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La face cachée des “Trente Glorieuses” (1/2)

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Face cachée des Trente Glorieuses.

Les “Trente Glorieuses”, qui ont marqué la France de 1945 à 1975, sont célébrées comme une période idéale. Toutefois, la prospérité de l’époque s’est faite à un lourd prix environnemental. Sous plusieurs aspects, ces décennies ont en fait marqué une régression. Cet article cherche à renouveler notre regard sur les décennies d’après-guerre, en les inscrivant dans une histoire environnementale globale.

 

Origine de l’expression

L’expression “Trente Glorieuses” fut proposée en 1979 par l’économiste Jean Fourastié dans son livre Les Trente Glorieuses, ou la révolution invisible de 1946 à 1975. Il y fait une analogie avec les Trois Glorieuses, ces trois jours de révolution de juillet 1830 qui ont installé une monarchie bourgeoise et industrialiste. Il affirme aussi que les “Trente Glorieuses” ont été une “révolution” menée de façon consensuelle par des technocrates. Cette expression est une manière de caractériser une période de croissance économique, d’expansion capitaliste dirigée, qu’a connu l’Occident jusqu’au milieu des années 1970.

 

Une autre histoire des “Trente Glorieuses”

Face aux mythes qui l’entourent, certains historiens se sont attachés à révéler une “contre-histoire des Trente Glorieuses”. C’est notamment le cas de Cécile Pessis, Sezin Topçu et Christophe Bonneuil dans leur ouvrage Une autre histoire des “Trente Glorieuses”. Ces derniers viennent ainsi déconstruire le mythe d’une époque de croissance, d’abondance et de compromis social face à l’entrée de la France dans la modernité. Ils proposent de montrer à quel point cette période n’a pu exister qu’au prix de dégâts environnementaux désastreux (pollution de l’air et des sols, destruction des paysages, coût énergétique et sanitaire exorbitant, etc.).

 

Des “Trente Glorieuses” aux “Trente Ravageuses” 

Pessis, Topçu et Bonneuil proposent de renommer les “Trente Glorieuses” les “Trente Ravageuses” (Cf. Une autre histoire des “Trente Glorieuses). Ils pointent du doigt les désastres multiples engendrés dans l’ombre par cette période. Les récits historiens étaient souvent imprégnés de l’idéologie des protagonistes de la modernisation d’après-guerre. Le métabolisme environnemental de la période est en revanche très peu étudié. Il est donc intéressant de s’y pencher dessus afin de lever le voile mystique sur cette période d’euphorie économique.

 

L’histoire de la “Grande Mue”

Il convient également de rendre honneur à deux écologistes chrétiens précurseurs : Jacques Ellul et Bernard Charbonneau. Ce dernier observe la “Grande Mue”. Elle transforma, dès le début du XXe siècle, la campagne en une banlieue à “l’allure hétéroclite d’un dépotoir”. “Nous pouvons fabriquer des barrages qui retiennent des mers artificielles, et des bombes plus terribles que des volcans; demain nous changerons les climats”, écrit Bernard Charbonneau. Déjà le penseur imagine “les plages saturées de baigneurs” et “la mer obstruée par le mazout et le plastique”. Précurseur, il l’est aussi sur le plan de l’alimentation, annonçant avec plus de vingt ans d’avance la crise de la vache folle.

 

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Le désastre écologique des “Trente Glorieuses”

En premier lieu, il nous faut souligner les conséquences écologiques de cette exceptionnelle croissance économique. En effet, le progrès s’est fait au détriment des ressources naturelles et des espaces encore préservé. Ce n’est qu’à leur apogée, en 1972, qu’est publié le fameux rapport Meadows sur “les limites de la croissance”.

Pour chaque point de croissance économique, il y avait deux points de croissance de la consommation d’énergies fossiles. La ville, la production industrielle, l’agriculture et le modèle d’habitat et de consommation des “Trente Glorieuses” représentaient un recul en termes d’efficacité énergétique et d’utilisation de la matière. La production augmentait pendant que le rendement énergétique se dégradait. Le réseau routier et autoroutier s’étoffait, mais le réseau ferroviaire fut amputé. 

 Le coût environnemental de ce développement fulgurant lui vaudra également le surnom de “Trente Pollueuses”. 

 

Croissance et décolonisation

Une autre préoccupation des “Trente Glorieuses” est le lien particulier qu’elle entretient avec le processus de décolonisation et l’émergence du Tiers-Monde. En effet, la croissance des décennies d’après-guerre est inséparable d’un échange inégal avec le Tiers-Monde. Elle l’est aussi du pillage des ressources naturelles limitées de la planète. Cela conduira notamment l’économiste marxiste Arghiri Emmanuel à développer sa théorie de l’échange inégal. En résumé, le commerce international à cette époque est vicié par une inégalité dans les termes de l’échange entre les pays riches et les pays pauvres. En raison des différences de salaire entre ces pays, les uns pouvaient acheter à bas prix des marchandises fabriquées par les autres. De ce fait, la croissance s’effectua au détriment d’une partie du monde, par transfert de richesse des périphéries vers le centre.

 

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Des problèmes sanitaires pendant les “Trente Glorieuses”

Il faut aussi mettre en lumière les impacts sanitaires de la croissance. De ce point de vue, il y eut par exemple plus de 75 000 morts de silicose entre 1946 et 1987. Des millions de mètres carrés de bâtiments furent recouverts d’amiante, produit phare de la modernité d’après-guerre, causant des morts par centaines de milliers.

D’autres problèmes sanitaires se sont révélés plus tardivement. Malgré tout des scientifiques et des apiculteurs dénonçaient déjà les dégâts des pesticides à la fin des années 1940, par exemple. Souvent, ces alertes et ces contestations ont été doublement étouffées. Elles furent d’abord marginalisées par les modernisateurs. Puis elles connurent une deuxième mort  du fait que les historiens ne s’y sont pas intéressés jusqu’à récemment. 

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Gabin Bernard