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Le monde confronté à la question de la nation #1 ( L’Europe)

Sommaire
Europe et les nations

 

Le monde confronté à la question de la nation #1 (L’Europe)

   Un peuple peut se concevoir ou non en tant que nation.

 Mais cette liberté de conscience est-elle respectée ?

 

   Définir « la nation » est d’une difficulté notable. Il n’existe pas de définition unique du concept de nation. Toutefois ce terme est utilisé partout et par tout le monde, y compris dans les institutions internationales, pour désigner un peuple ou un État. Malgré cette complexité, la notion de nation est récurrente en géopolitique et le fait que l’actualité la remette sous les projecteurs devrait nous inviter à nous poser des questions sur les conséquences de ce renouveau et à voir comment la résurgence de la nation se concrétise dans les différentes régions du monde. Ernest Renan distinguait, dans son Discours à la Sorbonne de 1882, deux composantes du « principe spirituel » qui fondent la nation : « L’une est la possession en commun d’un riche leg de souvenirs ; l’autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble ». Or le monde contemporain semble aller à l’encontre de ces principes. D’une part, dans certains pays, une partie de la population est forcée d’adhérer au projet national comme le montre l’exemple de la Catalogne dont le référendum d’indépendance a été déclaré anticonstitutionnel. Un autre exemple, bien plus horrible et pourtant très peu médiatisé, est celui des Ouïghours – population pacifique de l’Ouest de la Chine – que le Parti Communiste Chinois veut « rééduquer » pour en faire une partie intégrale de la nation chinoise, même si cela implique l’éradication d’une culture millénaire et l’utilisation de méthodes de torture immondes. D’autre part, dans d’autres pays, des lois sont promulguées pour exclure ou marginaliser certaines minorités du projet national. C’est le cas de la loi Israël, État-nation du peuple juif (le quotidien français Le Monde y voit la promotion d’une « vision ethnicisante de la société ») ou, plus récemment, de la loi sur la nationalité en Inde qui permet aux immigrés d’être plus facilement naturalisés en fonction de leur religion. Tous les cultes de la région sont concernés, sauf l’islam.

    La nation est un terme qui revient souvent dans les programmes de premières et de seconde année. L’ESSEC lui a même dédié un sujet à son effigie en 2018 : « La construction européenne face à la question de la nation ». Ce sujet en a surpris plus d’un comme en témoigne le rapport du jury : « Les observations des correcteurs se rejoignent et soulignent plusieurs déficiences. Dans beaucoup de copies, la nation est définie de manière simpliste, trop souvent assimilée à « état » ou « pays », ou encore confondue avec le nationalisme. La question de « la » nation est trop systématiquement ramenée à une interrogation sur « les » nations, sous-entendus les États. Les formes et incarnations diverses de la nation, à des échelles multiples (États-Nations et nationalismes « régionaux » …), ses contradictions, la part de passion qui l’habite, le rôle de refuge qu’elle peut représenter (pour certains plus que pour d’autres) la perception (à tort ou à raison) des valeurs et des ombres que les hommes, l’histoire, la terre lui auraient conférés, sont rarement évoqués… ». Le rapport nous permet ainsi d’en apprendre davantage sur les aspects que peut prendre la nation.

     À travers cette nouvelle série d’article, l’équipe Mister Prépa souhaite revenir sur les formes que prend le notion de nation dans toutes les régions du monde. Cette résurgence prend des formes plus ou moins violentes et traduisent une poussée des sentiments nationalistes qui n’épargne aucun continent. 

 

Les nations européennes réveillées par les turbulences du monde ? 

Le traité de Westphalie de 1648 pose les fondements de l’Etat-nation européen. Chaque État est désormais le seul à disposer d’autorité sur son territoire et doit reconnaitre que les autres États ont ce même pouvoir sur le leur. C’est une nouvelle conception de la souveraineté qui perdura jusqu’à la bipolarisation de la guerre froide, et qui reste une norme juridique moderne. Les États de l’Europe de l’Est sous domination soviétique avaient essayé de supprimer par la force les nationalismes. La chute du mur de Berlin a ainsi permis la résurgence des nations de l’Europe de l’Est avec plus d’intensité, de fraicheur et de dangerosité. En 2011, le gouvernement de la Roumanie amorce la construction de la Cathédrale du salut de la nation roumaine à Bucarest : un projet dont les coûts de fabrication élevés font polémique, alors que l’édifice est encore loin d’être achevé et que les services publics manquent de moyens. L’Allemagne de son coté n’a retrouvé le goût de la nation qu’après la réunification en 1991. De plus, la mondialisation semble être perçue comme une menace pour les nations qui ont peur de voir leur identité nationale oubliée dans la modernité libérale.  

