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Salvador : La peur a changé de camp, mais à quel prix ?

Sommaire

L’origine des gangs en Amériques latine

Les gangs en Amérique latine trouvent leurs origines dans la migration massive de Latino-Américains vers les États-Unis à partir de 1980. Confrontés au racisme et aux violences entre communautés, ces migrants se sont organisés en gangs pour se protéger. Cependant, face aux politiques américaines de répression de l’immigration illégale, beaucoup ont été renvoyés dans leurs pays d’origine, y introduisant cette culture des gangs et la violence extrême associée.

Un nouvel espoir

Arrivé au pouvoir en 2019, Nayib Bukele, chef du parti Nuevas Ideas (Nouvelles Idées), avait fait de la chasse aux gangs la pierre angulaire de son projet politique. Dès son arrivée au pouvoir, il a fait construire une « méga-carcel » (immense prison) pouvant accueillir plus de 40 000 détenus. Grâce à des décisions politiques fortes et assumées, le Salvador qui comptait en 2015 un taux d’homicide volontaire de 103 pour 100 000 habitants, fait désormais partie des pays les moins violents du monde avec un taux descendu à 2,5 en 2023. Cependant, cette baisse de la violence est le résultat de mesures radicales, souvent critiquées comme franchissant la ligne rouge de la dictature en bafouant certains droits humains. En effet, il est dorénavant possible de perquisitionner des maisons sans mandat. Plusieurs individus sont présumés membres de gang et jugés en raison de leurs tatouages car désormais, il ne s’agit plus d’être un criminel pour aller en prison, mais seulement de faire partie d’un gang.

L’état salvadorien contre-attaque face à la violence 

La méthode Bukele est simple : se montrer sans pitié face aux gangs, estimant que c’est par la guerre que le pays connaîtra la paix. Le pays a enregistré près de 80 000 arrestations depuis le début du mandat du dirigeant salvadorien, principalement des hommes âgés de 18 à 30 ans et dont le plus jeune était âgé de 12 ans seulement. Il pousse son combat jusqu’à ordonner de détruire des sépultures d’anciens membres et à déployer plus de 30 000 policiers dans les rues.

Les conditions de détention dans la plus grande prison d’Amérique latine suscitent également la controverse. Les détenus sont entassés à plusieurs centaines dans des cellules dépourvues de matelas, sous une lumière artificielle allumée en permanence et sans possibilité de voir la lumière du jour, sans aucune visite autorisée et mélangés entre membres de gangs rivaux. Lorsque des journalistes se rendent dans les prisons, les surveillants et les prisonniers n’expriment aucune critique sur les méthodes d’incarcération, avec des témoignages qui s’apparentent plus à de la propagande pro-gouvernementale. Au-delà des méthodes de jugement, les conditions de détention créent donc de la polémique, puisque entassés , des hommes sont condamnés à mourir ici, d’autant que le président n’exprime aucune empathie vis-à-vis des condamnés, sachant pertinemment que les droits humains sont bafoués, mais estimant que seul ceux des gens honnêtes, victimes de ces gangs, mériteraient d’être respectés.

Lire plus : Nayib Bukele et le Salvador : de la violence à la sécurité ?

Le retour de la violence ?

Les droits exceptionnels donnés par le président à la police et à la justice semblent changer de main le problème. En effet, de nombreux cas de chantage ont été recensés, dans la police mais aussi au sein de la population. Conscients de la facilité avec laquelle on peut mettre un autre individu en prison, certains abusent de ce pouvoir pour demander des faveurs à d’autres individus, sous peine de dénonciation mensongère et donc d’une peine de prison. De nombreuses associations créées par des familles de présumés coupables, condamnés injustement, luttent à travers le pays à la recherche de la vérité sur le sort de leurs proches, contre les méthodes du gouvernement salvadorien.

« La justice sans la force est impuissante, la force sans la justice est tyrannique » écrivait Blaise Pascal, et le pouvoir en place a connaissance des agissements des forces de police qui appréhendent des innocents, incarcérés dans des conditions immondes et condamnés jusqu’à la fin de leur vie. La question que l’on peut se poser est la suivante : pour la paix dans le pays, sommes-nous prêts à sacrifier des innocents ? Cette question est légitime car il faut bien garder à l’esprit qu’avant l’arrivée du nouveau président au pouvoir, la population était condamnée à la violence quotidienne, risquait de mourir à tout moment et ne pouvait pas jouir d’une vie normale : sortir dans la rue relevait d’un risque réel. Aujourd’hui, les personnes nées après l’arrivée des Maras (gangs) dans le pays découvrent enfin ce qu’est la liberté de vivre en sécurité. Il peut donc être compréhensible que la population sache pertinemment que des innocents sont enfermés dans cette méga Carcel, mais fasse comme si de rien n’était. Au-delà de ses méthodes, le chef de l’État connait l’engouement de la population à son égard avec un taux de popularité de 86%, étant considéré comme celui qui a redonné sa liberté au peuple.

L’éveil d’une nouvelle dictature 

Cependant, d’une politique ultra-sécuritaire à la dictature, la frontière est mince. Et de nombreux signaux nous amènent à nous interroger sur le basculement du Salvador vers une dictature, passant d’une violence organisée par les gangs à celle de la politique sécuritaire de son propre président, pourtant élu démocratiquement. Celui-ci s’est ainsi autoproclamé « dictateur le plus cool du monde » sur X (ex-Twitter). Il s’est également rendu à l’Assemblée nationale du pays sans autorisation, symbolisant ainsi une atteinte à la frontière démocratique. Enfin, Nayib Bukele a été réélu en février 2024 dès le premier tour avec 85% des voix alors que la constitution n’autorise pas un second mandat. Son parti a d’ailleurs remporté 58 des 60 sièges à l’Assemblée législative et aura désormais une majorité absolue au Parlement, ce qui lui permettra de faire passer ses réformes plus facilement. L’opposition, fragmentée, n’a pas réussi à proposer une alternative crédible, ce qui laisse peu de place à un véritable régime démocratique. Cette victoire confirme la popularité du très populiste* président actuel, malgré les critiques concernant ses dérives autoritaires et une possible victoire de la violence, confirmant qu’au plus la paix regagnera du terrain dans le pays, au plus cet homme du peuple possédera du pouvoir.

Comme si la violence représentait la source et la solution aux maux en Amérique latine, le modèle Bukele semble inspirer le continent puisque la présidente du Honduras, Xiomara Castro, projette de faire construire une prison similaire.

*le populisme est une approche politique qui oppose le “peuple” aux élites, en prétendant défendre les intérêts des gens ordinaires contre une classe dirigeante perçue comme corrompue ou déconnectée. Il se caractérise souvent par un discours simplifié et des solutions directes aux problèmes complexes. Nayib Bukele est souvent associé au populisme en raison de sa communication directe avec le peuple.

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