Dans une tribune du 19 juin 2023 intitulé « The Global Minimum Corporate Tax Needs More Work » publiée sur le média Project Syndicate, l’économiste américain, lauréat du prix Nobel d’économie en 2001, Joseph E. Siglitz, a pris la parole sur les derniers efforts à réaliser pour le projet d’impôt minimum mondial.
Un accord pour établir un impôt minimum mondial a été adopté en 2021
Joseph Stiglitz commence sa tribune en rappelant qu’après de longues négociations, un accord a été adopté en 2021 par les dirigeants du G7 pour établir un impôt minimum mondial de 15 % payable par les sociétés où qu’elles opèrent. Cet impôt avait pour objectif de dissuader les transferts de bénéfices vers les paradis fiscaux et de limiter les politiques du chacun pour soi en matière d’attraction des investissements étrangers. Il introduisait également un impôt supplémentaire pour « environ 100 des plus grandes et plus rentables multinationales au monde, en veillant à ce que ces [sociétés] payent une juste part d’imposition, où qu’elles opèrent et génèrent des bénéfices ». Il visait ainsi à faire payer une juste part d’impôts aux géants technologiques tels qu’Amazon et Google, peu importe leur présence physique dans les pays où leurs produits et services sont vendus.
Cependant, l’auteur regrette que le consensus en faveur de cet accord semble s’effriter. Alors que l’Union européenne et d’autres membres de l’OCDE ont commencé à mettre en œuvre l’impôt minimum mondial convenu, le Congrès des États-Unis l’a rejeté l’année dernière par crainte de désavantager les entreprises américaines sur le plan concurrentiel. A travers l’Inflation Reduction Act, les États-Unis ont plutôt opté pour un impôt minimum alternatif de 15 %, applicable uniquement aux sociétés réalisant plus d’un milliard de dollars de bénéfices pendant trois ans consécutifs, ce qui ne concerne qu’un petit nombre de multinationales américaines.
L’économiste américain rajoute que le volet de l’accord visant à réorienter une partie des bénéfices des plus grandes multinationales vers les pays signataires nécessite un traité multilatéral contraignant. Cependant, les États-Unis ne peuvent pas ratifier de traité sans une majorité des deux tiers au Sénat, et les Républicains ont déjà fait savoir qu’ils s’opposeraient à tout nouvel impôt sur les multinationales américaines. Pour autant, « les pays du Sud ont cruellement besoin de nouvelles sources de recettes fiscales, et nombre d’entre eux ont conclu que leurs préoccupations n’étaient pas suffisamment prises en compte dans le règlement négocié il y a deux ans ». Joseph Stiglitz indique qu’aujourd’hui, le manque d’avancées en direction d’une pleine adoption affecte encore davantage leur confiance dans le processus.
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Joseph Stiglitz dénonce les règles actuelles de l’impôt
Stiglitz s’appuie sur les propositions des pays africains, visant à lancer cette année une nouvelle phase de négociations intergouvernementales autour d’un impôt international ainsi que les discussions entre la Colombie, le Brésil et le Chili pour une approche régionale commune, pour dénoncer à nouveau les règles actuelles. Actuellement, « les multinationales parviennent aisément à échapper au paiement de leur juste part d’impôt, en enregistrant leurs bénéfices dans des juridictions faiblement imposées. Résultat, les gouvernements se retrouvent privés de recettes fiscales (à hauteur de 240 milliards de dollars chaque année), et les entreprises locales doivent rivaliser selon des règles du jeu inéquitables contre des multinationales moins imposées qu’elles ».
L’impôt minimum était censé être renforcé par des règles permettant de déterminer quel État pouvait taxer les bénéfices sous-imposés des multinationales. Cependant, dans la pratique, ces règles ont conduit principalement les pays d’immatriculation (principalement les grandes économies développées) ou les paradis fiscaux à collecter la majeure partie des recettes, ces derniers n’ayant augmenté leurs taux d’imposition que pour atteindre le minimum de 15 %. Bien que passer d’un monde sans impôt minimum à un taux plancher de 15 % puisse sembler être une avancée, il est à craindre que ce minimum relativement bas ne devienne la nouvelle norme.
Joseph Stiglitz s’appuie notamment sur la règle régissant l’orientation des droits de percevoir l’impôt. « Cette règle ne s’appliquerait qu’à un petit nombre de multinationales, et à moins d’un quart de leurs bénéfices, l’essentiel des profits demeurant soumis à l’actuel régime des prix de transfert. Or, le raisonnement à l’appui de cette division demeure obscur, dans la mesure où les bénéfices d’entreprise déclarés dans la quasi-totalité des juridictions incluent déjà les déductions du coût du capital et des intérêts. Il s’agit de bénéfices purs résultant de l’exploitation conjointe des activités mondiales des multinationales. »
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Pour conclure, pour Joseph Stiglitz, « non seulement l’accord de 2021 mésentend l’économie de l’imposition des bénéfices des sociétés, mais il renforce également les inégalités mondiales en ne conférant que peu de recettes à des pays en voie de développement pourtant actuellement confrontés au parfait désastre d’une crise à la fois énergétique, alimentaire et financière. »