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La concentration, un phénomène à craindre ? (2/2)

Sommaire

Le sujet de l’année dernière de la dissertation d’ESH de l’ESCP était : Faut-il craindre le retour de la concentration industrielle ? Ici je ne vais pas corriger explicitement de sujet mais plutôt vous apporter des pistes de réflexion, des auteurs, des exemples sur ce sujet en m’inspirant du chapitre 4 de l’économie mondiale 2021.

La semaine dernière nous avons vu que nous assistons actuellement à un retour de la concentration, un phénomène ancien mais qui possède aujourd’hui de nouvelles caractéristiques. Tout d’abord la concentration n’est pas la même au niveau local et national, elle n’est pas la même aux E-U et en Europe, et nous en avions conclu que la concentration aujourd’hui repose en grande partie sur les actifs immatériels. Aujourd’hui nous allons nous pencher plutôt sur les effets négatifs et les réticences au phénomène de concentration

Un marché concentré ne peut-il pas être concurrentiel ? Pour l’école de Chicago et notamment la théorie des marchés contestables de Baumol, une entreprise qui est en monopole contestable sur un marché ne se comporte pas comme le monopole prévu par la théorie micro économique. Mais elle se comporte comme si elle était en concurrence Comment rendre un marché contestable ? La contestabilité d’un marché est proportionnelle à la probabilité d’entrée d’une firme concurrente menaçant le monopole de la firme. Selon BAUMOL, ce n’est pas l’absence d’atomicité effective qui compte, mais c’est l’atomicité potentielle, il faut donc cibler cette atomicité potentielle c’est à dire augmenter l’atomicité potentielle et donc supprimer les barrières à l’entrée et à la sortie, parce que Baumol les analyse comme des couts de production irrécupérable. L’idée est la suivante, plus un marché est concurrentiel, plus il y a de concurrents potentiels. Donc lorsque la rentabilité d’un secteur augmente, on devrait voir une hausse des nouveaux entrants, ce qui n’est plus le cas depuis les années 2000 selon Gutiérrez et Philippon. En effet les entreprises dominantes font des rachats prédateurs (killer acquisition) pour empêcher un concurrent de taille modeste de contester leur position dominante. Dans The Great Reversal, Thomas Philipon illustre cet argument par le cas Quidsi-Amazon. Après que Quidsi ait refusé l’offre de rachat de Amazon, le géant américain a commencé à baisser ses prix afin qu’ils atteignent de manière permanente -30% des prix proposés par Quidsi. Au fur et à mesure du temps, Quidsi s’est vu contraint d’accepter l’offre de rachat d’Amazon. Ce qu’il faut retenir c’est que la baisse des prix n’aura été que temporaire, le temps que le concurrent ne soit plus en capacité de refuser l’offre de rachat. Les prix sont bien évidemment remontés une fois que Quidsi eut été absorbée par Amazon. De plus, si la concentration était réellement vertueuse, nous pouvons nous demander pourquoi les taux de marge ne cessent d’augmenter pour les entreprises. Selon Burstein, aux États-Unis seules les grosses entreprises ont bénéficié d’une forte augmentation de leur taux de marge alors que les autres entreprises n’ont pas connu la moindre hausse. Enfin, l’idée que l’on se fait de la concentration vertueuse est des gains de productivité et des prix plus bas notamment or la concentration semble avoir changé de nature depuis les années 2000. Nous sommes passés d’un cercle vertueux entre concentration et croissance de la productivité à concentration et croissance de prix selon Covarrubias.