 

La construction européenne face à la question de la nation

Mais c’est surtout au niveau de la construction européenne que l’enjeu de la nation est le plus important. L’ESSEC consacra même toute une épreuve à cette thématique en 2018 (‘la construction européenne face à la question de la nation’) auquel nous allons essayer de produire une introduction :  

Le 15 juin 2015, le parlement européen assiste à la création d’un nouveau groupe nommé « l’Europe des Nations et des Libertés (ENL) ».  Imprégnée d’une idéologie nationaliste et euro-sceptique et renforcée par la crise migratoire et économique de 2008, l’ENL souhaite conquérir le parlement européen lors des élections européennes de mai 2019. Face à la résurgence de la nation, le destin de l’Europe semble incertain. La construction européenne désigne le processus d’approfondissement économique, politique, social, et culturel ; c’est-à-dire le renforcement des institutions et des politiques communes pour accroître les solidarités et l’intégration en Europe, et d’élargissement de ces institutions et de ces politiques communes à de nouveaux pays. L’Union européenne née de la CECA de 1951, du traité de Rome (CEE) de 1957 et du traité de Maastricht de 1992 en est la représentation la plus aboutie. Tandis que la nation est une communauté de destin unie par une « identité » historique et culturelle commune qui constitue ainsi une communauté politique. Le mot confrontation dans l’intitulé du sujet présuppose un choc couplé à un rapport de force entre ces deux notions. La nation freinerait, voire empêcherait, la construction européenne. Établir une définition unique de la nation ne semble pas être une chose aisée. En effet, parler d’une communauté de destin maintient une ambiguïté : si Ernest Renan affirme qu’une adhésion volontaire au projet national suffit pour faire partie de la nation, d’autres avancent que la nation serait aussi « l’ensemble des peuples qui vivent en commun à travers les âges et se perpétuent entre eux sans adultération, physiquement et moralement… » (définition de Fichte ). Ici germe la notion de fondement ethnique, voire biologique de la nation. Cette seconde approche de la nation est celle qui constitue une vraie menace pour la construction européenne car elle s’oppose -par nature- à tout ce qui est d’ordre supranational et qui éroderait la souveraineté des Etats-nations. Les idées populistes et nationalistes ont le vent en poupe. Toutefois cette confrontation n’est pas récente, l’Union Européenne y est confrontée depuis ses premiers jours comme le montre le rejet en août 1954 de la Communauté Européenne de défense (CED) par le parlement Français ; une grande partie de la population française voyait en l’Allemagne « la nation ennemie ». La construction européenne a aussi contribué à renforcer un nouveau type de nationalisme au sein même des Etats membres : les nationalismes régionaux dont la Catalogne demeure la manifestation la plus aboutie.

Ceci nous pousse à nous demander à quel point la question de la nation a pu faire fléchir la construction européenne depuis 1951 ?

Pour répondre à cette problématique, nous verrons que la construction européenne a pu prendre son envol malgré la résistance des nations : l’Union Européenne est la zone d’intégration régionale la plus « aboutie » (I). Toutefois, cette intégration -toujours plus poussée- a exacerbé les nations qui remettent en cause la légitimité des autorités supranationales européennes (II). L’Europe doit désormais composer avec les nations : l’Union Européenne, ballottée entre fédéralisme (Etats-Unis d’Europe) et coopération internationale, est fragilisée (III).

                   

Conclusion (extraite du rapport du jury)

Aujourd’hui, alors que l’euroscepticisme semble triompher, quel est le compromis plus ou moins tacitement accepté entre construction européenne et nation ? L’Europe se dote d’institutions, cherche à améliorer son fonctionnement. Le traité de Lisbonne évite d’attribuer à l’Europe les symboles de la souveraineté : celle-ci reste dans son principe réservé à la nation. Cette dernière reste aussi, pour l’essentiel le cœur de la vie démocratique : ce sont les élections nationales qui demeurent déterminantes dans la vie politique des peuples. De même la solidarité et les systèmes de sécurité sociale restent des choix nationaux fondamentaux. Le niveau de protection, et donc de ponction, l’équilibre entre la récompense de l’initiative d’une part, et la lutte contre les inégalités d’autre part sont profondément caractéristiques de l’histoire, des mentalités, des choix de société, donc de la nation. La question fiscale est étroitement corrélée aussi aux choix de société propres à la nation. Tout comme « l’exception culturelle ». De même l’Europe fait-elle le rude apprentissage de la résilience de la nation dans sa politique étrangère et de sécurité : les nations membres ne sont pas prêtes de s’effacer devant la « Politique Etrangère et de Sécurité Commune » (comme l’attestent leurs positions radicalement opposées dans la seconde guerre du Golfe).[…] La construction européenne fixe un cadre, définit des normes (politiques, budgétaires, etc.) et régit le marché, à l’intérieur et vis-à-vis du monde extérieur. Mais ce faisant, ne laisse-t-elle pas à la nation une souveraineté plus apparente que réelle ? Cependant elle demeure légitime aux yeux des nations à condition de répondre à plusieurs défis : le défi démocratique (Europe des peuples et non seulement des élites), le défi de la zone euro (éviter le retour de la crise financière), le défi migratoire (trouver l’équilibre entre l’accueil et les réticences d’une partie des populations), le défi de la sécurité (lutte contre le terrorisme, contenir les éventuelles ambitions russes et cela dans un contexte de désengagement des États-Unis).

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Khalil Lbadaoui
Je m'appelle Khalil, passé par une prépa ECS et aujourd'hui étudiant à NEOMA BS campus de Reims. Passionné de géopolitique, j'ai à coeur de vous donner une approche synthétique des grands enjeux de cette matière et de vous aider à bétonner votre méthode.