Misterprepa

L’école permet-elle l’ascenseur social ?

Sommaire

L’école est souvent perçue comme un des principaux leviers de l’ascenseur social, c’est-à-dire le mécanisme par lequel les individus peuvent améliorer leur position sociale grâce à l’éducation. Cette idée repose sur la croyance que l’acquisition de compétences et de savoirs à l’école permet aux individus d’accéder à des emplois mieux rémunérés et à une position sociale plus élevée que celle de leurs parents. Cependant, l’école est-elle réellement un outil efficace de mobilité sociale ?

 

 

L’école comme outil de l’égalité des chances

Le concept d’ascenseur social repose sur l’idée d’égalité des chances, une notion centrale dans les théories libérales et républicaines. Selon cette perspective, l’école doit offrir à tous les enfants, indépendamment de leur origine sociale, les mêmes opportunités de réussir. Cette vision est en partie inspirée des travaux de l’économiste américain Gary Becker, qui développe dans son ouvrage Human Capital l’idée que l’éducation est un investissement en capital humain.

Selon Becker, les individus qui investissent dans leur éducation améliorent leur productivité, ce qui leur permet d’accéder à de meilleurs emplois et d’augmenter leurs revenus. L’école devient alors un lieu où les individus peuvent acquérir les compétences nécessaires pour réussir dans la vie professionnelle.

Mincer a mathématisé cette relation entre nombre d’années d’étude et salaire d’un individu. Ainsi, d’après l’équation de Mincer, on a :

En France, par exemple, l’école républicaine a longtemps été perçue comme un modèle d’intégration et de promotion sociale. Ainsi, on peut considérer que les lois Ferry (1881-1882) ont stimulé les possibilités d’ascenseur social. Ces lois ont instauré l’école gratuite en 1881, puis l’instruction primaire obligatoire et l’enseignement public laïc en 1882.

 

 

Lire plus : Jules Ferry, l’architecte de l’école moderne

 

 

L’école comme vecteur de reproduction sociale

Cependant, l’efficacité de l’école en tant qu’ascenseur social a été largement remise en question par plusieurs sociologues, dont Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron. Dans leur ouvrage Les Héritiers (1964), ces auteurs montrent que l’école tend à reproduire les inégalités sociales plutôt qu’à les corriger.

Selon Bourdieu et Passeron, l’école valorise des formes de culture et de savoirs qui sont principalement l’apanage des classes dominantes. Les enfants issus de milieux favorisés bénéficient donc d’un avantage considérable, car ils maîtrisent déjà les codes culturels exigés par l’école. En revanche, les enfants des classes populaires, qui n’ont pas ce capital culturel, rencontrent plus de difficultés à s’adapter aux attentes scolaires.

Cette analyse est corroborée par de nombreuses études empiriques. En France, les statistiques montrent que l’origine sociale reste un déterminant majeur de la réussite scolaire. Selon une étude de l’INSEE de 2020, 70 % des enfants de cadres supérieurs obtiennent un diplôme de l’enseignement supérieur, contre seulement 26 % des enfants d’ouvriers. De plus, parmi ceux qui parviennent à obtenir le même diplôme, les jeunes issus de milieux favorisés ont souvent accès à des établissements plus prestigieux, ce qui leur confère un avantage supplémentaire sur le marché du travail.

 

 

Comment permettre à l’école de conserver sa fonction d’ascenseur social ?

Face aux défis de la reproduction sociale, il s’agit de mettre en place des politiques d’égalité des chances pour redorer le blason de l’école.

 

Des dispositifs existent déjà…

Pour ce faire, plusieurs dispositifs existent déjà en France :

  • La mise en place des REP (réseaux d’éducation prioritaire) en 1981 permet d’accompagner les élèves défavorisés de manière ciblée. En effet, dans les REP, les classes sont réduites (pas plus d’une vingtaine d’élèves) et les aides-éducateurs sont plus nombreux. En 2018, Jean-Michel Blanquer a instauré le dédoublement des classes de CP et de CE1 en REP.
  • Les « Cordées de la réussite », lancées en 2008, mettent en relation des établissements scolaires situés dans des zones prioritaires avec des grandes écoles et des universités, afin de sensibiliser les élèves aux parcours d’excellence.
  • Certaines grandes écoles de commerce mettent également en place des dispositifs d’égalité des chances pour les concours. C’est notamment le cas d’HEC Paris : pour les candidats qui passent le concours pour la 2ème fois, les boursiers profitent d’une bonification d’un point, contrairement à leurs camarades non-boursiers.

 

… mais ils ne semblent pas suffire

Toutefois, toutes ces réformes reposent sur une analyse structuro-fonctionnaliste des inégalités. Autrement dit, les inégalités seraient dues à la structure du système scolaire, qui favoriserait la reproduction sociale (dans une vision bourdieusienne).

Cependant, selon Boudhon (L’inégalité des chances), les inégalités scolaires ne doivent pas se comprendre à travers une approche structuraliste mais individualiste. Pour lui, les inégalités scolaires sont d’abord le résultat de stratégies différentes de la part des élèves. Autrement dit, l’école serait neutre, et ce sont les individus qui font des choix différenciants : latin, 3ème langue en option, mathématiques expertes… Ces choix reposent sur un calcul coûts-avantages des individus. Or les individus ne les perçoivent pas de la même façon.

Par exemple, de nombreux lycéens ne connaissent pas l’existence des classes préparatoires et ne peuvent dont pas l’intégrer dans leur calcul coûts-avantages. Dès lors, il faudrait mettre en place des politiques d’information des différents parcours scolaires possibles pour stimuler la mobilité sociale ascendante.

Selon une étude réalisée par Breda et al. en 2023 sur 20000 élèves, la sensibilisation aux carrières de la science au lycée a des impacts sur le choix de l’orientation. En effet, sans sensibilisation, 24% des filles du 4ème quartile de performance au bac de maths vont en prépa scientifique, contre 35% après une sensibilisation d’une heure.

 

 

Lire plus : Gary Becker : l’entreprise doit-elle investir dans l’éducation ?

 

Conclusion

Plus ouvertement, on peut s’interroger sur le rôle de l’école et du capital humain à une échelle macroéconomique, i.e. sur le lien entre école et croissance. Comme l’affirmait Marshall en 1890, « la connaissance est notre plus puissant moteur de production. »

Newsletter
Image de Malek Aït-Mokhtar
Malek Aït-Mokhtar