Comme nous l’expliquions la semaine dernière, pour l’école du public Choice la concentration n’est qu’une étape intermédiaire dans le processus de concurrence. Cependant, une économie de marché tend naturellement vers une forte concentration à l’image de la recrudescence permanente des mouvements de concentration depuis la fin du 18ème siècle avec les cartels, les zaibatsus et désormais les GAFA. C’est peut-être qu’il y a des causes plus profondes, des causes inhérentes au système capitaliste que K.Marx dans Le Capital et Lénine dans L’impérialisme, stade suprême du capitalisme mettant déjà en exergue à leur époque. Les entreprises ont toujours tendance à s’autodétruire au fur et à mesure du temps car les plus grosses entreprises croissent, se concentrent afin d’étouffer la concurrence. Au niveau européen c’est grâce à la forte législation proconcurentiellle que la concentration n’a pas explosé contrairement aux E-U ont les actions de lobbies et de financement des campagnes font florès. Mais même en Europe certains secteurs sont plus vulnérables, comme le secteur bancaire où le poids des cinq plus grandes banques augmente depuis 2010. En somme comme nous l’explique Azar, une tendance anticoncurrentielle importante échappe à la législation européenne : des fonds d’investissements comme BlackRock ou Vanguard investissent désormais dans des entreprises en concurrence sans toutefois augmenter explicitement la concentration des entreprises. Les entreprises sont distinctes mais les actionnaires sont les mêmes.

Mais concrètement qui sont les gagnants de ce jeu de la concentration industrielle ?

Ce ne sont certainement pas les consommateurs car une entreprise en monopole détient un privilège exorbitant : elle influence comme elle veut le prix de son produit. Par exemple nous pouvons dire qu’avant l’arrivée de Free en 2012 sur le marché des télécommunications, SFR, Bouygues et Orange étaient dans un oligopole et les consommateurs ne pouvaient faire jouer la concurrence car ces trois opérateurs fixaient des prix très similaires et aucun concurrent n’existait. Depuis l’arrivée de Free, ces trois opérateurs n’ont cessé de baisser leur prix. Et comme nous vous en parlions dans l’actualité en bref du 8 au 14 octobre, Bouygues Telecom, ayant peur que Free sorte une offre « low-cost » sur la 5G, a préféré d’ores et déjà sortir un forfait peu cher. Cet opérateur craignant que Free rafle toutes les parts de marchés grâce à des prix attractifs.
L’indicateur le plus intéressant pour évaluer l’impact de la concentration sur le consommateur c’est son pouvoir d’achat or ce dernier a baissé, c’est à dire que le consommateur peut se procurer désormais moins de biens pour un même travail. Au-delà de ça, la concentration a un impact sur le marché du travail et tandis que les prix aux E-U ont augmenté de 15% de plus qu’en Europe entre 2000 et 2015, les salaires eux n’ont augmenté que de 7%. La concentration provoque donc un double effet négatif sur le pouvoir d’achat du consommateur. La position dominante des entreprises en monopole leur permet d’imposer un salaire inférieur à la productivité marginale. L’étude de la concentration du marché du travail est donc extrêmement importante et à tendance à être lésiné. Finalement comme nous pouvions nous y attendre, les grands gagnants de cette concentration sont les actionnaires car la hausse des profits associée à davantage de concentration se traduit par une augmentation des dividendes ainsi que la hausse de la valeur des actions.

Pour conclure, la concentration industrielle n’est pas un phénomène nouveau dans l’histoire de l’entreprise mais c’est un phénomène qui revient depuis les années 2000 aux E-U notamment et qui permet avant tout l’enrichissement des actionnaires et le développement d’entreprises gigantesques avec des valorisations boursières exorbitantes.

Pour aller plus loin:

Il existe énormément de bonnes copies sur ce sujet, n’hésitez pas à vous en inspirer pour compléter votre réflexion.

J.Schumpeter, Capitalisme, socialisme et démocratie (1942),

A.Marshall, Principes d’économie, 1890

P. Krugman, Geography and trade, 1991

M.Aglietta, Un new deal pour l’Europe, 2013

J.Robinson, Imperfect Competition

J.Tirole, Economie du bien commun

Lorenzi, Politique industrielle pour l’Europe ?

Ariell Reshef,« Pourquoi de si hauts salaires dans la finance? » La Lettre du CEPII, juin 2017

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Damien Copitet
Je suis étudiant à SKEMA BS après deux années de classe préparatoire au lycée Gaston Berger (Lille). Nous nous retrouvons toutes les semaines pour l'actualité en bref