À la suite de la crise du Covid-19, la masse monétaire en circulation a augmenté à des rythmes historiquement élevés dans la zone euro et aux États-Unis. Pourtant, deux années plus tard, nous nous retrouvons avec une inflation galopante qui menace le pouvoir d’achat des agents économiques mais également les différents systèmes financiers. À ce titre, nous pouvons nous interroger sur ce phénomène et le lien qu’il pourrait entretenir avec ce qu’appelait Milton Friedman « l’illusion monétaire » en son temps ?
La théorie économique
En 1970, Milton Friedman nous dit « l’inflation est toujours et partout un phénomène monétaire en ce sens qu’elle est et qu’elle ne peut être générée que par une augmentation de la quantité de monnaie plus rapide que celle de la production » en s’appuyant sur la fameuse dichotomie de la monnaie entre la sphère monétaire et la sphère réelle, théorisée un siècle plus tôt dans les années 1870 par les Néoclassiques. En effet, en s’appuyant sur la théorie quantitative de la monnaie énoncée par Jean Bodin au XVIè siècle qui critiquait les Mercantilistes espagnols, qui confondaient l’or rapporté d’Amérique avec l’enrichissement de l’Espagne. Les néoclassiques et notamment Fisher ont réussi à créer une équation pour la théorie quantitative de la monnaie : MV=PT. Dans cette équation, M est la masse monétaire en circulation, V la vitesse de circulation de la monnaie, P le niveau général des prix et T le nombre de transactions annuelles. La théorie quantitative de la monnaie énonce donc que l’offre de monnaie est toujours égale à la demande de monnaie à long terme, et que ce sont les variations de P qui le permettent. Ainsi, selon les néoclassiques dans le cas d’une politique monétaire expansionniste et du fait de la dichotomie entre sphère réelle et monétaire, l’augmentation de la masse monétaire ne peut se répercuter que sur les prix.
Friedman va reprendre cette idée mais pour lui la monnaie, comme tout actif, peut faire l’objet d’une demande spécifique : elle peut être demandée pour elle-même, pour thésauriser son patrimoine, et pas seulement pour régler des échanges, ce n’est pas un voile. Friedman rajoute également le concept de Revenu Permanent (P.Yp), soit le revenu réel anticipé par l’individu du fait de son travail actuel et futur, du fait de son patrimoine humain actuel et futur mais aussi de son patrimoine financier actuel et futur. C’est un raisonnement de long terme. Ce revenu futur anticipé varie de manière prévisible, sans-à coup, la demande de monnaie est donc stable. Comme cette demande de monnaie est stable, une politique monétaire d’action sur les variations de prix est efficace. L’offre de monnaie est créée par la Banque Centrale qui en contrôle parfaitement et efficacement le niveau, elle est donc exogène. Si la Banque Centrale mène une politique monétaire keynésianiste expansive dont l’objectif est de relancer la croissance, et donc augmente la masse monétaire en circulation, alors l’impact final sera tout simplement une augmentation des prix sans croissance car la demande de monnaie est anticipée par les agents économiques.
Lire plus : La mondialisation sur la sellette, Dani Rodrik, 2018
L’illusion monétaire
Pour Fridman, l’inflation ne peut provenir que d’une création monétaire excessive de la part de l’Etat ou de la Banque Centrale. Or en 2020, le taux de croissance de la masse monétaire en zone euro a plus que doublé pour atteindre 12% (contre 5% en 2019) et aux États-Unis il a même quintuplé (25% contre 5% en 2019). Seulement pour lui, la masse monétaire doit varier comme la hausse du revenu permanent à laquelle on ajoute une inflation cible c’est à dire une inflation nécessaire à l’économie, sans laquelle l’économie ne peut pas tourner. Mais il est évident que les agents économiques n’avaient pas prévu une hausse de 12% de leur revenu permanent en 2020. Ils ont donc été victime de ce que Friedman appelle l’illusion monétaire.
Suite à la politique monétaire des banques centrales, que l’on peut qualifier d’expansionniste les individus ont imaginé que leur revenu avait augmenté, qu’ils s’étaient enrichis, ils ont donc fait des « anticipations adaptatives », concept développé par Jean Bodin. Finalement ils ont dépensé de manière plus importante en se pensant plus riche mais au fil du temps l’INSEE a publié des chiffres d’inflation plutôt élevés car les ménages ont acheté davantage sans pour autant que les entreprises n’aient la capacité de produire plus donc in fine les prix ont augmentés. En s’apercevant de cette situation, les ménages se sont aperçus qu’ils n’ont jamais été plus riches, ils sortent donc de l’illusion monétaire. Ils réduisent leurs dépenses pour rattraper leur erreur de calcul et leurs excès et le résultat final c’est que nous avons assisté à une augmentation des prix combiné à une croissance nulle.
Lire plus : L’euro au plus bas face au dollar depuis vingt ans
Pour conclure, dans cet article, nous avons essayé de réactualiser la théorie quantitative de la monnaie de Milton Friedman face à un constant sans appel : au mois de juillet 2022 l’inflation s’élevait à 8,9% en zone euro et la croissance culminait à 0,7 point au deuxième trimestre.