Restaurants et bars fermés, chute historique du PIB, recours massif au chômage partiel de longue durée… A l’heure où les Etats peinent à voir le bout de la crise sanitaire et économique qui frappe le monde depuis début 2020, il semble difficile d’imaginer que les conséquences de la crise de la Covid puissent s’ancrer encore plus durablement dans le temps. Pourtant, c’est bien ce qui risque de se passer, car malgré le plan de relance historique de 100 milliards d’euros annoncé par l’Etat français, il a fallu emprunter massivement pour pouvoir sortir l’économie de la récession. Or, comme le rappelait Emmanuel Macron en 2018, « il n’y a pas d’argent magique » ; en somme, il va bien falloir se débarrasser de cette dette un jour ou l’autre. Analyse de la nouvelle épée de Damoclès qui plane au-dessus des Etats.
Quand la dette gonfle…
Fixée à 98% du PIB en 2019, la dette française s’est depuis envolée à 115% du PIB, et pourrait même tendre vers les 140% à l’avenir. La crise de la Covid consacre l’entrée de la France dans le monde de l’hyperdette, conséquence du plan de relance massif (et nécessaire) de l’Etat pour sortir au plus vite le pays du marasme économique. Si l’emprunt est un moyen facile pour l’Etat de financer un tel plan de relance et permet d’éviter un effet procyclique, conséquence d’un financement par l’impôt, il ne s’agit pas pour autant d’une pratique sans risques pour l’avenir. En effet, L’endettement massif des Etats a pour première conséquence de diminuer drastiquement leurs marges de manœuvre en cas de choc économique. On l’a très bien vu avec la crise de la Covid ; l’Allemagne, dont le rapport dette/PIB oscillait entre 55 et 60% en 2019, devrait retourner à son niveau de production d’avant crise dès cette année, après avoir connu une récession de 5.4% en 2020. La France, en revanche, dont la dette représentait presque 100% du PIB au début de la crise, a connu elle une chute historique de 10% du Pib en 2020, la suppression d’un million d’emplois, plus l’entrée d’un autre million de travailleurs dans le chômage partiel de longue durée. Cette situation risque d’accroître la fracture déjà bien visible en Europe entre les pays du Nord, peu endettés, qui ont donc mieux géré la crise, et les pays du Sud. Deuxièmement, cette hausse drastique du niveau de la dette risque de poser un sérieux obstacle à la reprise économique. En effet, il paraît peu probable que les pays européens puissent continuer à s’endetter à taux zéros voire à taux négatifs éternellement, de même que la BCE cessera sûrement un jour de racheter les titres de dettes des pays européens en difficulté, d’autant que les pays du Nord connaîtront sûrement une situation plus saine sous peu. La BCE a d’ailleurs annoncé restreindre ses rachats de dettes publiques dès mars 2022 si la situation économique le permettait.
Supprimer la dette: fausse bonne idée ?
Si aujourd’hui plusieurs théories affirment qu’il est possible de supprimer purement et simplement la dette des Etats, il faut bien comprendre que cette opération serait à coup sûr extrêmement lourde de conséquences. D’abord, parce que cette dette correspond à une épargne : si quelqu’un a emprunté, c’est que quelqu’un a prêté, donc supprimer la dette, c’est supprimer l’épargne du débiteur. Il est alors important de connaître dans le détail les détenteurs de la dette, avant de pouvoir prôner sa suppression. En 2019, selon la Banque de France, la détention de la dette publique française s’articulait ainsi : 24.8% était détenue par les banques et compagnies d’assurances françaises, 1.5% par les OPCVM (Organismes de Placement Collectif en Valeur Mobilière), 20% par d’autres détenteurs français, dont les ménages, et 53.6% par des organismes étrangers (fonds d’investissements…) dont 3% directement par la BCE. De cette façon, on se rend compte qu’il serait d’une part extrêmement compliqué d’appliquer une telle mesure, étant donné que plus de la moitié de la dette publique est détenue par des organismes étrangers. Mais aussi, d’autre part, supprimer la dette publique reviendrait à condamner l’épargne des classes moyennes, ce qui n’irait pas sans conséquences économiques et politiques. Ensuite, même s’il est vrai que la BCE, par le biais de son plan d’assouplissement quantitatif (Quantitative Easing), a racheté une part importante des titres de dettes des Etats, supprimer cette part pourrait gravement miner la confiance dans la monnaie, en l’occurrence dans l’euro (ce que les allemands par exemple craignent par-dessus tout), mais aussi couper les possibilités d’emprunts futurs des Etats sur les marchés faute de confiance en leur solvabilité.
