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Le Monde post-moderne : libéralisme économique et sexuel

Sommaire

Régulièrement, dans notre rubrique avoir du biscuit en dissert’, je vous déroule la pensée d’un auteur original qui n’appartient pas au cercle des philosophes « classiques », et ce en lien avec le thème “Le Monde”, bien entendu.

 

Avoir du biscuit en dissert’ (2/7) : Michel Houellebecq

Ce 2ème numéro est consacré à l’écrivain Michel Houellebecq. Son premier roman Extension du domaine de la lutte (1994) sera une référence de choix pour vos copies. La manière dont les personnages conçoivent le monde, celui des sociétés occidentales post-modernes, est intéressante autant qu’accablante. Misère sexuelle, exutoire consumériste et désespoir ontologique seront de la partie. Sans plus attendre, plongeons tête la première dans l’univers mental dérangé de cet écrivain hors du commun.

 

Pour avoir encore plus de biscuit en dissert’ : Le monde est-il singulier ou pluriel ?

 

Quelques mots sur notre homme

Michel Houellebecq, né en 1956 à La Réunion, est un écrivain et essayiste français. Après une enfance marquée par une défection parentale importante, il rentre en classes préparatoires à Paris. Ses résultats d’une rare excellence aux concours le rendent admissible à l’ENS, mais il refuse de se rendre aux oraux. Il suivra alors un parcours dans une école d’ingénieur agricole, et commencera sa carrière en 1983 chez Logica. Son premier roman Extension du domaine de la lutte, qui comporte de nombreux éléments autobiographiques, paraît en 1994.

Aujourd’hui, il est considéré comme l’un des écrivains français les plus connus, dans l’Hexagone mais aussi à l’étranger. Son œuvre, empreinte d’un pessimisme et d’une noirceur rarement vus ailleurs, rendent les critiques indécises. Certains le considèrent comme un génie, d’autres comme un individu haineux ou un imposteur.

 

Le déroulement de l’article

La première partie commencera par un résumé succinct mais dense du roman. Puis nous verrons en détails une scène importante qui introduit la pensée de Houellebecq. Je précise que le rapport avec le thème ne paraîtra pas évident dans cette partie, mais pas de panique ! Les liens qui seront établis dans celle qui suit seront parfaitement clairs et vous en tirerez largement profit.

La seconde partie sera dédiée à une analyse du roman dans son ensemble et du passage mis en lumière. Ici, il s’agira d’expliciter clairement les idées que l’auteur veut communiquer par le biais de son ouvrage. Les enseignements que vous en tirerez doivent normalement vous permettre d’utiliser Houellebecq comme n’importe quel autre auteur.

 

Une première approche du roman

Le but de cette partie est de vous familiariser avec le roman même si vous ne l’avez pas lu. Grâce à cela vous serez plus à même de cerner l’atmosphère générale et les idées véhiculées.

 

Résumé succinct de l’œuvre

L’histoire est racontée par un narrateur interne. Son nom est inconnu, aucune description physique ne lui est attribuée. Les informations dont on dispose à son propos sont très limitées. Il est programmeur dans une entreprise d’informatique, et son salaire est égal à 2.5 fois le SMIC. En réalité, le roman porte moins sur son histoire propre que sur celle de Raphaël Tisserand, l’un de ses collègues de travail. Ce dernier est décrit comme étant d’une laideur spectaculaire, dépourvu de charme et de tact. L’archétype même de l’homme dépourvu d’intérêts, dans tous les sens du terme.

Entre les chapitres où il raconte les tribulations amoureuses réitérées de Tisserand et son désespoir croissant, il s’attache également à déployer sa théorie du capitalisme et de la sexualité. Le cas de son malheureux collègue étant l’exemple parfait pour venir étayer ses propos.

Tout au long de leur voyage en France, le narrateur va se faire l’observateur et l’interprète de l’existence de Raphaël. Ce dernier est obnubilé par le besoin de trouver une partenaire, si bien qu’il se jette avec maladresse sur la première venue. Sans grande surprise, aucune de ses tentatives n’est concluante.

Au fil des pages on se rend compte de la part croissante qu’occupe le vide dans l’âme du personnage. Rejeté, émasculé, Tisserand se déshumanise lui-même à l’extrême. Conséquence directe de son incapacité à intégrer la sphère sexuelle humaine, le vide ontologique auquel il fait face lors du dernier chapitre où il apparaît le mènera à se propre perte.

 

Une scène importante : le dîner au Flunch

Le passage que j’ai choisi est particulièrement insigne. Il est une sorte d’introduction à ce que Houellebecq développera plus tard, explicitement, en faisait parler son personnage. Ce que nous verrons dans la seconde partie.

