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La notion de violence chez Sartre, selon Jean-Claude Monod

Sommaire

Cet article s’appuie et restitue essentiellement la conférence de Jean-Claude Monod sur la notion de violence chez Sartre, en particulier dans ses Cahiers pour une morale. La conférence complète est disponible sur Savoirs ENS.

Monod commence son exposé par une citation de Sartre dans ses Cahiers pour une morale. Ce dernier se dit “toujours obligé de reprendre à son compte la responsabilité de ce dont il n’est pas responsable.” L’homme se tient pour responsable de ce dont il sait pourtant ne pas être responsable.

 

Qu’est-ce qu’exercer la violence sur un homme ?

Qu’est-ce qu’exercer la violence sur un homme ?” demande Monod. La réponse, c’est que la violence est une façon de jouer de déterminisme, de domination de supériorité. Le violent joue ainsi de déterminisme pour obtenir ce que la liberté de l’autre ne nous donne pas d’elle-même. “Il s’agit d’arracher quelque chose à la liberté de l’autre, mais à travers ce qu’il est au plan du donné” analyse Monod.

Ainsi, la violence naît d’un échec. Le viol d’une femme découle d’un refus de consentement. La torture est provoquée par celui qui ne parle pas. Toute violence semble donc nécessaire lorsque, arrivé à une impasse, l’individu se soumet à ses pulsions. Il est par ailleurs important de noter que toute violence est une négation de la liberté de l’autre.

 

La responsabilité de la violence

Pourtant, la responsabilité de la violence finit toujours par être imputée à la liberté de l’autre. Les discours tels “la fille l’a bien cherché”, “il n’avait qu’à pas me regarder de travers”, sont autant de manière de légitimer le recours violent tout en se débarrassant de sa propre responsabilité.

De fait, la question d’une violence nécessaire voire légitimité ne peut être envisagée pour Monod. D’un autre côté, la violence peut être le moyen d’un dépassement voire d’une suppression de la violence. Elle se présente toujours comme une contre-violence. Elle détruit, renvoie à la fin, la ruine et se perpétue, s’enroule sur elle-même.

 

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Violence directe et violence indirecte

Sartre distingue la violence directe (les coups, la répression) et la violence invisible. Cette dernière est incorporée, constituée par un système. Elle s’affiche comme une disposition qui peut ne pas s’actualiser dans des actes violents mais qui présuppose tout de même une violence originaire.

De plus, autre réflexion mise en avant par Monod, la violence ne peut-elle être le seul moyen pour l’affirmation ou la restitution d’un droit ? C’est en tout cas ce que Sartre soutient dans ses textes sur la décolonisation.

Selon lui, la violence ici est bien contre-violente. Monod pointe alors une certaine faiblesse dans les textes de Sartre : la violence pratique y est toujours écrite comme commencement et seule figure de la violence.

 

La contradiction fondamentale de la colonisation

Quand les colonisés prennent les armes, c’est d’abord contre la violence exis, consubstantielle à la violence coloniale. Le colonialisme est en effet un système et la contestation frontale de ce système éclate souvent quand la puissance coloniale a déjà commencé à lâcher du lest et admettre son déclin. 

Il ressort de là une certaine dialectique de la colonisation qui fait nécessairement éclater sa contradiction essentielle. Nier la liberté, l’humanité des colonisés conduit à une contradiction avec les principes démocratique voire républicains affichés par les colons. Le fait colonial confronte l’État républicain à la divergence entre ce qu’il dit et ce qu’il fait. 

 

La dialectique de la violence

Sartre a ici théorisé cette dialectique de la violence qui en produit une autre et qui voue la colonisation à sa perte. Notons que Sartre a toujours soutenu l’insurrection algérienne et les décolonisations avec bien des longueurs d’avance sur la gauche politique de son temps.

Tout cela conduit Monod à un certain refoulement de sa phénoménologie de la violence. Celui-ci pointe l’idéalisation de la violence pratique alors présentée comme un moyen voué à son auto dépassement.  “La violence, comme la lance d’Achille, peut cicatriser les blessures qu’elle a fait.” écrit Sartre.

Cette affirmation est pour le moins stupéfiante : cela est-il possible sinon dans le mythe ? questionne Monod. Comment la violence, qui semble destructrice par nature, pourrait-elle faire preuve d’une certaine fécondité ?

 

Violence et humanité

Sartre voit dans la violence la prétention à restituer une plénitude d’être qui devrait accoucher une humanité nouvelle. La pensée politique de Sartre appréhende donc la violence comme la condition d’émergence de l’humanité. La violence n’est alors plus pensée politiquement mais sur un mode eschatologique.

Ce sont les thématiques de l’expiation, de la rédemption dans et par la violence qui ressortent ici. Il pourrait être intéressant d’analyser plus profondément le cas des violences religieuses. Celles-ci, à travers les chasses aux sorcières par exemple, n’ont cessé de justifier leur violence par le biais de l’expiation, de la purification. Il ne s’agissait pas d’une violence arbitraire, mais bien d’une violence divine et absolue. Elle ne répondait à aucune loi.

 

L’humanité, adjuvant de la violence

“On passe donc de la justification mesurée d’une hostilité réelle, limitée dans ses buts, n’utilisant pas tous les moyens, à la légitimation d’une hostilité absolue contre un ennemi absolu.” conclut Monod. Le dernier obstacle sur le chemin de la formation de l’humanité autorise dès lors une illimitation de l’hostilité paradoxalement favorisée par l’invocation même du nom de l’humanité.

Autrement dit, l’humanité peut devenir le meilleur adjuvant d’une illimitation de la violence. “Cette violence irrépressible, c’est l’homme lui-même se recomposant.” Et Monod poursuit ainsi. “L’arme d’un combattant c’est son humanité. Fils de la violence, il puise en elle à chaque instant son humanité.”

“La violence est manichéiste”, termine-t-il. Il suffit de détruire l’obstacle pour que l’ordre apparaisse. Alors, le bien trouvé derrière apparaît comme absolument nécessaire à la violence qui était. Cette violence nouvelle ouvre une autre histoire, “celle de l’homme, un autre homme, meilleur”.

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Gabin Bernard