Misterprepa

L’Empire colonial allemand : histoire et héritage culturel

Sommaire

Jadis, l’Allemagne était à la tête d’un empire colonial. Bien que cette période de son histoire soit relativement courte, les traces de son passé colonial suscitent encore aujourd’hui des débats sur la politique mémorielle et la restitution des objets coloniaux.

 

L’émergence de l’empire allemand

La fin du XIXe siècle fut marquée par une véritable ère impérialiste, où les nations européennes, persuadées de la nécessité d’une expansion mondiale pour assurer leur croissance et étendre leur influence, se sont livrées à une compétition acharnée afin d’acquérir des territoires coloniaux. Initialement prudent vis-à-vis des ambitions coloniales, Bismarck a finalement cédé à la pression interne et internationale, en adoptant dès les années 1880 une politique coloniale plus active. La Conférence de Berlin de 1884 posa ainsi les bases de la présence coloniale allemande en Afrique et ailleurs. Animée par une véritable ambition coloniale, l’enthousiasme, à l’image de celui du prince von Bülow qui revendiquait une “Platz an der Sonne” (une place au soleil), était alors très fort en Allemagne.

Cet empire s’étendait principalement en Afrique (Afrique de l’Est allemande, Afrique du Sud-Ouest allemande, Togo, Cameroun), mais aussi dans le Pacifique (Samoa, Nouvelles-Hébrides) et en Asie (en Chine, l’Allemagne avait obtenu la concession de Kiautschou).

 

Le premier génocide du siècle : le massacre des Hereros et des Namas

La colonisation allemande fut accompagnée d’une politique de ségrégation raciale, ce qui mena à de sévères répressions des populations locales. L’exemple le plus probant est sans doute le massacre des Hereros et des Namas, considéré comme le premier génocide du XXe siècle.

Ce dernier a commencé en 1904, lorsque les membres du peuple Herero, qui vivait dans l’Afrique du Sud-Ouest Allemande (actuelle Namibie), se soulevèrent contre la domination allemande – notamment en s’attaquant aux infrastructures coloniales. En réponse, les autorités allemandes ordonnèrent une répression militaire d’une brutalité inédite : le général Lothar von Trotha engagea une véritable extermination. Quatre ans plus tard, on estime que seulement 20% de la population aurait survécu à ce génocide. Celui-ci toucha aussi les Namas, une autre population dont la moitié des membres furent exterminés à la suite d’une révolte en octobre 1904.

 

La fin de l’empire colonial allemand

En 1919, le traité de Versailles mit fin à l’empire allemand, transformant ses anciennes colonies en mandats sous la tutelle de la Société des Nations. L’article 119 stipula que l’Allemagne se devait de renoncer à tous ses droits et revendications sur ses possessions d’outre-mer, une décision qui suscita un vif ressentiment au sein de la population allemande.

Politiquement, l’Allemagne se détourna de ses ambitions coloniales, même si l’empire laissa une trace durable dans la société. Une image stéréotypée et caricaturale de l’Afrique, qui fut le principal territoire d’expansion des colonies allemandes, persista durant des décennies. Des films tel que Quax in Afrika (1947) ou encore des campagnes publicitaires comme celles de la marque Sarotti peuvent témoigner de cette vision réductrice et idéalisée qui a perduré au cours du XXe siècle.

 

Mémoire coloniale et restitution

Les exactions commises par l’Allemagne pendant l’époque coloniale ont longtemps été marginalisées au sein du débat public, au point qu’on parle même parfois d’une « aphasie coloniale ». Cependant, le XXIe siècle a été marqué par une véritable résurgence de la mémoire coloniale allemande, ce qui a attisé de nombreux débats.

La reconnaissance des crimes de guerre commis par l’Allemagne dans le cadre colonial fut tardive, comme en témoigne le cas du génocide des Hereros et des Namas. Ce massacre ne fut véritablement mis en lumière qu’à partir des années 1980, notamment avec le rapport Whitaker de l’ONU. En 2004, la ministre allemande de la Coopération au Développement, Heide Wieczorek-Zeul, présenta des excuses lors d’une cérémonie commémorative. Ce n’est qu’en 2021 que le caractère génocidaire du massacre fut officiellement reconnu par les autorités allemandes, dans un communiqué du ministre des Affaires étrangères, Heiko Maas.

Par ailleurs, des débats existent encore en Allemagne concernant la restitution des objets coloniaux – prélevés de force ou acquis sous des conditions discutables – présents dans les musées allemands. Concernant les restes humains, l’Allemagne s’est engagée à les restituer, amorçant un virage significatif à partir de 2011, avec le retour de certains restes à des pays comme l’Australie, la Nouvelle-Zélande et la Namibie.

En revanche, le sort des biens culturels est encore débattu. Des groupes militants tels que l’Initiative Schwarze Menschen (fondée en 1986) ou encore le groupe No Humboldt 21 ont plaidé ouvertement pour la restitution de ces œuvres et pour une plus grande reconnaissance post-coloniale. Cette pression s’est effectivement intensifiée lors de l’ouverture du Humboldt Forum, un complexe muséal au centre de Berlin, critiqué pour les nombreux objets coloniaux qu’il abrite.

Certaines restitutions ont eu lieu en Allemagne, souvent à l’initiative d’institutions individuelles. Par exemple, en 2019, le Musée Linden de Stuttgart a restitué des objets volés aux Hereros. Plus récemment, le gouvernement allemand lui-même a engagé des restitutions, notamment celles des bronzes du Bénin, restitués au Nigeria en 2022.

 

Conclusion

Le passé colonial de l’Allemagne a longtemps été occulté de la mémoire collective. Si depuis le début du XXIe siècle le pays s’est davantage confronté à celui-ci – par la reconnaissance de ses crimes ou par le biais des restitutions – les polémiques et débats restent toujours présents. Certains, à l’image de l’historien allemand Jürgen Zimmerer, jugent encore insuffisante la position de l’Allemagne vis-à-vis de ce passé : « Aujourd’hui, certaines parties de l’establishment s’opposent à la reconnaissance des injustices coloniales » affirmait-il encore en 2023.

 

Vocabulaire

  • Das Kolonialreich : l’empire colonial
  • Die Verantwortung übernehmen : assumer la responsabilité
  • Der moralische Imperativ : l’impératif moral
  • Das koloniale Erbe : l’héritage colonial
  • Die Restitution : la restitution
  • Eine brutale Unterdrückung : une répression brutale
  • Die Rückgabe von Kulturgütern : la restitution des biens culturels
  • Der Umgang mit der Geschichte : la gestion de l’histoire
  • Die Aufarbeitung der Vergangenheit : le travail de mémoire
  • Die Entschädigung : la réparation / la compensation
  • Das Erbe der Kolonisation : l’héritage de la colonisation
  • Der Völkermord : le génocide
  • Die Kriegsentschuldigung : les excuses pour les crimes de guerre
  • Die Kolonialpolitik : la politique coloniale
  • Die Menschenrechtsverletzungen : les violations des droits de l’homme
  • Die Kolonialmacht : la puissance coloniale
  • Die koloniale Aphasie : l’aphasie coloniale
  • Das Kriegsverbrechen : le crime de guerre
  • Die Kolonialverwaltung : l’administration coloniale
  • Die Verdrängung der Vergangenheit : le déni du passé
  • Die Wiedergutmachung : la réparation morale
  • Die Konferenz von Berlin : la conférence de Berlin
  • Die Gebietserweiterung : l’expansion territoriale
Newsletter
Image de Lucie
Lucie