Le 11 septembre dernier, les Suédois étaient appelés aux urnes pour élire leur Parlement à la proportionnelle. Le royaume étant une démocratie parlementaire, c’est toute la politique du pays pour les 4 ans à venir qui était en jeu. Résultat : le bloc de droite, porté pour la première fois par l’extrême-droite, l’a emporté de justesse, avec 3 sièges d’avance sur le bloc de gauche. Dans la foulée, la première ministre sociale-démocrate Magdalena Andersson a dû démissionner. Quelles sont les implications de ces élections, et quels enseignements faut-il en tirer pour le paysage politique européen ?
1. La percée de l’extrême-droite se confirme
Le grand gagnant de ces élections est le parti d’extrême-droite Démocrates de Suède (SD). Celui-ci a obtenu le meilleur résultat de son histoire avec 20.5% des voix, en progression de 3 points par rapport aux élections de 2018, s’imposant comme la deuxième force politique du pays. En effet, le parti a réussi à imposer ses thèmes à la campagne électorale, dominée par les questions de l’immigration et de l’insécurité. La question migratoire est au cœur des débats depuis la crise des réfugiés de 2015, quand la Suède a accueilli 163 000 réfugiés. Quant à l’insécurité, elle figure en tête des préoccupations des Suédois depuis quelques mois, alors que les violences entre bandes rivales sont croissantes, faisant une cinquantaine de morts depuis le début de l’année.
Pourtant, les Démocrates de Suède ont longtemps été marginalisés sur la scène politique suédoise. Fondé en 1988 par des militants néonazis, défilant ouvertement en chemise brune, le parti n’a réussi à faire élire aucun député avant 2010. Chef du parti depuis 2005, Jimmie Âkesson s’est toutefois employé à dédiaboliser son parti : des membres ayant des liens avec les mouvements néonazis ont régulièrement été exclus, le logo du parti a été modifié, et récemment, SD a abandonné sa revendication de sortie de l’Union Européenne. En conséquence, le score du parti a atteint 5.7% en 2010, 12.9% en 2012 et 17.5% en 2018, avant le score historique de cette année, entérinant la montée durable de l’extrême-droite. Il faut dire que les SD ont été aidés par leur normalisation sur la scène politique depuis deux ans par les partis de droite, qui les ont inclus pour la première fois dans leur alliance en vue de constituer une majorité.
Les Démocrates de Suède défendent toujours des positions radicales, souhaitant renvoyer une partie des immigrés présents dans le pays, accusés d’avoir détruit la Suède. En 2020, Jimmie Âkesson s’est rendu à la frontière entre la Turquie et la Grèce pour distribuer des tracts dissuadant les migrants de se rendre dans le royaume. Le candidat de SD à la présidence du Parlement a quant à lui comparé l’islam au nazisme et considéré que les juifs et samis n’étaient pas suédois. Le parti réclame également « un virage conservateur à la politique culturelle » et veut faire passer « la Suède d’abord », un slogan qui rappelle « America first » de Donald Trump.
Si les autres partis de droite refusent d’accorder des postes gouvernementaux au parti, celui-ci aura quand même une influence considérable sur la politique menée, et ce pour la première fois. Un mouvement qui s’inscrit dans la continuité de ce qui s’observe partout en Europe. Si l’extrême-droite a récemment connu des défaites cuisantes aux Pays-Bas, en Allemagne ou en Norvège, elle s’est durablement installée dans le paysage politique de la quasi-totalité des pays européens. Le scénario suédois devrait se reproduire en Italie le 25 septembre, à l’occasion des élections législatives où le parti post-fasciste Frères d’Italie mène la coalition de droite, largement favorite.
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2. Prise entre deux feux, la droite de gouvernement s’affaiblit
Le chef du parti des Modérés (libéral-conservateur), Ulf Kristersson, devrait devenir premier ministre. Pourtant, cette victoire a un goût amer pour la droite. En effet, les Modérés, avec 19.1%, ont réalisé l’un des pires scores de leur histoire. De même pour leurs alliés, les chrétiens-démocrates et les Libéraux. C’est simple, la droite de gouvernement n’avait pas obtenu un résultat cumulé aussi faible depuis plus d’un siècle. C’est le résultat de la concurrence double exercée par la gauche et par l’extrême-droite, mais aussi de la stratégie choisie par la coalition de droite.
