. Certaines grandes entreprises, capitaux financiers, ou personnes peuvent ainsi choisir beaucoup plus librement leurs lieux d’implantation, de résidence et d’imposition. Cela pousse les États à mettre en œuvre des politiques fiscales avantageuses pour attirer ces acteurs économiques sur leurs territoires.

Tout d’abord, ils vont pouvoir rogner de plus en plus les taux d’imposition pour attirer les entreprises étrangères. Dans 109 juridictions analysées par l’OCDE, le taux légal de l’impôt sur les sociétés était de 20,6 % en moyenne en 2020, contre 28 % vingt ans plus tôt. En Europe, l’Allemagne a par exemple énormément réduit son taux, en l’abaissant de plus de 20 points de pourcentage entre 2000 et 2020.

De plus, des pays comme l’Irlande ou le Luxembourg sont la destination d’une quantité d’investissements directs à l’étranger (IDE). En 2020, ces IDE représentaient 338 % du PIB en Irlande et 856 % au Luxembourg, contre 32% pour la France par exemple. On peut donc imaginer que ces pays ont des mécanismes spécifiques pour attirer les investissements. En effet, en plus de rogner leurs taux d’imposition, le Luxembourg et l’Irlande connaissent bien la pratique du “ruling”. Un ruling est un accord qu’une entreprise conclut avec l’administration fiscale, et qui établit les modalités de son imposition, bien souvent pour que ce soit très avantageux.

Et puis, les actifs incorporels – comme la propriété intellectuelle, les marques ou les brevets – sont taxés différemment des autres bénéfices dans beaucoup de pays, ce qui peut permettre à une entreprise de réduire ses impôts en localisant ses actifs immatériels dans des Etats à la fiscalité avantageuse.

 

Des paradis fiscaux au sein même de l’Union européenne ?

Les avantages fiscaux proposés par certains États européens – ou certains territoires étroitement liés à des États européens, comme les Îles britanniques – sont tels qu’ils sont considérés par certains comme des paradis fiscaux même s’ils ne font pas partie de la liste officielle établie par l’OCDE. Par exemple, Oxfam a élaboré sa propre liste. Au total, on retrouve 58 pays qui remplissent des critères établis par des organisations ou des institutions internationales de référence comme le FMI, la Banque des règlements internationaux, la Commission européenne, ou l’OCDE. Pour les avantages fiscaux les plus importants : (1) Bermudes (2) Îles Caïmans (3) Pays-Bas (4) Suisse (5) Singapour (6) Irlande (7) Luxembourg (8) Curaçao (9) Hong Kong (10) Chypre (11) Bahamas (12) Jersey (13) Barbade, (14) Maurice et (15) Îles Vierges britanniques.

Ainsi, le problème est devenu si sensible que la Commission européenne travaille depuis 2012 sur un plan d’action pour lutter contre la fraude et l’évasion fiscales. L’institution européenne appelle ses membres à se coordonner davantage pour protéger leurs assiettes fiscales et récupérer les milliards d’euros auxquels ils peuvent légitimement prétendre.

Cette lutte s’appuie sur les engagements du G20 au sommet de Mexico de 2012 qui ont débouché depuis sur différents projets. Dans l’Union européenne (UE), cela s’est traduit par la proposition d’une « Assiette commune consolidée pour l’impôt des sociétés » (ACCIS). Il s’agirait d’avoir une sorte d’harmonisation fiscale au sein de l’Europe. Or, comme vu précédemment, les idées d’harmonisation fiscale ne marchent pas vraiment parce que la fiscalité est une compétence réservée. Et, comme il faudrait un vote à l’unanimité, on imagine bien que des pays comme l’Irlande et le Luxembourg veulent absolument garder cette compétence.

 

Lire plus : Les paradis fiscaux (partie #1)

 

Le Luxembourg : un paradis fiscal ?

Même si, selon l’OCDE, le Luxembourg n’est pas un paradis fiscal, de nombreux observateurs – dont Oxfam ou encore Le Monde, considèrent qu’il en est bel et bien un. En effet, il offre différents dispositifs pour optimiser l’impôt. Le taux légal d’imposition des sociétés y est officiellement de 25 %, mais, en réalité, du fait des possibilités d’optimisation, il n’est que de 1 % ou 2 %.

Pourtant, c’est vrai que, depuis quelques années, le Luxembourg coopère au niveau européen. Par exemple, une directive votée par l’Union européenne en 2018 a exigé la création de registres publics des propriétaires réels des sociétés dans tous les Etats membres ; et le Luxembourg a été l’un des premiers à l’appliquer, en rendant public son registre à l’automne 2019.

Malgré ces efforts, l’enquête OpenLux, menée par Le Monde en collaboration avec seize autres journaux, a révélé à nouveau – ie, après les LuxLeaks de 2014 –les caractéristiques de paradis fiscal du Luxembourg, en février 2021.

