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Les taux d’intérêt négatifs : d’où viennent-ils, où mènent-ils ?

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Dans cet article, nous abordons un thème assez particulier qui peut parfois paraître difficile à traiter à cause de sa technicité mais qui reste très intéressant. Il est d’actualité et peut même tomber en colle avec vos professeurs ou, comme ce fut le cas, en oral ESH à l’ESCP : les taux d’intérêt négatifs !

 

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Taux d’intérêt négatifs : recontextualisation et définition

Suite à la crise économique des années 2020 et à la guerre en Ukraine, le taux d’inflation a grimpé jusqu’à dépasser le taux d’intérêt nominal, conduisant alors l’économie vers une situation particulière : les taux d’intérêt réels deviennent négatifs.

Pour comprendre le mécanisme qui s’y cache, réalisons un travail de définition :  tout d’abord, un taux d’intérêt correspond au prix de l’argent, c’est-à-dire au prix de la renonciation à une somme par le créancier pour un débiteur. De plus, dans ce taux est compris le risque lié à cette renonciation. Généralement, ces taux d’intérêt sont positifs. Toutefois, il arrive exceptionnellement que les taux d’intérêt réels soient négatifs, rémunérant alors l’emprunteur qui rembourse une somme plus faible que celle empruntée. Cette situation survient lorsque le taux d’inflation (=augmentation soutenue et généralisée des prix) est plus élevé que le taux d’intérêt nominal (=le taux effectivement convenu et payé), comme ce fut le cas en France lors de cette dernière année par exemple. Nous pouvons résumer schématiquement de manière suivante :

Taux d’intérêt réel ≈ taux d’intérêt nominal – taux d’inflation.

Comment les taux d’intérêt peuvent-ils devenir négatifs?

Dans un premier temps, cette situation peut être due à des raisons conjoncturelles. Depuis les années 2008 (crise des Subprimes) jusqu’à aujourd’hui (Covid-19 et guerre en Ukraine), faible croissance, risque de déflation et crises économiques sont allés de pair. La Banque Centrale a alors tenté de réagir en menant une politique non-conventionnelle (le « Quantitative Easing ») qui consiste à racheter des titres afin d’accroître la masse monétaire en circulation ce qui revalorise alors le taux d’inflation, conformément à la Théorie quantitative de la monnaie d’Irving Fisher. Ainsi, avec un taux d’inflation plus élevé, ce sont les taux d’intérêt réels qui diminuent.

De plus, certaines banques centrales, telles que la Banque du Japon (BoJ), voulaient éviter une appréciation de leur monnaie qui étoufferait leur croissance. Ainsi, avec une inflation résultant des taux d’intérêt négatifs, la monnaie s’en trouve dépréciée et, selon la Courbe en J, le volume des exportations gonfle, ce qui développe la production du pays et accélère sa croissance économique.

Mais encore, les raisons qui peuvent expliquer cette situation sont structurelles. D’une part, sur le long terme et principalement dans la zone euro, il y a eu une baisse progressive des taux d’intérêt liée à un déséquilibre entre épargne et investissement. L’augmentation de l’épargne (de « précaution ») était une réponse à la crise et à l’incertitude qui étouffaient la confiance en l’avenir. Cette situation provoquait en plus un phénomène de « fuite vers la qualité » qui conduisait à placer son épargne dans des valeurs refuges, c’est-à-dire des titres sûrs qui ne feraient pas défaut, qui concernaient principalement les titres émis par les États, même si ces titres étaient émis à taux négatifs.

Mais encore, le vieillissement progressif de la population, tout comme la hausse des inégalités (donc la part des riches), entrainent un excès d’épargne par rapport à l’investissement. En parallèle, la part de l’investissement s’en trouve amoindrie à cause de la baisse de la population active, la baisse de la productivité, la hausse de l’incertitude, la hausse du taux d’inflation et le développement de l’économie immatérielle. Ainsi, l’offre de capitaux (= l’épargne) surpasse la demande de capitaux (= l’investissement), ce qui tire à la baisse le taux d’intérêt naturel (= le taux d’intérêt réel qui équilibrerait l’épargne et l’investissement dans un contexte de plein emploi et de stabilité des prix).

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Doit-on se réjouir ou craindre l’arrivée de cette situation ?

Ces taux d’intérêt négatifs peuvent présenter des avantages sur la croissance… En effet, les emprunteurs sont les premiers touchés : les ménages, d’une part, qui bénéficient d’une plus grande capacité à consommer, d’autre part, les entreprises qui peuvent davantage investir et innover, et enfin l’État qui, grâce à un affaiblissement de la charge de la dette et d’un surplus de ressources, peut financer la recherche et le développement, l’éducation, la transition écologique, etc.

De plus, une hausse d’inflation peut être bénéfique car elle joue directement sur les anticipations des agents, et donc leur consommation. Enfin, l’inflation serait, selon la Banque de France, créatrice d’emplois. En effet, sur 11 millions d’emplois entre 2013-2019, 2 à 3 millions reviendraient directement aux effets de la politique monétaire accommodante.

Néanmoins, il ne faut pas ignorer les potentiels dangers. Des taux d’intérêt négatifs ont évidemment des répercussions directes sur la rentabilité des banques et des assurances qui, si elle est touchée de manière durable et forte, mettrait en péril la stabilité financière. Cette dernière serait également touchée par la potentielle formation de bulles financières, d’un endettement excessif (cf. paradoxe de la tranquillité de Minsky) et d’un risque d’insolvabilité en cas de hausse soudaine des taux. De plus, la faible rémunération de l’épargne pénalise les agents dont les revenus dépendent du rendement de l’épargne, ce qui écraserait leur pouvoir d’achat et donc la consommation.

Enfin, cette situation pourrait nécessiter le relais des politiques budgétaires et structurelles (par l’investissement et l’innovation) mais cela a des coûts, d’autant plus pénibles si le pays souffre déjà d’un fort déficit budgétaire et d’une dette extérieure importante.

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Natyra Kabashi