En effet, les dirigeants des trois partis se sont employés ces dernières années à normaliser les Démocrates de Suède, les présentant comme un parti respectable et digne de confiance. En effet, le score croissant de SD est devenu tel que la droite est incapable d’avoir une majorité seule : elle est non seulement loin des 50%, mais elle arrive forcément derrière le bloc de gauche, l’empêchant d’accéder au gouvernement. Face à l’impasse, en 2018, les Libéraux et les centristes avaient choisi de soutenir le gouvernement socio-démocrate pour éviter de s’allier à SD. Cette fois-ci, dans l’opposition pendant huit ans face à des gouvernements de gauche, les conservateurs ont considéré que la seule solution pour revenir au pouvoir était d’inclure SD dans l’alliance de droite.
Cette option permet certes à la droite de retrouver le pouvoir au terme de ces élections, mais elle contient des échecs pour les partis de centre-droit. D’une part, en courant derrière l’extrême-droite, ils n’ont pas réussi à enrayer sa progression : en légitimant SD et ses thèses, ils ont conforté ses électeurs. D’autre part, cette stratégie a provoqué l’indignation d’une partie de l’électorat. Les trois partis sont ainsi en recul par rapport aux précédentes élections, et la résistance des militants a été forte, surtout chez les Libéraux. Le Parti du Centre a aussi quitté l’alliance de droite pour rejoindre le bloc de gauche, refusant catégoriquement de s’allier à l’extrême-droite, qualifiée de raciste.
La droite de gouvernement est donc plus faible que jamais, et là encore, c’est une tendance qui s’observe dans la plupart des pays européens. De nombreux partis comme LR en France, le Parti Populaire en Espagne ou la CDU en Allemagne obtiennent régulièrement ces dernières années les pires scores de leur histoire. La montée de l’extrême-droite constitue une menace existentielle pour ces partis, avec une question capitale : faut-il suivre la stratégie du cordon sanitaire, défendre la modération, ou se radicaliser voire s’allier à l’extrême-droite pour récupérer ses électeurs ? Un débat qui n’est toujours pas résolu.
3. La social-démocratie n’est pas enterrée mais doit composer avec l’éclatement partisan
Cet enseignement peut paraître surprenant alors que la gauche vient de perdre le pouvoir. Et pourtant : le Parti social-démocrate, porté par la popularité de sa chef Magdalena Andersson, s’est renforcé durant ces élections, arrivant largement en tête avec 30.4% des voix. Un score dont rêveraient les socialistes français, et qui montre une résilience de la social-démocratie, pourtant présentée comme étant dans un état critique il y a quelques années. Ainsi, ces derniers mois, une série de succès ont permis aux sociaux-démocrates de revenir au pouvoir. Portés par un contexte favorable lié à une demande d’Etat providence après la crise sanitaire et économique liée à la COVID-19, les socialistes l’ont ainsi successivement emporté en Norvège, en Allemagne et au Portugal. D’autres exécutifs européens, comme en Espagne, en Finlande ou au Danemark, sont aussi toujours dirigés par la gauche socialiste.
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Ces succès se sont souvent appuyés sur une image de sérieux et de modération de ces partis, mais aussi sur les préoccupations environnementales. En difficulté dans les années 2010 à cause de l’émergence de mouvements d’extrême-gauche après la crise de 2008 et de l’extrême-droite après la crise migratoire et le développement du terrorisme, les sociaux-démocrates ont aussi effectué certains revirements idéologiques pour retrouver des électeurs. Après la conversion à l’économie de marché dans les années 1990 et la défense du social-libéralisme pour certains partis (New Labour au Royaume-Uni, SPD en Allemagne) dans les années 2000, c’est la politique migratoire qui a connu des évolutions pour s’adapter aux inquiétudes des électeurs. En Suède, le Parti social-démocrate a ainsi pris des mesures restrictives en matière d’asile à partir de 2016, alors que les socialistes danois ont quasiment fermé les frontières du pays aux migrants, provoquant un effondrement des résultats de l’extrême-droite.