On estime que près de la moitié des entreprises commerciales enregistrées dans le pays sont de pures holdings financières, des sociétés offshore totalisant pas moins de 6 500 milliards d’euros d’actifs. De nombreux milliardaires, artistes, sportifs mais aussi groupes criminels profitent des conditions fiscales avantageuses proposées par le Luxembourg afin d’échapper aux règles de leur pays. Ce sont d’ailleurs les français qui y possèdent le plus de sociétés fictives, avec un total de 17 000 sociétés. On y retrouve notamment 37 des 50 familles françaises les plus riches, mais aussi des entreprises bien connues comme Yves Rocher, Hermès, JCDecaux ou Decathlon.

 

La République d’Irlande et Apple

La République d’Irlande était le pays le plus pauvre de l’UE au moment de son entrée au sein de la CEE en 1973. Aujourd’hui, néanmoins, son PIB/habitant est bien supérieur à la moyenne. Plusieurs éléments peuvent expliquer cette évolution. En effet, l’Irlande a pu rattraper son retard économique grâce aux politiques de cohésion européenne, ou grâce à différentes politiques nationales, comme la réforme du système éducatif, le développement d’un système équitable des impôts – qui a été accepté par la population –, mais aussi grâce à de très faibles impositions des entreprises. Avec un impôt sur les sociétés à 12,5 %, l’Irlande sait attirer les sièges sociaux de nombreuses multinationales qui, souvent, ne payent même pas ce taux plancher.

Prenons le cas d’Apple : 

Pour échapper à la fiscalité, la majorité des bénéfices d’Apple était affectés à un siège en Irlande qui n’existait que sur le papier. Autrement dit, l’entreprise enregistrait toutes les ventes en Irlande plutôt que dans les pays où ses produits étaient véritablement vendus. Cela a permis à Apple de bénéficier d’un traitement fiscal favorable et d’échapper à la quasi totalité des impôts, grâce à un accord passé avec les autorités de Dublin. Apple aurait ainsi appliqué « un taux d’imposition sur les sociétés de 1 % sur les bénéfices européens en 2003, taux qui a diminué jusqu’à 0,005 % en 2014 », selon la Commission européenne.

Bruxelles a alors exigé qu’Apple rembourse les 13 milliards d’euros d’avantages fiscaux à Dublin. Mais le Tribunal de l’UE a annulé ce remboursement, en s’appuyant sur les arguments d’Apple et de l’Irlande. Et, depuis, la Commission européenne a annoncé faire appel de l’arrêt des juges de l’UE. Pendant ce temps, les 13 milliards d’euros se retrouvent sur un compte gelé, en attendant une décision finale de la justice européenne.

 

Malte ou le règne de l’optimisation fiscal

Plus petit pays de l’Union européenne, Malte voit éclater depuis quelques années des scandales de corruption sur fond d’accusations d’évasion fiscale venues de toute l’Europe. La journaliste Daphne Caruana Galizia enquêtant sur ces sujets y a d’ailleurs été assassinée en octobre 2017.

Pour revenir un petit peu sur le contexte, Malte est indépendante depuis 1964, et, en 1974, les forces britanniques se sont retirées définitivement. Le pays a alors dû construire de manière autonome une stratégie de développement économique après avoir vécu sous protectorat pendant très longtemps. Malte va d’abord vouloir se concentrer sur la sous-traitance industrielle avec le textile ou l’électronique, puis l’industrie pharmaceutique, jusque dans les années 1990. Mais elle a ensuite été concurrencée par les pays d’Asie du Sud-Est qui proposaient une main-d’œuvre encore moins chère.

Dans un second temps, Malte s’est reconvertie dans le tertiaire (surtout le tourisme). Or, le pays étant tout petit (316 km2) et doté d’un marché domestique très étroit, la seule manière de développer les services était de jouer un rôle d’intermédiaire. Cette stratégie s’est déclinée dans un grand nombre de secteurs : pavillons de complaisance, finance offshore, immatriculation de sociétés, vente de passeports… en contournant légalement les règles internationales. Le pays s’est donc placé, comme bon nombre de pays insulaires, à la limite entre le légal et l’illégal. On a pu d’ailleurs retrouver Malte dans le cadre des « Panama Papers » et des « Paradise Papers ».

Malte conteste fermement le fait d’être un paradis fiscal ; mais c’est jouer sur les mots, car elle propose une fiscalité extrêmement avantageuse. Par exemple, c’est seulement 5% d’impôts sur les bénéfices des sociétés, et il est très facile d’y ouvrir une société donnant droit précisément à ces avantages fiscaux. Ce n’est peut-être pas un paradis fiscal au sens strict du terme, mais disons que c’est le règne de « l’optimisation fiscale ».

 

Lire plus : Les paradis fiscaux (partie #2)

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Clara Delozière
Etudiante à l'ESCP et à jamais reconnaissante de tout ce que la prépa m'a apporté, j'ai à coeur de vous accompagner à mon tour vers la réussite. Soyez fier de vous après vos années de prépa !