En 2013, Edward Snowden, employé de la CIA et contractuel à la NSA, confie à la presse des milliers de documents mettant en péril la confiance des citoyens américains en leur gouvernement. Des preuves concrètes de la mise en place d’un réseau de surveillance de masse aux États-Unis et à travers le reste du monde sont enfin révélées.
La gestion matérielle des données représente un enjeu à tous les plans
Avant de s’intéresser au concept de vie privée au nom duquel Edward Snowden s’est engagé, revenons sur les externalités du stockage des données. Toutes les données que nous utilisons ont un support matériel, il s’agit des fameux data centers, des entrepôts hébergeant les multiples serveurs auxquels nous sommes connectés en permanence.
Sur le plan géopolitique, on distingue une première difficulté : les serveurs abritent des données provenant du monde entier, pourtant, ils sont stockés sur des ordinateurs installés sur le territoire d’un seul État. Alors, cet État peut-il exercer une forme de souveraineté sur ces données ?
En 2018, les États-Unis adoptent le CLOUD Act, qui donne à la justice le droit d’accéder aux données des fournisseurs d’accès américains, qu’elles soient stockées sur son sol ou non. En fait, il semble presque impossible d’empêcher l’accès à des serveurs auxquels tout le monde peut se connecter, ce qui donne lieu à un exercice ambigu de la souveraineté sur les centres de données.
Le second défi posé par la gestion matérielle des données concerne évidemment le plan environnemental. La consommation énergétique des data centers n’est plus un secret : les ordinateurs doivent être alimentés en permanence, ce qui consomme déjà une grande quantité d’énergie, mais ils doivent surtout être refroidis.
Ainsi, les pays au climat froid semblent plus propices à l’accueil des centres de données, c’est pourquoi dès 2009, Google ouvre la plateforme d’Hamina, en Finlande. Mais le climat froid n’est pas une solution suffisante, c’est pourquoi d’énormes ventilateurs fonctionnent sans arrêt afin de refroidir les ordinateurs, entraînant une consommation d’énergie très importante.
De plus en plus d’acteurs cherchent à disposer de la data, devenue stratégique
Dans son livre Mémoires vives, Edward Snowden retrace les évènements qui l’ont poussé à dénoncer les actions du gouvernement américain.
Il s’aperçoit rapidement de la mise en place de programmes de collecte de masse de données, justifiés par la nécessité de renforcer la sécurité du pays après le traumatisme du 11 septembre. En réalité, l’accès à la vie privée des citoyens dépassait largement le cadre sécuritaire puisque la collecte a été mise aux services d’enquêtes internes, ce qui représente une violation de la Constitution américaine dont le quatrième amendement stipule que le gouvernement ne peut avoir accès à la vie privée des citoyens sans un mandat.
Désormais, les services de renseignements ne sont plus les seuls à s’octroyer l’accès à des données ne leur appartenant pas : les entreprises de télécommunications y ont à leur tour trouvé leur intérêt. C’est ce que déplore Edward Snowden dans de récentes interviews : si son alerte aura attiré l’attention sur les agissements du gouvernement, elle ne les aura pas empêchés puisque dorénavant, la collecte passe par le rachat de données auxquelles les groupes de télécommunications ont accès.
Amnesty International dénonce d’ailleurs la « menace systémique pour les droits de l’homme » que représentent Facebook et Google, des entreprises qui tirent profit de leur accès aux données pour les revendre. (Shoshana Zuboff le développe dans L’âge du capitalisme de surveillance)
La difficulté à réguler l’accès aux données confirme l’ambigüité des acteurs du monde contemporain
Au chapitre 18 de ses mémoires, Edward Snowden souligne qu’une opposition entre autoritarisme et démocratie libérale est « le principal conflit idéologique qui traverse notre époque – et non pas la pseudo-division entre l’Est et l’Ouest, ou une nouvelle guerre de religion dirigée contre l’islam ou le christianisme. »
Selon le lanceur d’alerte, la gestion des données s’inscrit au cœur de cette opposition puisqu’elle révèle l’affrontement entre les différentes interprétations du concept de liberté.
En s’octroyant l’accès aux données des Chinois, le PCC favorise les libertés collectives aux libertés individuelles, et le justifie par la sécurité du peuple dans son ensemble.
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Mais l’ambigüité des acteurs va au-delà des diverses conceptions de nos libertés. Toujours au chapitre 18, Edward Snowden affirme qu’« à partir de l’adoption du Patriot Act, on a assisté à la lente érosion des libertés civiles, celles-là mêmes pour lesquelles nous étions censés nous battre. »
D’après lui, notre vie privée, ce sont aussi nos conversations WhatsApp, les vidéos YouTube que nous regardons…et la CIA ou la NSA n’ont en aucune façon le droit d’y accéder sans raison. Il regrette alors que le combat pour la liberté engagé par les États-Unis après les attentats du World Trade Center n’ait pas duré.
Les documents qu’il révèle à la presse en 2013 nous amènent donc à remettre en question la confiance à accorder à tous les acteurs ayant les capacités techniques d’accéder à nos données personnelles, et à réévaluer la valeur de ces dernières, car d’ici quelques années, nous pourrions même être amenés à les vendre par nous-mêmes.
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