Le 8 décembre 2022, le célèbre économiste et Nobel d’économie 2001, Joseph E. Stiglitz, a publié en partenariat avec Project Syndicate, une tribune (« All Pain and No Gain from Higher Interest Rates ») dénonçant la souffrance inutile que la hausse des taux d’intérêt nous fait courir.
Les banques centrales s’acharnent à remonter les taux d’intérêt
Joseph E. Stiglitz commence sa tribune en dénonçant la détermination inébranlable des banques à augmenter les taux d’intérêt au nom de l’inflation, mais au risque d’une récession, particulièrement dangereuse et couteuses pour les plus pauvres et non pour leurs amis de Wall Street comme les banques centrales auraient tendance à le faire croire.
Le propos de l’enseignant à l’Université Columbia s’appuie sur le rapport du Roosevelt Institute auquel il a participé. Ce rapport démontre que les éventuels bienfaits d’une démarche supplémentaire de réduction de l’inflation par la hausse des taux d’intérêt seront minimes par rapport à ce qu’il se produirait sans nouvelles hausses. En effet, l’inflation semble d’ores et déjà s’atténuer, sans doute moins que l’espéraient les plus optimistes il y a un an, mais elle s’atténue pour les raisons mêmes qu’avaient indiquées ces optimistes.
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L’inflation provient d’asymétries d’ajustement sur le point d’être corrigées
Joseph E. Stiglitz conçoit que les marges ont lentement augmenté avec la monopolisation croissante de l’économie américaine, et ont explosé depuis de début de la crise du Covid-19 mais à mesure que l’économie se rétablira après la pandémie, les marges devraient diminuer, atténuant ainsi l’inflation. De même, les salaires ont temporairement augmenté plus rapidement que durant la période prépandémique, mais c’est une bonne chose. Un immense creusement séculaire des inégalités s’observe en effet, que la récente diminution des salaires réels des travailleurs n’a fait qu’aggraver.
Le rapport du Roosevelt Institute montre que la pandémie a créé de multiples contraintes d’offre sectorielles et changements dans la demande qui sont devenus les principaux facteurs de l’augmentation des prix. Mais un niveau plus élevé de taux d’intérêt fera-t-il augmenter l’offre de puces électroniques automobiles, ou l’offre de pétrole ? Fera-t-il baisser les prix des produits alimentaires, autrement qu’en réduisant tellement les revenus mondiaux que les gens finiront par réduire leur alimentation ? Bien évidemment que non nous affirme le Nobel d’économie 2001.
A l’inverse, des taux d’intérêt plus élevés rendent encore plus difficile la mobilisation des investissements susceptibles d’atténuer les pénuries d’offre.
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Les taux d’intérêt élevés participent aux pressions inflationnistes
Le rapport du Roosevelt Institute montre que la mise en œuvre de politiques budgétaires ciblées a davantage de chances de permettre une maîtrise de l’inflation actuelle que des politiques monétaires brutales. Par exemple, face à la hausse des prix alimentaires, arrêter la politique de soutien des prix agricoles mise en place il y’a plusieurs décennies qui rémunère les agriculteurs pour ne pas produire, alors qu’ils devraient au contraire être encouragés à produire plus en ces temps compliqués. De plus, la bonne réponse face aux augmentations de prix résultant d’un pouvoir de marché excessif réside dans une lutte anti-monopole plus efficace. Enfin, la réponse à apporter face aux augmentations de loyer des ménages pauvres consiste à inciter à investir dans de nouveaux logements, une mesure à l’opposée d’une hausse des taux d’intérêt.
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Pour conclure, dans cette tribune, Joseph E. Stiglitz nous partage son avis sur les différents relèvements de taux d’intérêt qui ont lieu à traves le monde. Même s’il admet qu’après plus d’une décennie de taux d’intérêt ultra-faibles, il est naturel de les « normaliser », les augmenter au-delà de cette nécessité logique, dans une tentative idéaliste de maîtrise de l’inflation, se révèle non seulement douloureux aujourd’hui, mais laissera des cicatrices durables.