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La compétitivité est-elle source de croissance ?

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Le rôle de la compétitivité d’une nation dans sa croissance économique semble évident voire nécessaire à en croire les journaux ou encore nos hommes politiques, tels que l’actuel ministre des finances Bruno Le Maire qui soulignait l’importance d’un déconfinement rapide pour contrecarrer l’avance de nos voisins. 

 

Délimitation et enjeux du sujet :

–       Le rôle de la compétitivité d’une nation dans sa croissance économique est loin d’être évidente : la croissance économique ne dépend pas seulement des débouchés extérieurs. De plus, la demande intérieure ne peut pas toujours être satisfaite grâce à la production nationale.  Il apparait dès lors une relation plus complexe entre compétitivité et croissance.

–       Importance de souligner que la compétitivité est subjective (elle est déterminée en comparaison avec les performances des autres pays), alors que la croissance économique est objective. 

–       La compétitivité d’une nation peut se mesurer par ses parts de marché à l’exportation et leur évolution, son solde commercial, son taux de couverture de ses importations par ses exportations.

 

Quelques écueils à éviter : 

–       Ici, le terme de compétitivité est à prendre au sens macro-économique tout comme celui de croissance, qui désigne bien la croissance économique. 

–       Ne pas laisser de côté la distinction compétitivité prix / hors prix. Sont -elles toutes les deux facteurs de croissance ? 

–       La compétitivité peut se mesurer de diverses façons (cf délimitation et enjeux du sujet), il ne faut donc pas se limiter qu’à un de ses indicateurs qui reviendrait à laisser de côté une partie du sujet.

 

 

I ) La compétitivité d’une économie ou d’un territoire est assurément un vecteur de croissance même si sa forme doit être adaptée au niveau de développement du pays

a)     La compétitivité prix et hors-prix permet de soutenir la croissance 

Une relation semble de prime abord mécanique entre l’évolution de la compétitivité d’un territoire et ses perspectives de croissance. En effet, un pays compétitif exporte davantage qu’il n’importe, par définition. Ces débouchés extérieurs sont gages d’activité et d’emplois sur le territoire, ainsi que d’attractivité ce qui lui permet l’entrée d’IDE et en conséquence de transferts de technologies, de connaissances… qui stimulent la croissance.

 à l’image du modèle asiatique de développement extraverti, la Chine étant aujourd’hui la première puissance exportatrice avec plus de 10% de commerce mondial depuis 2009 ou encore de la stratégie Allemande, dont la contribution au commerce extérieur lui permet de maintenir des taux de croissance positifs. 

 

La relation positive est aussi prouvée dans le cas d’un manque de compétitivité (prix ou hors prix) : si une économie vend des produits trop chers ou de mauvaise qualité, alors ses exportations en sont diminuées, augmentant ainsi le poids des importations dans le calcul de sa balance commerciale. Cette perte de compétitivité engendre des mouvements de délocalisations de la part des firmes voulant défendre leurs parts de marchés. Tout ceci a pour conséquence le creusement d’un déficit courant qui ne peut être résolu en changes fixes que par un ajustement douloureux consistant en une hausse des taux d’intérêts pour rassurer les investisseurs et éviter une crise de change. 

 Ce fut l’écueil commis par le Royaume Uni (« maladie anglaise ») pendant les années 50/60 : à cause d’un manque structurel de compétitivité la relance n’a eu comme seule conséquence de creuser les déficits de l’époque et l’obligation du recours de politique d’austérité pour défendre la parité de la livre (£).  

 

 

b) En fonction du niveau de développement, les pays ont intérêt à rechercher une compétitivité soit prix soit hors prix.

 

Pour les pays développés, l’amélioration d’une compétitivité structurelle est nécessaire pour stimuler leur croissance. Grâce à la montée en gamme, aux innovations, à la hausse de productivité, le système productif national en sera d’autant plus performant et efficace. 

 C’est ce qui semble manquer à la France qui représente aujourd’hui seulement 3% du commerce mondial contre 6% en 1980. Cela peut être expliqué, entre autres, par la faiblesse d’investissements en recherche et développement public (seulement 2,2% du PIB contre 2,8% en Allemagne) mais surtout privé, ou de la spécialisation de milieu de gamme : la France peine à s’imposer à l’international (déficit de sa balance commerciale en biens de 60 milliards d’euros en 2019), d’où la tentative d’Arnaud Montebourg de patriotisme économique basé sur le « made in France » pour stimuler la compétitivité hors prix. 

 

Pour les pays en développement, c’est davantage la compétitivité prix qui doit être recherchée. En effet, grâce à des prix attractifs le manque de capital humain et de technologie peut être compensé, permettant ainsi aux pays en voie de développement de stimuler leurs exportations en augmentant leurs débouchés et de ce fait concurrencer les pays avancés en stimulant leur croissance. 

 à l’image du succès des stratégies asiatiques de développement extraverti, se servant notamment de la sous-évaluation de leur monnaie. 

 

 

 

II)   La compétitivité n’est pas indispensable à un pays pour que ce dernier connaisse une croissance.  

a)  Relativisation de l’importance donnée à l’observation des balances commerciales.

 

Thèse de Paul Krugman de la dérive pop internationale. Selon lui, on assiste depuis les années 90 à un revirement vers les théories mercantilistes donnant une place trop importante à la valeur de la balance commerciale des pays (c’est-à-dire sa part dans le marché mondial). En effet un déficit semble catastrophique alors qu’un excédent serait un gage de croissance saine. 