Notre narrateur et Tisserand sont en déplacement à Rouen. Une laborieuse journée de travail vient de prendre fin et les deux protagonistes décident d’aller dîner au Flunch. Journée de travail durant laquelle Tisserand a essuyé un nouvel échec en tentant d’approcher une secrétaire. Le moral du pauvre ingénieur est au plus bas. Malgré le fait qu’ils ne se connaissent que depuis quelques jours, le narrateur observe qu’il s’entend bien avec son collègue. En réalité, c’est plutôt Tisserand qui l’apprécie, et pour lui, la raison est évidente.

Du point de vue de la réussite sentimentale, le narrateur semble être au même point que Tisserand. Sa vie sexuelle est inexistante et il ne fait pas étalage de quelconques conquêtes passées. De la même manière il n’est ni particulièrement attractif, ni particulièrement intéressant. Raphaël le considère comme un « semblable » ou un « égal », et cela le soulage.

Au contraire, le narrateur se souvient du jour ou Tisserand à rencontré un autre collègue, Thomassen. Un Suédois de deux mètres pourvu d’un charme irrésistible. La beauté de son visage et les proportions de son corps frôlent la perfection. Cela lui vaut presque d’être qualifié de « demi-dieu ». Thomassen est l’incarnation du fantasme féminin, et cela, Tisserand ne peut le supporter. Leur rencontre est décrite comme une scène tragique. En serrant la main du géant blond, Tisserand est envahi par la rage et le ressentiment. Il se rassoit, le visage déformé et rouge, prêt à exploser ou à sa liquéfier.

 

Le libéralisme, ou l’extension du domaine de la lutte

Nous en savons désormais un peu plus sur l’histoire. Maintenant, essayons de l’analyser pour mettre explicitement au jour la pensée de son auteur.

 

La scène du Flunch, analyse d’un passage clé

Le passage du dîner au Flunch peut paraître tout à fait anodin. Pourtant, un élément central de la pensée de l’auteur y est révélé : la division duale de la société. Pour Houellebecq, de la même manière qu’il existe des « pauvres » et des « riches » financièrement parlant, il existe également des « riches » et des « pauvres » dans le domaine sexuel, ou sentimental. Tisserand en fait indubitablement partie. Comme tout être humain, il aspire à posséder ce qu’il désire. Et comme tout être humain, s’il n’y parvient pas, il souffre.

De ce fait, c’est une haine à mort qu’il éprouve envers ceux qui possèdent ce dont il est dépourvu. Et, au contraire, être en contact avec des gens qui semblent eux aussi faire état d’insuccès sexuel le soulage. Tisserand est un soldat sans arme qui lutte dans un combat qu’il ne peut gagner. Et cela, selon Houellebecq, c’est une conséquence directe du libéralisme. Mais que cela veut-il dire ? Et où est le rapport avec le Monde dans tout ça ? La dernière sous-partie va répondre à toutes ces interrogations.

 

Le Monde comme théâtre d’une lutte infinie et impossible à résoudre

Pour Houellebecq, le monde des sociétés occidentales post-modernes et celui de la lutte. « Domaine » est d’ailleurs un autre mot pour « Monde ». C’est une lutte que chacun mène quotidiennement, qu’il en soit conscient ou non. Une lutte qui porte sur deux objets : le sexe et l’argent. En cela l’auteur reprend un vieux thème de la pensée de Schopenhauer. L’homme est mû par une volonté unique et aveugle qui n’aspire qu’à sa perpétuation.

Le sexe et l’argent représentent des objets de puissance, les symboles d’une réussite, d’une distinction sociale au sein de l’espèce. D’un côté, le libéralisme sexuel a rendu obsolète le divorce et a marqué l’avènement massif des relations hors-mariage. De l’autre, le libéralisme économique a assigné un prix à toute chose. A la force de travail des hommes, le salaire, tout comme aux marchandises qu’ils achètent.

Il s’ensuit nécessairement une lutte pour la puissance, l’acquisition des « ressources » étant désormais soumises à la loi du marché. Dans les deux cas, les meilleurs en accaparent un maximum. Les autres sont quant à eux laissés sur le banc de touche. Apparaissent alors des phénomènes de pauvreté, dont Tisserand n’est qu’un malheureux exemple. Dès lors, la souffrance apparaît comme la condition par excellence des « pauvres ». L’abondance étant parallèlement celle des « riches » qui jouissent d’un statut privilégié accordé par le divin marché libre.

Houellebecq nous sert donc sur un plateau une définition du monde qui fait froid dans le dos. Le monde, c’est le domaine de la lutte, et ce n’est que ça. Pour l’Homme des sociétés occidentales post-modernes il n’y a pas d’autre aspiration possible. Les tranchées et les champs de bataille ne sont plus les théâtres de la guerre. Les boîtes de nuit et les bureaux des responsables en ressources humaines se sont chargés de les remplacer…

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Victor Passe
Après 3 ans en classes préparatoires ECE je serai étudiant à Skema BS à la rentrée 2022. Comme je sais qu'en prépa un peu d'aide n'est jamais de refus, c'est avec plaisir que je vous propose la mienne ;)