Cet article s’intéresse à un ensemble de théories économiques sur les salaires. Chacune cherche à expliquer les différenciations salariales, les causes du chômage mais aussi les politiques pouvant y remédier.
La théorie hédonique des salaires (Rosen, 1974)
La théorie hédonique des salaires fut développée par Sherwin Rosen en 1974. Elle soutient que le salaire du travailleur dépend de la satisfaction que ce travailleur retire de son emploi. Cette satisfaction est influencée par des caractéristiques intrinsèques de l’emploi. Parmi elles on trouve les horaires de travail, les conditions de travail, la sécurité de l’emploi, les perspectives de carrière, etc.
Ce salaire dépend aussi des caractéristiques extrinsèques, comme la qualité de vie dans la région où se trouve l’emploi. Ainsi, la théorie hédonique des salaires considère que le salaire ne reflète pas seulement le niveau d’effort fourni par le travailleur. Elle reflète aussi les avantages subjectifs qu’il retire de son travail. Les différences de salaire reflètent surtout la pénibilité et les risques associés au travail. Empiriquement, cette théorie peut expliquer les salaires élevés dans certains métiers à risque. Elle permet surtout d’expliquer la nature des primes.
La théorie du déséquilibre (Malinvaud)
La théorie du déséquilibre a été développée par Gérard Debreu en 1959. Cette théorie traite de l’existence de situations où l’offre et la demande ne se rencontrent pas de manière équilibrée sur le marché. Cela conduit ainsi à des inefficacités économiques. Selon cette théorie, les marchés ne fonctionnent pas toujours de manière optimale. Ils peuvent parfois se trouver dans des situations où l’offre et la demande ne parviennent pas à s’aligner. Des facteurs tels que des coûts de transactions élevés, des asymétries d’informations, des barrières à l’entrée ou des chocs économiques externes peuvent en être la cause.
La théorie du déséquilibre cherche alors à fournir des solutions pour atteindre un équilibre économique optimal. Cela peut impliquer des ajustements de prix, des politiques gouvernementales pour éliminer les barrières à l’entrée ou la réglementation des marchés. Dans les années 1960, Albert Malinvaud développe cette théorie. Il la dote d’une approche centrée sur le marché du travail. Il distingue alors trois types de chômage :
- le chômage keynésien : il est issu d’une insuffisance de la demande effective sur le marché des biens et des services. Il y a ici un problème de débouché qui justifie les politiques keynésiennes de soutien à la demande.
- le chômage classique : il est issu à l’inverse d’une insuffisance de l’offre. Par exemple, si le salaire réel est trop élevé, la rentabilité de la firme devient plus faible. Celle-ci est alors contrainte de réduire l’offre de travail, ce qui conduit à du chômage. La solution passe plutôt par des politiques d’offre et/ou de libéralisation du marché.
- l’inflation contenue : elle résulte de l’insuffisance à la fois de l’offre et de la demande de travail.
La théorie de la prospection d’emploi
Cette théorie empruntée à la sociologie et à la psychologie soutient que les individus cherchent à trouver un emploi qui correspond à leurs besoins et à leurs préférences. Cette recherche intègre leurs compétences, leurs valeurs et leurs goûts. Selon cette théorie, la recherche d’emploi est un processus dynamique dans lequel les individus évaluent leurs propres compétences, identifient les opportunités d’emploi et sélectionnent celles qui correspondent le mieux à leurs critères.
Le modèle de Stigler
Cette théorie a conduit à des recherches importantes sur les stratégies de recherche d’emploi. Elle met notamment l’accent sur les aspects psychologiques et sociaux de la recherche d’emploi. Le modèle de Stigler et la stratégie de la recherche optimale sont sûrement les plus connus en économie. Ce modèle présente une situation d’imperfection de l’information.
