Introduction :
Depuis plusieurs années, les monnaies locales suscitent un intérêt croissant. Ces monnaies ne cherchent pas à remplacer le système monétaire traditionnel, mais à offrir une alternative complémentaire, en créant des circuits économiques locaux parallèles. Elles répondent à des besoins spécifiques et visent à redynamiser les économies locales, tout en encourageant une consommation responsable. Cependant, leur capacité à transformer le système économique global reste sujette à débat. Cet article analyse le rôle que peuvent jouer les monnaies locales dans la transformation de l’économie : sont-elles un véritable levier de transformation ou restent-elles un phénomène marginal ?
Une solution efficace mais ponctuelle
L’exemple du Wörgl en Autriche, dans les années 1930, illustre bien l’impact potentiel des monnaies locales en période de crise. En 1932, après la Grande Dépression, le maire de Wörgl décide d’émettre une monnaie complémentaire, inspirée des théories de l’économiste Silvio Gesell. Cette initiative a permis de réduire le chômage de 25 % en un an dans la commune, alors que le chômage augmentait de 20 % au niveau national. Toutefois, l’expérience a été interrompue par la Banque centrale autrichienne, qui craignait pour son monopole de création monétaire. Cette expérience montre que les monnaies locales peuvent avoir un effet contre-cyclique et sont particulièrement efficaces en période de crise. Bernard Lietaer, expert des monnaies complémentaires, souligne leur rôle crucial dans le dynamisme économique local et la réduction du chômage, mais précise qu’elles doivent rester des outils ponctuels face à des crises économiques majeures.
Un outil complémentaire
Si les monnaies locales présentent des avantages évidents à l’échelle locale, leur efficacité sur le plan global reste discutée. Si certaines initiatives, comme celle de Wörgl, ont eu un impact mesurable, d’autres expériences manquent encore de preuves solides pour confirmer leur influence durable. Par exemple, l’exemple du Palmas, une monnaie complémentaire au Brésil, a permis de stimuler les dépenses locales, passant de 20 % à 95 % entre 1997 et 2008. Cependant, ce succès est également dû à d’autres facteurs, tels que des crédits à la consommation, qui ont renforcé l’efficacité du système. Ainsi, bien que les monnaies locales puissent avoir un impact significatif au niveau local, elles semblent rester limitées dans leur capacité à entraîner une véritable transformation économique à grande échelle.
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Les monnaies locales : des projets à valeur symbolique
Les monnaies locales sont avant tout conçues pour être complémentaires et non pour se substituer à la monnaie nationale. Elles visent à créer une économie locale parallèle, mais elles ne cherchent pas à renverser l’ordre économique établi. Des initiatives comme l’Eusko au Pays Basque ou la Gonette à Lyon sont des exemples de monnaies locales qui visent à instaurer un circuit monétaire alternatif sans toutefois bouleverser l’économie dominante. Leur impact global reste marginal, et selon Jérôme Blanc, économiste spécialiste des monnaies alternatives, ces monnaies ne constituent pas une solution concrète pour transformer la société. Elles jouent avant tout un rôle symbolique et éducatif en sensibilisant la population, mais n’apportent pas de changements radicaux.
Les lois encadrant les monnaies locales en France, comme la loi Hamon de 2014, montrent bien les limites de leur généralisation. Cette loi a permis la reconnaissance légale des monnaies locales dans le cadre de l’économie sociale et solidaire, mais a aussi limité leur champ d’action, les restreignant à un territoire local et à certains types de biens et services. Ce cadre législatif empêche toute tentative de généralisation à une échelle plus large.
Les monnaies locales face aux résistances institutionnelles
Si les monnaies locales peuvent trouver leur place dans certains territoires, elles se heurtent à des résistances de la part des autorités monétaires et politiques. L’exemple de Wörgl, où l’expérience a été rapidement stoppée par la Banque centrale, montre la crainte des autorités face à des alternatives monétaires locales. Jérôme Blanc, dans son analyse, souligne qu’un des grands défis pour ces monnaies réside dans la recherche de financements auprès des institutions publiques, ce qui les contraint à se conformer à des normes institutionnelles et à perdre leur dimension contestataire. Cette dynamique limite leur portée et leur efficacité à long terme.
Conclusion : un levier limité pour une transformation globale
Les monnaies locales, bien qu’elles offrent un projet politique alternatif et une réponse adaptée aux crises économiques locales, n’ont pas la capacité de transformer en profondeur le système économique global. Leur impact reste limité et elles semblent avant tout fonctionner comme des outils complémentaires. Pour véritablement bouleverser l’organisation monétaire mondiale, il serait nécessaire de s’attaquer aux mécanismes de création de crédit, domaine réservé aux banques. C’est là, selon Jérôme Blanc, que se décide l’avenir économique et où réside la véritable possibilité de changer le système monétaire et économique global.