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La violence sociale dans Les Bonnes de Jean Genet

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Le thème au programme cette année de l’épreuve de culture générale pour les classes préparatoires commerciales est “la violence”. Cette notion est intéressante dans la mesure où elle peut recouvrir des actes, des situations plurielles, et avoir un impact sur l’individu. Un des axes intéressants pour aborder la violence est sa représentation, et notamment la possibilité même de sa représentation. C’est ce que nous allons tenter d’étudier dans une série d’articles consacrés à la représentation de la violence dans les arts et les lettres. 

Aujourd’hui, nous nous intéresserons à la manière dont le dramaturge Jean Genet a abordé la question de la violence sociale entre les différentes classes de la société dans sa pièce intitulée Les Bonnes. Nous te conseillons, en plus de cet article, de lire cette (courte) pièce de théâtre ou bien de regarder une de ses captations, comme ici : https://www.youtube.com/watch?v=QF58gF8ABsk

Qui est Jean Genet ? 

Jean Genet, né en 1910 et mort en 1986 est un écrivain et dramaturge français. Dans son œuvre, il écrit sur les minorités et les opprimés, en s’inspirant souvent de personnages réels pour créer ses personnages de fiction. 

Pour Les Bonnes, Jean Genet s’est inspiré d’un fait divers survenu en 1933 au Mans, à savoir l’affaire Papin, où les deux sœurs Papin avaient assassiné sauvagement leur patronne. Cette affaire avait observé un grand engouement dans la société, soulevant notamment la question de l’exploitation des classes populaires. Dans sa pièce Les Bonnes, jouée pour la première fois en 1947, Jean Genet reprend cette histoire avec deux personnages, Claire et Solange, qui chaque jour observent un rituel millimétré : la répétition de l’empoisonnement de leur maîtresse, “Madame”, Claire jouant Madame et Solange jouant Claire. Néanmoins, ce rituel échouera et c’est finalement Claire qui s’empoisonnera avec le tilleul. 

La pièce ne rencontra pas un grand succès durant ses premières représentations, peut être à cause de la violence qui s’en dégage (nous sommes encore à une période où le souvenir de la violence de la Seconde Guerre Mondiale est très prégnant) et la volonté à l’époque de restaurer un ordre moral, mais la pièce acquiert un statut de classique de la littérature à partir des années 70. 

La violence de classe

Cette pièce est tout d’abord intéressante dans la mesure où elle interroge la violence de classe, Solange et Claire voulant, à travers leur rituel, accomplir la “révolte des bonnes” par le meurtre de Madame. La pièce créer une opposition entre le monde des bonnes et celui de Madame au niveau du langage (accents) et des objets qui les déterminent : par exemple ce que dit Claire quand elle joue Madame, au début de la pièce, avec une distinction entre l’espace de la cuisine, de l’évier, et d’un grand prosaïsme, contre les fleurs et la beauté associés à Madame, et des propos injonctifs  : 

Et ces gants ! Ces éternels gants ! Je t’ai dit souvent de les laisser à la cuisine. C’est avec ça, sans doute, que tu espères séduire le laitier. Non, non, ne mens pas, c’est inutile. Pends-les au-dessus de l’évier. Quand comprendras-tu que cette chambre ne doit pas être souillée ? Tout, mais tout ! ce qui vient de la cuisine est crachat. Sors. Et remporte tes crachats ! Mais cesse !

Les bonnes haïssent leur maîtresse pour le mépris de classe qu’elle a à leur encontre, mépris qui apparaît néanmoins quelque peu exagéré quand apparaît Madame, dont les propos ne sont pas aussi durs que ceux tenus par Claire l’incarnant. 

C’est cette humiliation que subissent les bonnes, même quand Madame apparaît bienveillante mais n’en reste pas moins presque infantilisante (par exemple, le cadeau  de robes et renards dont Madame ne veut plus est ressentie par les bonnes comme une gifle)cette violence de classe qui nourrit le désir de vengeance des bonnes, qui s’incarne dans une violence physique. C’est ce rapport de force entre dominant et dominé qu’elles incarnent durant leur rituel, permettant d’en questionner les éléments fondateurs mais également sa perception par les dominés, qui le vivent intérieurement. 

La violence du rituel, entre les deux sœurs, à travers les propos qu’elles se tiennent l’une à l’autre par exemple, comme dans l’extrait précédent, vise à un usage cathartique de la violence, contre la violence de Madame. Ainsi, cette violence sociale amène à un rituel où c’est une violence physique qui s’exprime, permettant à Jean Genet d’interroger une violence primitive des individus.

L’expression de la violence primaire 

Ainsi, toute la pièce repose sur la haine que portent les bonnes à Madame, et le rituel ne vise qu’à conduire à son meurtre. Comme le rituel, la pièce en elle-même vise à un usage cathartique par la représentation de cette violence primitive présente en chacun de nous, cette volonté de meurtre qui nous domine, une “folie animale” réprimée par l’ordre social, expliquant sûrement la mauvaise réception de la pièce après l’horreur de la Seconde Guerre Mondiale et la volonté de restaurer cet ordre moral ayant ét émis à mal : 

« L’assassinat est une chose… inénarrable !… Nous l’emporterons dans un bois et sous les sapins, au clair de lune, nous la découperons en morceaux. Nous chanterons ! Nous l’enterrerons sous les fleurs dans nos parterres que nous arroserons le soir avec un petit arrosoir ! »

Le rituel se fait écho du théâtre comme cérémonie expiatoire ; néanmoins, le rituel échoue dans les Bonnes : il conduira bien au meurtre, mais pas à celui de Madame : c’est Claire, jouant Madame, qui boira le tilleul empoisonné. Un film, intéressant à regarder dans la continuité de l’affaire Papin et des Bonnes de Jean Genet, La Cérémonie de Claude Chabrol, se termine lui par leur meurtre des “dominants”. Ce film peut être également un bon exemple d’étude concernant la violence de classe, Claude Chabrol le signalant même comme “le dernier film marxiste”.

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Corentin Viault