Or : 

–    Il faut bien que certains soient en excédent et d’autres en déficit 

–    Ce qui donne le bien-être n’est pas les exportations mais les importations : importance de ce que l’on fait de ces excédents 

–    Importance de l’effet de la conjoncture sur la BP : croissance influe sur la BP

–    Un pays qui fait un déficit peut tout à fait gagner à l’échange quand même car l’échange international est justifié par la spécialisation : importer à bon compte est donc autant avantageux que l’activité générée par l’exportation.

 

Relativisation en fonction de la taille de l’économie : la valeur de la balance commerciale dans l’économie des pays n’est pas la même : elle varie en effet en fonction du taux d’ouverture du pays en question. 

 Tous les pays les USA ont un taux d’ouverture de 11% donc pour ce pays, la compétitivité n’est pas déterminante. Au contraire, l’Allemagne a réussi sa stratégie de désinflation dans les années 2000 mais elle est dépendante du marché mondial. Quant à la France, elle a un taux d’ouverture beaucoup moins important donc n’a pas eu les résultats escomptés avec le CICE. 

 

 

b) Si taux de change s’ajuste alors la contrainte extérieure s’atténue et l’importance de la compétitivité pour l’économie avec. 

 

David Hume et Richard Cantillon ont depuis longtemps défendu l’hypothèse selon laquelle le taux de change s’ajusterait automatiquement en cas de perte de compétitivité (effet volume). Déficit  baisse du taux de change  baisse de la valeur de la monnaie nationale  + compétitivité  + exportations. Donc automatiquement, on revient à l’équilibre grâce à la variation du taux de change. Cela permet donc d’affirmer que la compétitivité n’est pas une variable indispensable pour stimuler la croissance. 

 

 

 

III) C’est même dangereux

a)     Les politiques visant la compétitivité prix peuvent avoir des effets pervers  

Les États peuvent avoir recours à deux politiques afin de défendre leur compétitivité prix : Par baisse des coûts de production (1) et jouer sur le taux de change (2) .

(1) Si le taux d’ouverture est faible, alors la recherche d’une forte compétitivité prix grâce à la baisse des coûts de productions – à l’image de la réforme Hartz en Allemagne ou encore la déflation britannique des années 20– induit une déformation dans le partage de la VA en faveur du profit, ce qui limite d’autant la demande intérieure (qui est pourtant plus importante que l’extérieure). On retrouve ici le problème de la croissance équilibrée. Le motif de la compétitivité a donc pu constituer un facteur de la déformation du partage de la VA en défaveur des salariés, engendrant un problème d’équilibre dynamique entre l’offre et la demande et ainsi une croissance déséquilibrée. À cause de la compression de leurs salaires, la demande globale en est diminuée ce qui entraîne un chômage keynésien important. 

 Plan Laval Rueff 1935 : malgré la politique qui devait restaurer la compétitivité, les fruits de la croissance étant inégalement répartis, la France est l’un des seuls pays à ne pas avoir bénéficié de la croissance d’après-guerre. 

(2) Si les pays choisissent de jouer sur le taux de change (c’est-à-dire sous-évaluer leur monnaie), ils se risquent alors également à l’effet d’une spirale inflationniste pouvant être par exemple enclenchée par des boucles prix salaires.

 

La recherche de compétitivité prix est une politique « beggar my neighbour » (dilemme du prisonnier). Les gains de productivité et la croissance d’un pays ne limitent pas celle des autres : les politiques fondées sur la compétitivité extérieure (= l’extraversion) reviennent à une politique « beggar my neighbour » (traduction : enrichissement au dépend du voisin), revenant à l’exportation des tensions déflationnistes et de son chômage. 

 D’où le problème posé par les excédents allemands qui empêchent les pays en déficit (Grèce, Espagne…) d’avoir des ajustements plus souples & aussi des dévaluations commerciales compétitives pendant les années 30. 

 

 

b) L’idée selon laquelle la compétitivité est à rechercher absolument vient de la confusion entre productivité et compétitivité hors prix 

 

Alors que la recherche de la compétitivité prix à l’international est un jeu à somme nulle, celle de la compétitivité hors prix est à somme positive : l’amélioration du processus productif d’un pays n’engendre pas la baisse de celui des autres pays. Ainsi, il apparaît que les politiques visant la compétitivité sont efficaces et favorables à l’ensemble de l’économie quand elles sont favorables à la productivité et à des changements structurels rendant les économies plus innovantes. 

 

Mais alors, dans ce cas la compétitivité n’est seulement qu’un sous-produit des bienfaits de la productivité. Dès lors, le rôle de la compétitivité d’un pays dans sa croissance est remis en cause : c’est bien les gains de productivité permis par ces politiques qui engendrent une hausse de la croissance. Il convient également de noter que cette hausse de productivité ne permet qu’une hausse de compétitivité si les autres pays ont leur productivité qui augmente moins vite ! On voit donc bien un paradoxe dans la relation compétitivité/croissance : la compétitivité dépend de la productivité relative alors que la croissance dépend de la productivité absolue. 

 

 

Éléments de conclusion 

–    Il semble donc que la relation compétitivité-croissance est complexe (dépend de si on prend en compte la compétitivité prix ou hors prix, de la taille du pays…). 

–    Il semble par ailleurs que l’écueil de « la compétitivité à tout prix » tel qu’a pu le défendre B. Le Maire et nombreux autres, traduise en réalité une confusion qui peut s’avérer dangereuse si elle est étendue à tous les pays. 

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Antoine Houdant
Étudiant à Grenoble EM après une prépa ECE à Chateaubriand (Rennes), j'interviendrai dans mes matières de prédilection à savoir l'économie et les mathématiques !