Toutefois, les scores des partis sociaux-démocrates, tout comme ceux des conservateurs, restent bien plus faibles que ceux qu’ils ont connus de 1945 à 2010. Et pour cause : partout en Europe, le bipartisme a implosé, laissant place à un éclatement partisan mettant en difficulté la démocratie représentative. Les partis écologistes, de gauche radicale, du centre libéral et d’extrême-droite ont émergé aux dépens de la droite et de la gauche classiques, les empêchant d’avoir une majorité seuls, conduisant à des négociations à couteaux tirés et à des impasses politiques. Les crises gouvernementales se sont ainsi multipliées ces dernières années en Espagne, en Suède, en Italie ou en Belgique, menant régulièrement à des élections anticipées ou à des délais records pour la formation du gouvernement. Cette situation risque de se reproduire dans le royaume scandinave : alors que la coalition de droite dispose d’une majorité de seulement 3 sièges, certains députés des Libéraux se sont montrés particulièrement hostiles à l’égard d’un accord avec les Démocrates de Suède, qui eux réclament des postes au gouvernement. De longues négociations s’annoncent, fragilisant encore davantage la stabilité politique.
4. La sécurité et l’énergie, des préoccupations majeures
Les élections suédoises ont aussi permis de donner un aperçu des préoccupations des citoyens européens, dans un contexte de crise économique, énergétique et géopolitique. Comme la question du rapport à la Russie a été réglée par un consensus écrasant en faveur d’une intégration de la Suède à l’OTAN, la campagne s’est focalisée sur deux enjeux majeurs : la sécurité et l’énergie.
En lien avec la montée de l’extrême-droite, le thème de l’insécurité a pris de l’ampleur dans plusieurs pays européens, notamment la France et l’Italie, mais la Suède en a fait le sujet principal de débat entre les partis politiques. Le problème est réel car le nombre de morts par balles a explosé ces dernières années dans le royaume, passant à quatre morts pour un million d’habitants, contre une moyenne européenne de 1.6, dans le cadre d’affrontements entre bandes rivales. Face à ce fléau, l’interprétation des causes et des solutions diverge entre les partis. L’extrême-droite accuse l’immigration, tandis que la gauche radicale y voit uniquement un problème social lié aux insuffisances du système éducatif et à l’importance du chômage dans certains quartiers. Les sociaux-démocrates, quant à eux, reconnaissent certains échecs dans la politique d’intégration, et ont renforcé les mesures sécuritaires : durcissement des peines, recrutement de milliers de policiers supplémentaires. Ils ont également proposé de limiter à 50% la proportion de résidents « non-nordiques » dans les quartiers difficiles, pour mettre fin à la ségrégation spatiale freinant l’intégration des immigrés. Les conservateurs veulent aller encore plus loin et appliquer les lois antiterroristes aux gangs. Sur le plan local, d’autres initiatives ont porté leurs fruits : Malmö a notamment développé un programme permettant d’accompagner les membres de gangs qui souhaitent en sortir, et a favorisé des accords de cessez-le-feu entre bandes : le nombre de fusillades y a nettement diminué.
L’explosion inédite des prix de l’énergie a quant à elle peut-être coûté la victoire au bloc de gauche. Dans le pays de Greta Thunberg, l’écologie a été quasiment absente de la campagne, contrairement aux tendances politiques dans le reste de l’UE. Les préoccupations environnementales ont en effet été largement supplantées par les inquiétudes autour du pouvoir d’achat et du système énergétique. La droite a largement plaidé en faveur d’un renforcement du nucléaire, tandis que les sociaux-démocrates ont baissé les taxes sur le carburant en mars.
Ainsi, ces élections législatives en Suède sont riches en enseignements et apportent des éclairages sur les dernières évolutions politiques en Europe et les défis auxquels le continent doit faire face.