L’empoisonnement n’est pas un dispositif nouveau de la Russie moderne. L’autopsie de Vladimir Lénine, le héros des révolutions russes de 1917 qui mit fin au système tsariste et dirigea l’URSS jusqu’à sa mort, révéla des traces de poison. Quelques jours après sa mort, Joseph Staline prit le pouvoir.
Cette arme politique est de nos jours plus connue comme le moyen pour une élimination propre des ennemis du Kremlin : des journalistes, des anciens collaborateurs, des officiers de l’armée ou des opposants politiques sans distinction. Le dernier, Alexei Navalny, un activiste russe fondateur de l’Anti-Corruption Foundation, qui investiguait le cercle intime de Poutine et leur capital, notamment afin de mettre en lumière la supposée corruption du gouvernement. Navalny avait ingéré le poison dans un thé servi à l’aéroport ; après sa mort, Poutine n’a plus d’opposant fort.
Vladimir Poutine, un ancien membre du KGB, arrive au Kremlin en 1999 en tant que Premier Ministre ; qu’un an après, il est élu Président avec 53% des votes ; il est depuis resté au pouvoir, ou très proche de celui-ci (il est Premier Ministre entre 2008 et 2012). Bien que la Russie soit une République fédérale, les critiques des élections et de la corruption du gouvernement causent des manifestations massives à Moscou, ainsi que des contestations à l’international. Afin de maintenir la stabilité politique lors des dernières altercations liées à la conduite du Covid-19 dans le pays, le gouvernement s’est engagé à mettre en place des réformes telles que la limitation des mandats présidentiels à deux (mesure qui ne sera imposée qu’une fois Poutine ne sera plus au pouvoir). Cependant, le 25 Juin 2020, la population russe est appelée à voter dans un référendum sans précédent : Poutine pourrait rester au pouvoir jusqu’en 2036 ; cette décision fut supportée par 78% des votes, ce qui fait éclater de nouvelles manifestations, auxquelles Navalny participa.
L’infaillibilité et l’anonymat que le poison offre en tant qu’arme signifie que toute affirmation d’« empoissonnement russe » ne reste qu’une supposition, qui ne peut être attribuée à son auteur qu’en se basant sur des causalités. En 2003, le journaliste Yuri Shchekchikhin commence à se sentir mal lors d’un voyage à plus de 200 kilomètres de Moscou, et meurt de retour à la capitale ; les médecins légistes trouvent des traces de poison dans son organisme ; Shchekchikhin avait publié des investigations liées à la corruption du gouvernement et aux connexions du Service Fédéral de Sécurité avec des groupes criminels. En 2004, Anna Politkovskaya meurt dans des circonstances similaires que Navalny, après avoir ingéré que du thé lors d’un vol ; Politkovskaya avait publié des articles critiquant l’intervention russe en Tchétchénie. En 2006, Alexander Litvinenko fut empoisonné à Londres ; Litvinenko était un ancien officier militaire qui transmettait de l’information confidentielle. En 2018, Sergei Skripal et sa fille Yulia furent empoissonnés au Royaume-Uni, deux agents russes furent accusés de leur assassinat ; Skripal avait été un agent double qui filtrait les plans russes aux britanniques, il avait été accusé d’haute trahison en 2004. La liste s’allonge, et ce qu’avec les cas connus.
Néanmoins, l’accusation du gouvernement russe ou du KGB pour ces meurtres reste circonstancielle : ce sont des morts très convenables pour le Kremlin, qui renforcent la méfiance des agents internationaux à l’égard de la Russie. Mais rien n’est sûr. Il s’agit d’une situation similaire aux supposées interventions de la Russie dans les élections américaines et ukrainiennes ; ce sont des accusations qui mettent en cause le respect de la souveraineté et de la vie humaine de la part de la Russie, qui sont des valeurs démocratiques que les pays occidentaux partagent, mais aucune preuve plausible n’a été apportée contre le gouvernement de Poutine.
La Russie ne fait pas partie de l’OTAN, ayant fait le choix de se concentrer sur les pays post-soviétiques de l’Organisation du Traité de Sécurité Collective, ce qui est vu comme un renfermement sur soi par les pays capitalistes. Désormais, la Russie garde son poids sur la scène internationale en tant que membre permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU et du G20, et grâce à son PIB, le onzième mondial. Toutefois, les relations internationales déclinent dès 2014 : la crise ukrainienne et les discordances qui en émergent font que la Russie abandonne le G8 (G7 de nos jours).
Le vrai rôle de la Russie dans les empoisonnements est incertain, bien que l’opinion générale, encouragée par les médias internationaux et les services d’intelligence américains et britanniques, considère les empoisonnements russes sont une réalité et une menace permanentes. Le rôle ambivalent de la Russie à l’international, en tant que vieux gagnant de la Deuxième Guerre Mondiale et agent moins impliqué dans les échanges et relations internationales, font que les États se méfient du gouvernement de Poutine. Ceci, avec les altérations que le monde connaît actuellement, peut faire basculer les relations internationales pour que les pays réduisent leurs rapports avec ceux qui peuvent poser une menace, non seulement politique, mais pour la vie de la population.
Nekane PARRADO LÁZARO membre de l’association Pourparlers