Le chercheur d’emploi ne connaît pas a priori le salaire offert par une offre d’emploi. A chaque période, il a une certaine probabilité de recevoir une offre. Le chercheur d’emploi a alors recours à un arbitrage chômage-emploi. Autrement dit, ce dernier va choisir l’offre optimale en évaluant les coûts et gains respectifs du chômage et de l’offre d’emploi.
Ainsi, si le salaire proposé est inférieur au gain espéré par le chômage, le chercheur d’emploi va logiquement refuser. Stigler postule donc l’existence d’un salaire de réservation. C’est le salaire à partir duquel le travailleur accepte une offre d’emploi (à ne pas confondre avec le salaire de réserve). D’après cette théorie, il existe un “chômage volontaire” lié à la recherche de la meilleure offre.
On distingue finalement plusieurs cas de figure :
- la trappe à chômage : le salaire de réservation est trop élevé, ce qui rend le chercheur d’emploi insensible aux variations du salaire proposé.
- la trappe à bas salaire : le salaire de réservation est trop faible, conduisant le chercheur d’emploi à accepter des emplois moins bien rémunérés.
Cette théorie n’explique toutefois que le chômage de prospection. Elle peut par ailleurs pousser certains à plaider pour la baisse des allocations chômage, poussant le salaire de réservation à la hausse.
La théorie des contrats implicites (Azariadis, 1975)
Développée en 1975 par Azariadis, la théorie des contrats implicites s’intéresse à la manière dont les employeurs et les employés établissent des relations à long terme. Cela leur permet de coopérer et de maximiser leur gain mutuel. Selon cette théorie, travailleurs et employeurs établissent des “contrats implicites” qui contiennent des clauses non écrites sur les salaires, les conditions de travail et la sécurité de l’emploi. Ces contrats ne sont pas formalisés et sont souvent basés sur des relations de confiance.
L’élément clé ici est le risque d’ajustement. En effet, d’après cette théorie, la rémunération est fixe, les salaires sont rigides. Leur rôle est principalement assurantiel. Plutôt que de faire varier le niveau des salaires, la firme va choisir d’agir sur le volume de l’emploi. Ainsi, dans une situation où le salaire offert par la firme est supérieur au salaire d’équilibre, cette dernière est contrainte d’abaisser le niveau d’emploi. Cela conduit au chômage.
D’un autre côté, les employeurs sont également confrontés à des coûts élevés pour remplacer les travailleurs qualifiés s’ils quittent leur emploi. Les travailleurs peuvent aussi être confrontés à des coûts élevés pour trouver un nouvel emploi en cas de licenciement. Dans un tel contexte, les deux parties ont intérêt à maintenir leur relation de travail stable, même si cela implique des coûts supplémentaires, comme des salaires plus élevés par exemple.
Le salaire joue donc bien un rôle assurantiel en ce qu’il assure la stabilité du travail pour les deux parties. Ces contrats implicites sont néanmoins sujets à des limites, en particulier dans les économies en développement ou en crise. Les coûts de l’ajustement peuvent notamment être plus faibles et les employeurs moins disposés à maintenir des relations de travail stables.
Lire plus : 3 références de culture générale à maîtriser #4
Théorie du salaire d’efficience (Yellen, Shapiro, Stiglitz)
Le salaire d’efficience est un concept développé très tôt, chez Alfred Marshall déjà. C’est véritablement Yellen, Shapiro et Stiglitz qui développent sa théorie dans les années 1980. Cette dernière suggère que les employeurs ont intérêt à payer des salaires supérieurs au marché pour attirer et retenir les travailleurs les plus productifs. Cette théorie répond à un problème de gestion de la main d’œuvre. Elle vise principalement à augmenter le coût d’opportunité d’une rupture de contrat pour le travailleur.
Proposer des salaires plus élevés que ceux du marché peut notamment motiver les travailleurs à être plus productifs, réduire le turnover et les coûts de formation associés. C’est donc une logique de fidélisation et d’incitation qui est l’œuvre ici. Des salaires supérieurs au marché peuvent contribuer à réduire les inégalités salariales et améliorer les conditions de travail. Cependant, cela peut également avoir des conséquences négatives. Cela peut en effet créer des inefficacités sur le marché du travail, en augmentant les coûts pour les employeurs et réduisant la demande de travailleurs moins qualifiés.
