« C’est sublime » est aujourd’hui une expression courante, utilisée pour décrire quelque chose d’excessivement beau. Mais en philosophie, le sublime et le beau sont deux concepts distincts. Dans Critique de la faculté de juger, Emmanuel Kant consacre une partie de son ouvrage au concept du sublime. Kant a beaucoup étudié les liens entre la raison humaine et le réel, entre la nature et l’être humain. Mais d’après lui, il ne doit pas être confondu avec le beau. Dans cet article, nous allons donc étudier l’analyse de Kant qui différencie beau et sublime. Nous expliquerons ensuite que Kant divise le sublime en deux avec le sublime mathématique et le sublime dynamique.
Lire plus : Kant, la raison humaine et le réel
Le sublime et le beau
On considère souvent que ce qui est sublime est ce qui est excessivement beau. Mais cette définition du sublime est fausse. C’est un abus de langage.
Il est vrai qu’il y a une différence de degré : le sublime est de la beauté transportée à l’infini. Il y a également une différence de nature non négligeable. Les deux concepts procurent un sentiment différent. La beauté plaît alors que le sublime est avant tout un sentiment négatif. Il suscite la peur. La positivité du beau s’oppose à la négativité du sublime. En quelque sorte, le sublime va au-delà du beau en terrorisant.
Mais il informe aussi. En contemplant du sublime, on fait face à une grandeur et on éprouve notre propre vivant. C’est donc la conscientisation d’une immensité. On est capable d’envisager un univers sans limites. En revanche, le beau possède une finitude qui lui permet une perfection.
Le sublime est rapide, il s’agit de l’attraper, de le saisir avec l’esprit. Le sublime kantien met en avant une nouvelle théorie du sublime. Il met en avant une certaine idée de la grandeur absolue. Il relie le sublime avec le naturel et l’esthétique. Avec le sublime, il y a le temps du terrible et le temps du merveilleux. On ressent une agitation de l’âme qui est ébranlée, alors que le beau engendre un calme.
Le sublime, entre grandeur et humiliation
Kant écrit : « Est sublime ce qui […] prouve une faculté de l’esprit qui dépasse toute mesure des sens ». Le sublime révèle une faculté de penser, de concevoir. On a donc besoin d’imagination. Et la réponse à ce travail d’imagination est notre propre humiliation face à une telle grandeur. Nous nous sentons ridiculement petits face à la grandeur du sublime. Mais de cette confrontation le spectateur se rend compte de sa capacité à conscientiser la grandeur absolue. Dès lors, nous comprenons que le sublime ne vient pas du spectacle en question mais bien de notre manière de le ressentir.
Dès lors, il semble que le sublime soit beaucoup plus simple à trouver dans la nature que dans l’art. Il est bien plus simple d’être humilié par la grandeur de la nature que par le travail d’un autre être humain. Et très souvent, le sublime dans l’art est lui-même inspiré de la nature. Au XVIIe siècle, on considère le sublime comme étant naturel. On le trouve dans la nature avec certains objets remarquables pour leur grandeur ou leur force. On trouverait davantage le sublime dans la nature car moins de contraintes, de limites.
Ce qui est intéressant est que Kant utilise des exemples, naturels ou artificiels, qu’il n’a pour la plupart jamais observé. Il n’a jamais vu de volcans en éruption, Saint-Pierre de Rome ou encore les Pyramides d’Égypte.
Le sublime mathématique et le sublime dynamique
Kant met en avant deux expériences différentes du sublime. La première est le sublime mathématique. Dans ce cas, on fait face à une immensité. Le sublime est ce qui est « absolument grand ». Devant un ciel étoilé, l’être humain contemple un univers infini. Il est impossible pour lui de l’observer ou de l’imaginer dans son intégralité. En revanche, il peut concevoir cette infinité. Face à une telle grandeur, l’individu est humilié du fait de sa petitesse dans un monde infini. En revanche, la faculté de raison lui permet de comprendre ce sentiment. D’une certaine manière, l’expérience du sublime permet à l’être humain de se sentir supérieur à la nature. Mais l’objet observé doit être suffisamment grand (car s’il est trop petit, l’émerveillement est empêché), mais pas trop grand non plus (au risque que l’on se perde dans l’infini de l’objet).
Le deuxième sublime mis en avant par Kant est le sublime dynamique. Cette fois, la grandeur n’est pas liée à l’immensité mais à l’intensité. C’est l’intensité des forces de l’univers qui crée un sentiment de sublime. Une nouvelle fois, la juste mesure doit être faite. La force observée ne doit pas être maîtrisable par l’humain, sinon elle n’est pas impressionnante. En revanche, elle ne doit pas être dangereuse non plus, car si elle menace l’existence du spectateur, l’émerveillement est remplacé par la terreur. Nous pouvons prendre l’exemple d’un océan aux eaux déchaînées ou à un ciel orageux. Le spectateur doit être en sécurité pour ressentir le sentiment de sublime dynamique.
Conclusion
Finalement, nous pouvons dire que le sublime est un assemblage de terreur et de merveilleux. Il humilie d’abord le spectateur. Mais ce dernier réussit à concevoir la grandeur de ce qu’il contemple. En quelque sorte, le sublime flatte l’égo du spectateur.
Le Voyageur contemplant une mer de nuages, tableau du peintre romantique allemand Caspar David Friedrich, est l’exemple parfait du sublime chez Kant. Cet homme représente le spectateur face au sublime. Ici on étudie le sublime mathématique. L’homme a devant lui l’immensité du monde. Il est pourtant extrêmement proche du ciel et des nuages, mais il ne lui est pas possible de les toucher, et d’imaginer le ciel dans son intégralité.