Robert E. Lucas Junior (1937-2023) est un économiste américain, lauréat du prix Nobel d’économie en 1995 pour ses contributions à la théorie des anticipations rationnelles et son analyse de la politique économique. Lucas est une figure centrale de l’école de la nouvelle économie classique, un courant de pensée qui met l’accent sur l’importance des anticipations des agents économiques et sur l’efficacité des marchés. Lucas a également été un membre influent de l’École de Chicago, dont il a contribué à renforcer la réputation en tant que bastion du libéralisme économique et de l’analyse rigoureuse des marchés. Ses travaux ont exercé une influence majeure sur la macroéconomie moderne, en particulier sur les modèles économiques qui prennent en compte l’information et les anticipations des agents. Dans cet article, nous évoquerons les contributions de Lucas à la pensée économique, ainsi que son héritage.
Biographie de Robert Lucas
Robert Lucas est né à Yakima, Washington, et a grandi dans un environnement rural qui a marqué son approche analytique. Après avoir obtenu son diplôme en économie à l’Université de Chicago en 1962, il y poursuit ses études où il est formé sous l’influence de Milton Friedman, un mentor clé. Lucas est rapidement devenu un membre influent de l’École de Chicago, une école de pensée économique connue pour son approche rigoureuse des marchés libres et de l’économie de marché.
Lucas a enseigné à l’Université de Chicago pendant plusieurs décennies, contribuant à sa réputation internationale en tant que centre de recherche économique. En plus de son rôle à Chicago, il a occupé des postes à l’Université de Washington et à l’Université de Carnegie Mellon. Sa carrière a été marquée par une reconnaissance académique importante, incluant le prix Nobel d’économie en 1995. Il décède le 15 mai 2023 à Chicago.
Les informations clés sur Robert Lucas
- Courant de pensée : Nouvelle économie classique (NEC)
- Champs d’étude : macroéconomie, théorie de la croissance économique, évaluation des politiques publiques
- Articles principaux : “Expectations and the Neutrality of Money” Journal of Economic Theory (1972) “Econometric Policy Evaluation: A Critique” Journal of Monetary Economics (1976)
“On the Mechanics of Economic Development” Journal of Monetary Economics (1988)
Les apports de Lucas à la pensée économique
Le paradoxe de Lucas
Selon la loi des rendements décroissants, le rendement marginal obtenu par l’utilisation d’un facteur de production supplémentaire diminue, toutes choses égales par ailleurs. Ainsi, comme les pays développés sont richement dotés en capital alors que les pays en développement ne le sont pas, il devrait donc être plus rentable d’investir dans ces derniers pays. Le capital devrait donc transiter des pays développés aux pays en développement.
Or en 1990, Robert Lucas met en évidence l’inverse dans l’article « Why doesn’t Capital Flow from Rich to Poor Countries? », AER. En effet, non seulement les capitaux demeurent dans les pays développés, mais des flux d’investissements y parviennent de surcroît depuis les pays en développement ou émergents. Ce phénomène s’accentuera dans les années 2000 avec les nombreux investissements chinois vers les Etats-Unis et l’Europe.
Ce phénomène, intitulé paradoxe de Lucas, s’explique notamment par l’asymétrie d’information qui incite les investisseurs à demeurer en terrain connu, mais également par des problèmes de faiblesse des institutions dans les pays en développement ou émergents (corruption, insécurité, problèmes d’infrastructures…).
Contribution à la théorie de la croissance endogène
Dans le but d’élucider le mystère planant autour du résidu de Solow dans l’explication de la croissance économique, Robert Lucas va apporter sa pierre à l’édifice de la croissance endogène. Dans ” On the Mechanics of Economic Development ” Journal of Monetary Economics (1988), il va identifier l’importance du capital humain (le stock de connaissances, de savoir-faire et de compétences appropriés par les individus et valorisables économiquement) sur la croissance. En effet, le capital humain n’est pas soumis à une productivité marginale décroissante car il ne perd pas en capacité lorsqu’on l’accumule et peut en plus être diffusé aux autres, créant une externalité positive. Le capital humain permet donc de contribuer sur la durée à la croissance en améliorant la productivité de la main-d’œuvre.
Comme les travailleurs doivent choisir entre travailler et se former, ce qui représente un coût pour eux, Lucas affirme que c’est ici à l’Etat (et pas au marché) de réaliser d’importantes dépenses d’éducation pour augmenter le stock de capital humain, dans le cadre de politiques structurelles.
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Théorie des adaptations rationnelles
Dans “Expectations and the Neutrality of Money” Journal of Economic Theory (1972), Lucas propose sa théorie des adaptations rationnelles. Il postule que les agents économiques, étant rationnels, utilisent toute l’information disponible pour former leurs attentes sur l’avenir. Contrairement aux modèles antérieurs comme la théorie des anticipations adaptatives de Friedman, qui supposaient des anticipations basées sur le passé, cette théorie suggère que les agents sont complètement rationnels et analysent en moyenne correctement l’information, et donc ils anticipent les effets des politiques économiques et ajustent leur comportement en conséquence. Ainsi, les politiques monétaires et fiscales perdent de leur efficacité, car les agents les anticipent et les intègrent dans leurs décisions de consommation, d’épargne…
La “Critique de Lucas”
Lucas va à la suite de cela effectuer sa critique des modèles macroéconomiques keynésiens et des politiques économiques conjoncturelles qui en découlent. En effet, ces modèles ont été conçus avec des données passées et à moins d’utiliser les mêmes politiques qu’auparavant, ils donneront des prévisions erronées, car les individus vont donc effectuer des anticipations dites rationnelles. De plus, il ajoute que des politiques monétaires discrétionnaires peuvent engendrer des fluctuations économiques néfastes. En effet, une politique monétaire expansionniste augmente artificiellement la demande, ce qui influe sur les investissements des producteurs. Mais lorsqu’elle s’arrête, ces derniers deviennent improductifs, contraignant les entreprises à licencier et amenant à un ralentissement de la croissance : c’est le point de départ d’une fluctuation économique, qui est donc exogène et causée par le gouvernement. Les politiques conjoncturelles seraient donc inefficaces voire néfastes et les gouvernements devraient donc plutôt se concentrer sur des politiques structurelles.
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Héritage
Robert Lucas a profondément influencé la macroéconomie en introduisant l’idée que les cycles économiques peuvent être déclenchés par des chocs monétaires, une approche initialement vue comme un raffinement du monétarisme. Cependant, cette théorie a été rapidement supplantée par la théorie des cycles réels, qui attribue les fluctuations économiques aux chocs technologiques. Il est de ceux qui ont mis fin au consensus keynésien, proposant de nouvelles voies.
L’héritage durable de Lucas réside surtout dans sa méthodologie, notamment l’adoption des anticipations rationnelles, influençant plus tard les nouveaux keynésiens. Cette approche a poussé la discipline vers une abstraction mathématique, parfois critiquée pour être déconnectée de la réalité. Malgré cela, l’influence de Lucas a conduit à un changement radical dans la manière dont les économistes conçoivent et modélisent l’économie, même si cela a parfois éloigné la théorie des réalités économiques empiriques.