Les différents modèles du salaire d’efficience
On peut utiliser le modèle du tire-au-flan comme exemple à la théorie du salaire d’efficience. Développé par Shapiro et Stiglitz, ce modèle suggère qu’une augmentation des salaires rend plus coûteux le risque d’une rupture de contrat pour l’employé. La théorie de la gratification développée par Akerlof entre également dans cette logique. Ici, le salaire est perçu comme le reflet du caractère équitable de la relation salaire. Un salaire plus élevé procure une reconnaissance à l’employé et l’incite à être plus productif.
Modèle insiders-outsiders (Lindbeck et Snower)
Le modèle insider-outsider, également connu sous le nom de modèle Lindbeck-Snower, a été théorisé dans “Wage setting, unemployment, and insider-outsider relations” en 1987. Ce modèle cherche à expliquer les mécanismes qui créent du chômage dans les économies où il existe des contrats implicites. Selon ce modèle, les salariés, appelés les “insiders”, bénéficient de ces contrats implicites et donc d’un pouvoir de marché. A l’inverse, les travailleurs potentiels, appelés “outsiders”, sont exclus du marché du travail et sont confrontés à des taux de chômage élevés.
Les insiders ont des salaires plus élevés et une plus grande stabilité de l’emploi. Les outsiders ont quant à eux des salaires plus bas et sont plus facilement licenciés. La productivité plus élevée des insiders leur permet d’en retirer une rente de situation, en s’appropriant une partie des coûts de remplacement. Les insiders sont donc en mesure de négocier pour empêcher l’embauche de nouveaux travailleurs et ainsi maintenir des salaires élevés.
Le modèle insider-outsider montre ainsi comment un tel déséquilibre peut créer du chômage. Les firmes sont réticentes à embaucher car cela peut conduire à une augmentation des coûts de production et de l’instabilité de l’emploi pour les insiders. Cela peut même conduire à une spirale de chômage, les outsiders se retrouvant condamnés au chômage et ne pouvant pas acquérir les compétences et l’expérience nécessaire pour devenir des insiders.
Le modèle de Lindbeck-Snower propose des politiques pour réduire le chômage dans ces économies. Ils proposent notamment la réduction des coûts de l’embauche pour les entreprises, la réduction des avantages pour les insiders et l’amélioration de la formation professionnelle pour les outsiders. Ces politiques cherchent à leur donner des compétences nécessaires pour intégrer le marché du travail.
Théorie de la segmentation du marché du travail (Doeringer et Piore)
La théorie de la segmentation du marché du travail fut proposée par les économistes américains Michael Piore et Charles Doeringer. Elle vise à expliquer la dualité du marché du travail, c’est-à-dire la coexistence de deux types d’emplois. Elle distingue les emplois stables et bien rémunérés, d’une part, et les emplois précaires et mal rémunérés, d’autre part.
Selon cette théorie, le marché du travail est segmenté en différents segments, chacun avec ses propres caractéristiques. Les travailleurs appartenant à chaque segment ont des compétences et des qualifications spécifiques qui sont valorisées différemment par les employeurs. Les travailleurs qui ont des compétences spécifiques bénéficient d’une plus grande sécurité de l’emploi, de salaires plus élevés et d’un accès à des avantages tels que des régimes de retraite et des assurances maladie. Les autres, en revanche, ont des emplois précaires, des salaires bas et peu d’avantages.
Les politiques visant à réduire la segmentation du marché du travail peuvent inclure des programmes de formation pour aider les plus défavorisés à acquérir les compétences spécifiques nécessaires pour les emplois stables. Elles peuvent aussi consister en des réglementations pour améliorer les conditions de travail pour les travailleurs précaires et réduire l’écart entre les travailleurs insiders et outsiders.