Hollywood sous la pression de la Chine, nouvel exemple du soft power de l’empire du milieu

Ah qu’il est loin le temps où un producteur lorsqu’il lançait un film n’avait à se concentrer que sur les résultats au box-office américain et à celui européen avant de lancer un film ! A cette époque que l’on peut juger comme s’étant achevée il y a un peu plus de dix ans, il était clair que la Chine n’était pas au centre des préoccupations d’Hollywood tant le pays n’était qu’une puissance majeure dans ce monde. Mais aujourd’hui, cette période est depuis longtemps révolue et il faut avouer qu’alors qu’il y a une décennie encore, on défendait souvent la Chine dont les représentations dans le cinéma américain étaient des plus caricaturales, le rapport de force s’est à présent inversé et bien (trop) souvent c’est Hollywood qui doit se plier au bon vouloir de la Chine.

 

 

De Batman à Mulan, deux exemples marquants qui montrent bien le basculement qui s’est opéré ces dernières années

« Au vu de certaines sensibilités culturelles liées à quelques éléments de The Dark Knight, nous avons décidé de renoncer à une sortie en salles chinoises du film » C’est par ce communiqué lacunaire que Warner Bros annonçait en 2008 renoncer à sortir le film de Christopher Nolan en Chine. Pourquoi ? Car le gouvernement chinois refuse de montrer sur le territoire national des films présentant un « méchant » d’origine chinoise. The Dark Knight entrait dans cette catégorie, puisqu’il met en scène un banquier véreux hongkongais. Pourtant pas un instant les studios n’ont hésité à se couper du marché chinois pour éviter de censurer une partie de leur film. Le beau succès rencontré par celui-ci prouve bien qu’il était parfaitement possible pour un film de l’époque de se passer de l’empire du milieu.

Partons maintenant en 2020, avec le film Mulan. Il est clair qu’avec ce film, Disney fait les yeux doux à la puissance chinoise et à son gouvernement. En effet, le conte originel a été revisité. Par exemple l’héroïne ne fait plus partie d’une minorité, ce qui aurait été mal vu par le régime sur place, mais bien de la célèbre dynastie des Hans. De plus Disney n’a rien fait pour tenter de faire taire l’actrice recrutée pour jouer le rôle-titre Liu Yifei qui n’a jamais caché son soutien pour le régime chinois et s’est notamment illustré par de nombreuses sorties fracassantes qui ont provoqué la colère de nombreux opposants taiwanais ou hongkongais. Bienvenue en 2020, une époque où l’on ne peut plus ne pas tenir compte de la nouvelle puissance économique chinoise et où il vaut mieux être dans les petits papiers du régime de Pékin.

 

 

Les raisons de cette nouvelle influence chinoise

Si la Chine prend une telle importance aujourd’hui à Hollywood, c’est à cause d’un élément simple qui concerne autant les grands studios que n’importe quelle entreprise : le but des grandes compagnies cinématographiques est de gagner un maximum d’argent. Pour cela, elles se doivent de prodiguer à leurs clients, les spectateurs et les grands marchés cinématographiques, des produits en accord avec leur demande (difficile ici en effet de parler de besoin). C’est exactement ce qui se passe ici. Il y a dix ans, la Chine n’était encore qu’un marché mineur pour le cinéma. Aujourd’hui, elle est devenue le second à l’échelle mondiale avec des recettes atteignant 8,87 milliards de dollars en 2018. Elle est seulement dépassée par l’Amérique du Nord du géant états-unien avec ses 1,8 milliards de dollars, et encore on ne sait pas pour combien de temps (selon les prévisions des spécialistes, le marché chinois devrait dépasser le marché américain au cours de la prochaine décennie, tant l’explosion de la classe moyenne dans le pays qui compte déjà le plus grand nombre d’écrans de cinéma au monde rend ce bouleversement inévitable). La Chine est donc devenue un nouveau mastodonte en termes d’apport de spectateurs donc de revenus pour un film. Mieux vaut donc pour les studios miser sur des films aptes à cartonner en Chine !

 

La Chine au cœur de la stratégie des studios aujourd’hui

Ici, nous citerons deux exemples récents montrant bien l’importance dans la réussite d’un film du marché chinois et l’influence que la Chine obtient donc à Hollywood.

Citons tout d’abord En eaux troubles (The Meg en version originale), un film de requins tout ce qu’il y a de plus banal sorti en Août 2018 avec Jason Statham dans le rôle principal. Sur le papier, rien de bien révolutionnaire : le film est rafraîchissant tout en restant affreusement conventionnel et brouillon. Bref, le genre de film à aller voir avec plaisir l’été à la sortie de la plage mais que l’on aura oublié dès le lendemain. Et le moins que l’on puisse dire c’est qu’après s’être fait descendre en flammes par la critique, le succès du film en salles outre-Atlantique est plus que mitigé : seulement 145 millions de dollars de recettes aux États-Unis, c’est un minimum quand on voit l’ambition du studio et le CV de l’acteur principal. Seulement, ce même studio avait une botte secrète : le film se déroule en partie en Chine, en collaboration avec un studio chinois, avec deux acteurs chinois dans des rôles importants. Dès lors le film est largement diffusé en Chine où il rapporte plus de 150 millions de dollars. Voilà comment on transforme un navet en poule aux œufs d’or, et un The Meg 2 est déjà dans les tuyaux !

Plus récemment encore, le dernier né de l’écurie Marvel, Shang Shi et la légende des dix anneaux est sorti il y a à peine trois semaines. Il s’agit sans doute du plus parfait exemple de la nouvelle place de la Chine à Hollywood. Le grand patron de Marvel Studios Kevin Feige a vu l’univers qu’il a mis plus de dix ans à mettre en place et que les fans connaissent désormais sous le nom de MCU arriver à un tournant en 2019. Le quatrième film de la saga Avengers marquait le départ de nombreux personnages adorés des fans tels que Iron Man et Captain America. Dès lors, se posait la question de savoir comment conserver intact la hype autour des futurs films Marvel. Fallait-il parier sur les seconds couteaux pour prendre la place de leurs futurs aînés ? Oui mais pas que semble avoir répondu le studio américain. En effet, celui-ci a choisi de sortir de derrière les fagots un tout nouveau super-héros beaucoup moins connu des fans : Shang Shi. Celui-ci est chinois, sera joué par un acteur qui comme la très grande majorité du casting sera chinois. Ici pas la peine de vous faire un dessin : Marvel fait clairement les yeux doux au marché que représente l’empire du milieu. Cette décision a encore été renforcée dans son exécution par la conjoncture actuelle : depuis la pandémie, la plupart des films font moins recette au cinéma qu’auparavant. C’est ce que nous a notamment montré le récent Tenet de Christopher Nolan sorti fin 2020. Mais en Chine… les cinémas sont ouverts et font salle comble !!! Dès lors, laisser de côté d’autres films moins axés sur le marché chinois et amplifier largement la campagne de communication sur Shang Shi était la meilleure stratégie possible pour le studio ! Plaire à la chine et au régime en place est ainsi devenu en quelques années partie intégrante des missions de l’industrie hollywoodienne.

Julien Vacherot

Étudiant à HEC Paris en Stratégie fiscale et juridique internationale et responsable géopolitique, j'ai pour but de vous faire partager ma passion et de vous aider dans cette matière et partout où c'est possible

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