Quand la dette disparaît d’elle même
Une autre idée consiste à se dire que l’Etat pourrait se contenter d’attendre plutôt que de faire les efforts nécessaires au remboursement de la dette. D’abord, parce que l’Etat n’est pas un emprunteur dit « classique ». En effet, contrairement à un ménage ou une entreprise, la « durée de vie » d’un Etat est illimité, ce qui signifie, concrètement, qu’un Etat peut emprunter pour rembourser une dette précédente, on dit alors qu’un pays fait « rouler sa dette ». En somme, l’Etat ne rembourse pas sa dette, mais se contente de la reporter dans le futur. D’autant plus qu’aujourd’hui, avec des taux d’intérêts historiquement bas, cette possibilité pourrait s’avérer avantageuse pour les Etats lourdement endettés, puisque la charge de leur dette n’augmenterait pas, et pourrait même diminuer dans le cadre d’un endettement à taux négatifs. Deuxièmement, certains considèrent que l’inflation pourrait suffire à rembourser la dette. En effet, l’inflation contribue à ronger les taux d’intérêts réels, et dès lors, la charge de la dette diminue d’elle-même. Le problème, c’est que ces deux possibilités ne sont pas aussi simples. En fait, même si l’Etat a une durée de vie illimitée et peut emprunter pour rembourser sa dette, ce système peut s’avérer extrêmement dangereux lorsque les taux d’intérêts remontent : à mesure que l’Etat rembourse sa dette, cette dernière gonfle ; c’est l’effet boule de neige. Or, les taux d’intérêts, on l’a vu, sont aujourd’hui plus bas que jamais, et il est peu probable qu’ils le restent durablement. De plus, concernant l’inflation, les prévisions ne sont pas extrêmement optimistes : on pourrait en effet s’attendre à des taux d’inflation aux environs des 2% au sortir de la crise, ce qui est assez faible pour ronger une dette de 115% du PIB, comme c’est le cas en France.
Augmenter les impôts: une solution inévitable ?
Deux options sont alors envisageables, parmi lesquelles la hausse des impôts. Cette fois encore, il s’agit d’une mesure complexe à adopter, puisqu’elle n’est pas sans conséquences. Bruno le Maire, ministre de l’économie, annonçait déjà la couleur fin 2020 : « Tant que je serai ministre, il n’y aura pas d’augmentation d’impôts ». C’est que pour relancer l’économie, la confiance est essentielle, et c’est même la condition sine qua non pour sortir de toute crise économique, confiance sans laquelle les ménages et les entreprises ne peuvent consommer. On comprend tout de suite ce qu’une hausse des impôts signifierait : une baisse de la consommation au profit de l’épargne, qui altèrerait les possibilités de reprise économique, ou pire, accentuerait la récession : c’est le fameux effet procyclique déjà évoqué plus haut, qu’un financement par l’emprunt permet d’éviter. C’est d’ailleurs le problème qu’a connu l’Allemagne au lendemain de la crise de 2008, en imposant un retour à la rigueur trop tôt après la reprise. De surcroît, en France, une augmentation des impôts serait sûrement très délicate sur le plan politique et social, dans le contexte de « ras-le-bol fiscal » exprimé par les classes moyennes en particulier lors de la crise des Gilets jaunes en 2019. Néanmoins la hausse des impôts semble être une des seules options viables pour se sortir de l’hyper endettement, parce que les pays développés n’ont pas encore trouvé de nouveaux mécanismes de croissance nécessaires à l’amorçage d’un nouveau cycle économique. En fait, la situation des pays étrangers montre que cette hausse des impôts sera probablement inévitable ; en Angleterre, l’impôt sur les sociétés pourrait être relevé de 19 à 24%. Aux Etats-Unis, Joe Biden avait déjà promis une hausse des impôts durant sa campagne et même en France, la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) a été prolongée de dix ans, c’est-à-dire jusqu’en 2034.
La deuxième option pourrait être l’essor d’un nouveau modèle de croissance, qui permettrait de renouer avec la hausse de la productivité et de sortir de la stagnation économique. Cette hausse de la production signifierait immanquablement une hausse des recettes pour l’Etat, qui pourraient être allouées au remboursement de la dette. Or ces nouveaux relais de croissance n’ont pas encore été clairement trouvés ; même si les progrès de la robotisation et du travail à distance sont un bon début. Enfin, en France, depuis les années 1990, les impôts sont quasiment exclusivement alloués à la politique de redistribution des richesses sous forme d’allocation, ce qui n’est pas un mal en soi, mais qui laisse moins de place à un Etat stratège en perdition pour investir massivement dans ces nouveaux relais de croissance.