Alors que cela fait plus de dix ans que la Coupe du monde 2022 a été attribuée au Qatar, cette décision semble plus que jamais diviser le milieu du football. La FIFA s’était pourtant réjouie de permettre au premier pays arabe d’organiser l’évènement, même si certains s’étaient immédiatement plaints que le Qatar ne soit pas un pays traditionnel de football. L’attention a ensuite été portée sur une possible corruption, le Qatar étant un petit pays riche, sans toutefois qu’il n’y ait aucune preuve à ce jour.
Des manifestations sur le terrain
Depuis près de deux mois une nouvelle vague de contestations s’est élevée suite à la publication dans le Guardian d’un article révélant des conditions de travail effroyables sur les infrastructures qatari. Depuis 2010, pas moins de 6 500 travailleurs étrangers seraient morts, la plupart originaires de l’Inde, du Népal, du Bangladesh ou encore du Pakistan.
En réaction, plusieurs fédérations européennes ont utilisé le terrain pour dénoncer le non-respect des droits humains à l’aide de tee-shirts. Ce sont les joueurs norvégiens qui ont initié le mouvement, le mercredi 24 mars, lors du match Norvège-Gibraltar. Staale Solbakken, le sélectionneur, a expliqué qu’il s’agissait de « faire pression sur la FIFA pour qu’elle soit […] encore plus ferme à l’égard des autorités au Qatar ».
Ils ont été suivis le lendemain par les Allemands à l’occasion du match contre l’Islande où ils portaient chacun une lettre pour constituer le message « Human rights ». La sélection néerlandaise n’a pas non plus manqué de faire savoir sa position en écrivant « Football supports change » sur les tee-shirts de tous ses joueurs. La FIFA a déclaré qu’elle n’appliquerait aucune sanction car elle « croit en la liberté d’expression et le pouvoir du football pour faire le bien ».
Retour sur la relation entre sport et géopolitique dans l’histoire
Ces manifestations ne peuvent que nous rappeler l’importance du sport dans la géopolitique, notamment depuis la Guerre Froide. Les Jeux Olympiques de Melbourne en 1956, où le match de water-polo Hongrie-URSS avait fini en bain de sang en réaction à l’insurrection de Budapest, sont révélateurs de la corrélation entre scènes sportive et politique. Quant au boycott, il est rapidement devenu un puissant outil politique : aux JO de 1976 par exemple, 22 pays Africains avaient refusé de se rendre aux Jeux de Montréal pour s’insurger contre l’entente entre la Nouvelle-Zélande et l’Afrique du Sud qui pratiquait encore l’apartheid.
Une nouvelle fois pour la Coupe du monde 2022, sport et géopolitique sont inséparables : le lieu de l’évènement étant sujet à controverse, la participation même d’une délégation peut envoyer un message d’approbation du régime et une reconnaissance du pays d’accueil. Le même problème s’était posé en 1978 lors du Mondial organisé en Argentine, deux ans après le coup d’Etat de Jorge Videla. En plus d’être une monarchie absolue, le Qatar utilise des travailleurs immigrés, 95% de sa main d’œuvre totale, dans des conditions que les ONG considèrent souvent comme une nouvelle forme d’esclavage. Le pays a donc bien besoin de redorer son image. C’est évidemment dans ce but que le pays s’est porté volontaire pour les JO de 2020 avant de candidater pour la Coupe du monde 2022.
Un boycott peut-il vraiment avoir lieu ?
Aujourd’hui, ce nouveau vent de protestations a néanmoins très peu de chances d’aboutir à un vrai boycott, bien que certains pays se posent réellement la question. En Norvège par exemple, plusieurs clubs se sont prononcés en faveur d’un boycott et un sondage paru il y a quelques semaine dans le journal Verdens Gang a révélé que 55% des Norvégiens estimaient que le pays devrait effectivement boycotter la Coupe : un congrès exceptionnel doit se tenir le 20 juin pour en décider.
Pour beaucoup, il est déjà trop tard et c’était il y a dix ans qu’il fallait y réfléchir. Roberto Martinez, sélectionneur belge, a affirmé à ce propos « boycotter le Mondial au Qatar, ce n’est pas la solution. Ce serait tourner le dos au problème. On doit, au contraire, y faire face ». La France se positionne également dans cette lignée en invoquant entre-autre l’impossibilité de reculer à un an de l’évènement.
Quoiqu’il en soit, les manifestations des joueurs ont permis d’éveiller les consciences sur le sujet des conditions de travail des ouvriers au Qatar et le fréquent manque d’application de la législation par les entreprises sur place. La réussite du mouvement ne sera pas jugée en fonction du nombre de pays qui boycottent, s’il y en a, mais à la manière dont le mouvement se sera étendu. En réalité, les organisations humanitaires telles que Amnesty International ou the Human Rights Watch ne réclament pas de boycott mais au contraire que l’organisation de cet évènement serve de levier pour attirer l’attention du monde sur le traitement des ouvriers au Qatar, tout comme dans tous les pays où il pose encore problème. Le Qatar a d’ailleurs déjà annoncé des mesures en faveur des droits des travailleurs étrangers.
Si les pays auxquels sont attribués les Coupes du monde ne font pas toujours l’unanimité, c’est une victoire pour la FIFA qui parvient à étendre encore un peu plus son empire. Au cours des dernières décennies le sport est devenu une nouvelle arme politique, dont le développement à l’échelle internationale a été accéléré par la mondialisation. La FIFA et le CIO comptent aujourd’hui plus de membres que l’ONU et parviennent à faire cohabiter des puissances rivales. En somme, le sport est désormais non seulement un outil de soft power mais également le terrain d’enjeux géopolitiques.
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