En 1958, Hannah Arendt pense notre mode de vie dans le chapitre 4 de son livre : condition de l’Homme moderne. Dans ce livre, elle nous parle de ce qu’elle appelle la vita activa, soit l’ensemble de ce que nous faisons dans notre vie. Elle découpe cette façon de vivre en trois types de comportements.
Certaines de ces catégories peuvent être vues comme une façon de créer un monde, pendant que d’autres sont une simple façon d’exister dans le monde. Ainsi, dans ce texte, Hannah Arendt explique comment l’Homme peut créer son propre monde. Nous répondrons donc ici à la question de comment l’Homme peut-il créer un monde, alors qu’il vit déjà dans un monde préexistant.
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L’Homme vit avant tout dans un monde
La première catégorie de la vita activa qu’Hannah Arendt examine est le travail. Le travail consiste en toutes les activités produites par l’Homme afin de pouvoir vivre. Ce travail consiste ainsi en la création de biens de consommations nécessaires à la vie de l’Homme, tels que la nourriture. Tous ces biens sont consommés et disparaissent ensuite. Ils entrent dans le cycle de la Nature des objets produits puis consommés. Par ce type de comportements, l’Homme s’inscrit donc dans un monde déjà existant, il ne fait que répondre à ses besoins, et ne crée rien.
De plus, nous vivons dans un monde où la politique, qui, selon Arendt, et l’un des moyens les plus efficaces de faire changer le monde, est devenue utilitariste. Arendt fait remonter ce phénomène à Platon. Alors que la politique devrait être un domaine pur dirigé par les idées de chacun, elle perd ainsi de sa valeur et se retrouve soumise aux ambitions de chacun. Elle en conclut donc que nous vivons dans le carcan d’un monde déjà existant. Il ne semble dès lors pas possible pour l’Homme de se créer un monde.
L’Homme a tout de même une capacité de création
Toutefois, le travail n’est pas le seul aspect de la vita activa qu’Hannah Arendt identifie. Un deuxième type de comportements qu’elle reconnaît est l’œuvre. L’œuvre consiste en la production d’un objet qui va subsister à l’activité en soi. Elle se différencie du travail, par le fait qu’elle ne relève pas du consommable. Arendt explique le travail comme relevant plus de l’activité de l’animal, là où l’œuvre aurait un aspect plus humain. L’œuvre a un aspect bien plus créateur que le travail, et c’est par cet intermédiaire que l’Homme aurait la capacité de transformer le monde dans lequel il vit. Il crée ainsi son monde artificiel.
Notons toutes fois que pour l’auteure, toute fabrication impose une destruction de la Nature dans sa situation initiale. En effet, pour créer un objet, il faut en récupérer les matières premières. Or, comme l’œuvre a une notion éternelle, les matières premières ne retourneront en théorie jamais dans la nature. Il y a donc là un vol à la Nature qui défigure la Nature. L’œuvre interrompt ainsi les cycles naturels. L’Homme crée donc son propre monde en déformant l’original.
L’œuvre n’est que la base de la création d’un monde
Toutefois, au-delà de créer son propre monde par ses œuvres, l’Homme peut aller plus loin dans la création de monde pour Arendt. En effet, si l’humanité doit s’arracher à la nature par le fait de l’œuvre, c’est afin de préparer le terrain pour l’action. L’action est le troisième et dernier comportement de la vita activa d’Hannah Arendt. Elle correspond à la mise en œuvre d’une initiative commune. Ce comportement se différencie de l’œuvre par cet aspect qu’il est commun, là où l’œuvre est initialement solitaire. L’action vise donc à changer le monde en donnant effet à des idées préalablement établies.
Vous l’aurez compris, l’action a pour particularité son aspect social, commun. L’action n’est pour Arendt, jamais séparable de la parole. En effet, l’œuvre est une transformation du monde individuellement. Celui qui fait l’œuvre s’isole pour créer. Cette première transformation du monde se fait donc seul. Le commun vient après, une fois que l’œuvre est montrée au public. Elle permet alors de lancer un débat entre les individus à son sujet. C’est alors ce débat qui permettra de créer la discussion nécessaire pour lancer l’action. Pour cette raison, l’œuvre crée une base qui permet aux être humains de s’unir pour changer le monde par l’action.
L’œuvre est enfin un moyen de maintenir les actions, politiques notamment, dans un droit chemin. En effet, pour Arendt, l’utilitarisme est un danger pour la politique, car la vie politique doit être liée à la liberté, et donc au désintéressement. Il faut éviter cette confusion entre politique et intérêts. L’œuvre aide les Hommes à rester dans cette optique et à avoir des relations désintéressées, car elle n’est elle-même ni de la consommation ni utilitaire. L’œuvre permet donc à la politique de respecter ses objectifs initiaux, et de permettre ainsi une réelle transformation du monde. Ainsi, par l’intermédiaire de l’œuvre et de l’action, l’Homme a la capacité de se créer un monde.
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