Comprendre les enjeux de la réconciliation entre la Turquie et Israël

Le 17 août, la Turquie et Israël ont annoncé le rétablissement total de leurs relations diplomatiques, avec un retour des ambassadeurs et consuls généraux dans les deux pays. Après des années de rupture, cette réconciliation révèle de nouvelles évolutions géopolitiques dans la région.

 

Des relations difficiles depuis 2010

Les rapports israélo-turcs étaient très tendus depuis 2010, quand Israël a attaqué un navire humanitaire turc, le Mavi-Marmara, se dirigeant vers Gaza malgré le blocus imposé par l’Etat hébreu : 10 militants turcs avaient été tués. Conséquence : en 2011, la Turquie a expulsé l’ambassadeur israélien. Si les deux pays ont trouvé un accord indemnisant Ankara en 2016, l’ambassadeur israélien a de nouveau été exclu en 2018, après que l’armée israélienne a tué soixante palestiniens lors d’une manifestation contre le déménagement de l’ambassade américaine à Jérusalem. En réponse, Israël avait expulsé le consul général turc à Jérusalem. De plus, le président turc Recep Tayyip Erdogan s’est érigé en grand défenseur de la cause palestinienne, multipliant les discours hostiles à Israël. En 2021, il avait ainsi parlé d’ « Etat terroriste cruel » pour qualifier le pays. La Turquie accueille également depuis quelques années de nombreux cadres du Hamas.  

Toutefois, depuis le départ du très droitier Benyamin Netanyahou du gouvernement israélien en juin 2021, les deux pays se sont rapprochés. En mars dernier, le président israélien a visité Ankara, suivi du ministre des Affaires étrangères en juin, et une coopération autour du gaz était en discussion. Désormais, une étape cruciale a donc été franchie, avec le retour complet du personnel diplomatique. Israël et la Turquie ont en effet de nombreux intérêts en commun dans les domaines énergétique, sécuritaire ou économique, dans un contexte mondial difficile.

Cette entente n’est cependant pas acquise sur le long terme. En effet, l’opinion publique turque reste hostile à Israël, et l’historique des relations entre les deux pays invite à la prudence. De plus, la Turquie a promis de poursuivre son soutien aux palestiniens malgré cet accord. Surtout, sur le plan politique, les élections qui auront lieu dans les prochains mois en Israël et en Turquie pourraient rebattre les cartes : un retour au pouvoir de Netanyahou et de son parti, le Likoud, reste possible ; quant à Erdogan, il se trouve pour le moment en mauvaise posture dans les sondages face à ses adversaires de l’opposition, notamment à cause de la crise économique qui secoue son pays.

 

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Une réconciliation qui traduit des évolutions géopolitiques importantes

Cet accord témoigne d’évolutions géopolitiques fondamentales dans la région.

D’une part, Israël engrange un nouveau succès dans sa politique de normalisation avec les pays voisins, s’assurant une plus grande sécurité. Les accords d’Abraham signés le 15 septembre 2020 avec les Emirats Arabes Unis et Bahreïn ont en effet constitué un tournant majeur dans l’histoire des relations entre Israël et les pays arabes. D’importants accords commerciaux et sécuritaires ont suivi avec ces nouveaux partenaires auxquels se sont joints le Soudan et le Maroc. Cette réconciliation permet également à Israël d’éloigner la Turquie de l’Iran et d’isoler encore davantage son principal ennemi régional.

 

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D’autre part, la Turquie, en pleine crise économique et sociale, se voit contrainte de réévaluer son positionnement géopolitique. A la fin des années 2010, dans la droite lignée de l’héritage ottoman, Erdogan ambitionnait en effet d’élargir son influence sur l’ensemble du monde arabe pour consolider sa puissance régionale. Ainsi, il employait régulièrement une rhétorique agressive à l’égard des régimes hostiles aux Frères musulmans ou de l’Occident, dénonçant notamment la loi séparatisme d’Emmanuel Macron, et s’érigeant en défenseur des musulmans partout dans le monde. Il s’est également désolidarisé de l’OTAN en se rapprochant de la Russie et en croisant le fer avec la Grèce sur le tracé des frontières en Méditerranée orientale.

 

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Or, alors que la population turque se débat aujourd’hui avec une inflation de 80% et un effondrement de la livre turque, la Turquie doit sortir de l’isolement pour retrouver des financements. Ainsi, outre Israël, le pays a aussi normalisé ses relations avec les Emirats Arabes Unis et l’Arabie Saoudite, à la faveur de visites d’Etat d’Erdogan à Abu Dhabi en février dernier et à Riyad en avril. Par ces rapprochements, la Turquie espère ainsi attirer de nouveaux investissements étrangers, mais aussi plaire à Washington, l’administration Biden étant bien moins favorable à Erdogan que l’administration Trump. Ces enjeux sont d’autant plus essentiels pour le président turc qu’une élection présidentielle très dangereuse pour lui se profile en juin 2023.  

 

La réconciliation entre la Turquie et Israël démontre ainsi la nécessaire évolution des lignes géopolitiques régionales, et la recherche d’alliances dans un contexte difficile. Toutefois, rien ne dit que cette nouvelle entente va durer sur le long terme… C’est donc une affaire à suivre !

Mehdi Lahiani

Etudiant en première année à HEC Paris après deux ans de prépa ECS.

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