Créé par le journal l’Auto en 1903, le Tour de France est la compétition cycliste par excellence. Que vous soyez amateur, aguerri ou professionnel, grimpeur ou sprinteur ; vous en avez forcément déjà entendu parler, mais savez vous réellement ce qu’il se cache derrière chaque tour de roue ?
Alors oui, après le football ou encore la Formule 1, voyons ici dans quelle mesure le cyclisme, au travers du Tour de France, est un sport mondialisé à forte teneur géopolitique.
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Des chiffres qui parlent d’eux-mêmes
En 2022, le Tour de France c’est : 4 pays parcourus par le peloton, 100 chaînes de télévision de 190 pays différents dont 60 chaînes en direct ! Avec environ 1 milliard de téléspectateurs tous les ans, c’est le troisième évènement sportif le plus visionné au monde après les JO d’été et la Coupe du Monde de foot.
Le cyclisme dans l’histoire : la construction européenne
La Grande boucle s’est toujours avérée imprégnée de la géopolitique européenne ! De 1906 à 1909, le tracé du Tour en Alsace Moselle allemande est une manière pour l’hexagone de réaffirmer ses frontières. Interrompu pendant des années de guerre, le retour de la Grande Boucle en 1947 marque la volonté de renouer les liens entre pays voisins en devenant un instrument pacificateur (même si l’Allemagne ne sera pas conviée avant 1954). Le Tour se développe peu à peu à l’international, en particulier en Suisse ou en Belgique, on parle alors de « Tour de la Francophonie ».
« Là où une politique de coopération européenne s’ouvrait, le Tour de France devait appuyer ces idées par un parcours plus décalé vers l’Est, vers ses nouveaux partenaires » dit l’historienne Sandrine Viollet dans sa thèse Le temps des masses : le Tour de France cycliste. En effet, certaines étapes du Tour ont lieu en Belgique, en Italie, au Luxembourg, c’est-à-dire exactement dans les pays fondateurs de la CEE (Communauté Economique Européenne) ou encore de la CECA (Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier). En 1987, en pleine Guerre Froide, le Tour de France débute à Berlin-Ouest. Enfin, le plus frappant est le Tour de 1992. Cette année là, le peloton est passé pour l’unique fois de son histoire dans 6 pays étrangers (Espagne, Belgique, Allemagne, Pays-Bas, Luxembourg mais aussi en Italie). Le Tour prend dès lors une dimension géopolitique considérable en traversant ces pays signataires du traité de Maastricht signé … en 1992.
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Le cyclisme comme outil de nation-branding : Symbole des velléités géopolitiques entre Etats
Pendant des décennies, ce sont les pays souvent qualifiés de « Pays du Nord » qui dominaient le cyclisme tant au niveau des coureurs qu’au niveau des sponsors. Mais de nombreuses équipes « du sud » ont émergé, défendant leurs propres intérêts. De même, les sponsors traditionnels du Nord comme Renault ou Peugeot ont doucement fait place à des marques de plus en plus exotiques.
Aujourd’hui, sur les routes du Tour de France, on peut apercevoir 22 équipes de 8 coureurs. La plupart sont des équipes commerciales, mais vous aurez peut-être aussi remarqué des équipes « dites nationales ». En effet, leurs coureurs ne sont pas nécessairement de la même nationalité, mais elles ont bel et bien un objectif : promouvoir à l’étranger le pays qui les recrute.
Ces équipes nationales sont au nombre de quatre : Israël PT, Astana Qazaqstan, Bahrain Victorious et UAE Team Emirates qui défendent respectivement les intérêts, vous l’aurez compris d’Israël, du Kazakhstan, du Bahrein et des Émirats arabes unis. On parle d’ « États sponsors ».
Ces pays voient dans le cyclisme une manière simple et relativement abordable de faire connaitre leur nation à l’étranger. Le nom de l’équipe du Kazakhstan correspond en fait à la capitale du pays : Astana. Pour Bahreïn, l’objectif est le même que quand il accueille le Grand Prix de F1 : montrer le développement du pays et tenter de faire oublier ses problèmes relatifs aux droits humains. Les Émirats arabes unis utilisent quant à eux le cyclisme pour montrer qu’ils existent sur la scène internationale, en particulier, face au Qatar (qui accueille la Coupe du monde de 2022). Enfin, Israël PT a été créé par le milliardaire Sylvan Adams pour développer le cyclisme en Israël, mettre en avant les points forts du pays et là aussi certainement mettre sous silence le conflit israélo-palestinien.
Le cyclisme a donc cette particularité de pouvoir faire du nation-branding sans nationaux !
Nous l’aurons vu, le Tour de France c’est bien plus que de la sueur, des chutes et la caravane publicitaire. Derrière ces paysages tous plus ravissants les uns que les autres, il y a bien une compétition entre les Etats eux-mêmes. Le Tour de France est un instrument politique, géopolitique et économique pour réunir les populations et promouvoir la culture et l’histoire des pays qui s’y impliquent. Le Tour de France n’est autre qu’un outil de soft-power.