En 2015, la revue Foreign Affairs évoquait un Moyen-Orient « post-américain » pour décrire la perte d’influence des Etats-Unis. Cette nouvelle donne en train d’émerger nous permet de revenir sur les différentes mutations que cette région a connues depuis 2003.
Vers un Moyen-Orient Post-Américain…
« Mission accomplie » se réjouissait George W. Bush le 1er Mai 2003 ; les États-Unis ont réussi à renverser le régime autoritaire de Saddam Hussein (Irak). Pourtant, le succès des néo-conservateurs (branche majoritaire de l’administration Bush) partis en « guerre contre la terreur » marque le début d’un échec cuisant. Celui de remodeler le Moyen-Orient, de faire émerger une société civile en paix avec Israël et de promouvoir le modèle vertueux d’une démocratie libérale issue de la Fin de l’Histoire (Francis Fukuyama). En effet, si les États-Unis ont remporté quelques succès momentanés, comme la liquidation de Zarqawi (chef d’Al-Qaïda en Irak), l’occupation de l’Irak a été marquée par l’embourbement des troupes américaines et par deux faillites morales à savoir l’affaire des camps de Guantanamo et Abou Ghraib.
Huit années plus tard, en décembre 2011, le retrait de l’US Army d’Irak marque la fin de la présence tonitruante américaine au Moyen-Orient et annonce le début d’une nouvelle stratégie entamée par Barack Obama : le « pivot vers l’Asie ». Le Moyen-Orient n’est plus une priorité d’autant plus que l’hégémon américain a retrouvé une indépendance énergétique grâce au gaz de schiste et que son allié Israélien dispose d’une supériorité militaire. Trump partage lui aussi ce constat, et bien que Daesh continu d’agir au Moyen-Orient, la Chine est pour lui une menace plus grande que le terrorisme. Dès lors, plusieurs puissances régionales profiteront de ce « vide » crée par la première puissance mondiale pour avancer leurs pions dans ce « grand jeu » du Moyen-Orient.
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…où trois puissances régionales s’affrontent pour le leadership de la région…
L’Iran, un « colosse aux pieds d’argile » au potentiel nucléaire
Le régime des Mollahs a pour première ambition hégémonique d’établir un « arc chiite » au Moyen-Orient partant de Téhéran pour rejoindre la Méditerranée via l’Irak, la Syrie et le Liban. Pour cela, l’Iran n’hésite pas à intervenir dans plusieurs pays du Moyen-Orient grâce à ses principaux « bras armés ». Au Liban, le Hezballah (Parti de Dieu) domine la vie politique et permet à l’Iran d’être champion de « l’axe de la résistance » face à Israël. Au Yémen, Téhéran soutient les Houthis qui constituent son relais d’influence face à l’Arabie Saoudite. Aujourd’hui, cet expansionnisme par sous traitance semble avoir porté ses fruits, puisque la République Islamique d’Iran dispose d’une influence profonde dans plusieurs pays du Moyen-Orient (Irak, Syrie, Yémen et Liban).
Son expansionnisme militaire passe aussi par le nucléaire. L’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA) a confirmé le 28 février 2023, avoir détecté en Iran des particules d’uranium enrichi à 83,7 %, soit juste en deçà des 90 % nécessaires pour produire une bombe atomique.
L’Arabie Saoudite : entre influence, modernisation et archaïsme
L’Arabie-Saoudite mène une politique d’influence religieuse et politique au Moyen-Orient. Le royaume intervient indirectement grâce aux pétrodollars qui servent depuis les années 1970 à financer un « salafisme missionnaire » (1) ou à financer des régimes militaires hostiles aux revendications chiites. Lorsque ses intérêts vitaux sont en jeux, l’Arabie Saoudite s’engage directement. Par exemple, depuis Mars 2015, la monarchie est à la tête d’une coalition de pays sunnites qui apportent leur soutien aux forces du gouvernement yéménite légitime.
Par ailleurs, pour s’imposer en tant qu’acteur incontournable au Moyen-Orient, Riyad fait attention à changer son image au sein de la communauté internationale, en prônant un « islam plus moderne ». Toutefois, le royaume ne peut éviter de voir son image entachée par plusieurs dérives comme le « kidnapping » du Premier ministre libanais Saad Hariri en Novembre 2017 ou l’assassinat du journaliste dissident saoudien Jamal Khashoggi en Turquie.
La Turquie et le rêve Néo-Ottoman
Convaincue d’être l’héritière de l’Empire Ottoman, la Turquie étend son influence au Moyen-Orient, toujours à la recherche de cette « grandeur » passée. En Syrie, Ankara entretient deux fers au feu : le premier pour faire échec à toute velléité de construction d’un Kurdistan ; le deuxième pour contribuer à l’éradication de Daesh. Si Erdogan prend la précaution de ne pas désigner l’Arabie Saoudite comme « ennemi », les tensions sont réelles. L’AKP (2) a toujours été proche des cercles des Frères musulmans, alors même qu’ils constituent le principal ennemi de l’Arabie Saoudite.
Conclusion
Si la position de la Turquie est plus ambiguë, la lutte pour le leadership régional a conduit l’Arabie Saoudite et l’Iran à entretenir forte une inimitié. Néanmoins, la situation pourrait changer ces prochaines années, notamment depuis que ces derniers ont annoncé rétablir leurs relations diplomatiques en Mars 2023, grâce à l’activisme diplomatique chinois.
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(1) Mouvement islamique réformiste fondé à la fin du XIXème siècle, qui préconise un retour aux sources du Coran et de la Sunna.
(2) Parti de la justice et du développement, au pouvoir depuis 2002 et dirigé par Recep Tayyip Erdoğan depuis 2017.