Retrouvez dans cet article l’analyse du sujet “Essor des marchés et révolution industrielle au 19ème siècle”. Un entrainement idéal pour les khôlles ou encore les oraux d’ESH.
I / L’essor des marchés, préalable à la révolution industrielle
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A/ Le dualisme des marchés au 18ème siècle
Avant la révolution industrielle, les inégalités sociales engendrent un très net dualisme des marchés.
D’une part, une minorité fortunée qui dans une logique ostentatoire (il s’agit de tenir son rang) consomme des produits de luxe pour lesquels la qualité seule importe. D’autre part, des marchés de produits de première nécessité dont les prix,très variables, sont déterminés par les prix agricoles.
Si les mauvaises récoltes installent la pénurie, les prix del’alimentation (surtout le pain) s’envolent, ce qui alors réduit la consommation des autres produits. On a d’ailleurs si peur de la pénurie et de la hausse des prix que la réglementation est omniprésente et difficile à remettre en cause. Par exemple, l’édit du 13 septembre 1774 qui autorise à l’initiative de Turgot la libre circulation des grains.
Cette réforme est directement inspirée par la pensée des physiocrates, mais mise en œuvre dans un contexte de faibles récoltes, elle provoquera une hausse des prix à l’origine des émeutes de la guerre des farines et le renvoi de soninspirateur en 1776. On comprend donc que sur ces différents marchés, la baisse des prix n’a pas d’effet sur la consommation, – l’élasticité demande – prix est nulle – , il n’ y a donc aucune incitation à augmenter les capacités de production.
B / La révolution des transports transforme les marchés
Dès le premier tiers du 18ème siècle, les échanges de marchandises sont facilités par une première étape de larévolution des transports : amélioration du réseau routier, creusement de nombreux canaux, développement des ports et essor du cabotage. Une ébauche de concurrence est alors possible, elle conduit à une atténuation des différences de prix entre les régions qui sont donc incitées à se spécialiser.
Cette économie est celle que décrit Adam Smith en 1776. Son analyse perçoit le changement qui s’opère. Elle met en évidence la dynamique vertueuse qui s’enclenche entre la taille du marché et la division du travail. En effet, les entreprises devaient répondre par une augmentation de leur production à la demande croissante, elles cherchent des gains de productivité qu’ elles trouvent en approfondissantla division du travail.
C/ L’essor des marchés est déterminant pour la révolution industrielle.
Pour reprendre les termes de Patrick Verley, on assiste a un changement d’échelle de l’économie tirée par la demande intérieure de l’Europe et des colonies nord américaines devenues Etats Unis. Certains produits de consommation (les indiennes, les rideaux, la bière, les ustensiles de cuisine) vont pouvoir se diffuser dès le 18èmesiècle. Leur demande est élastique au prix et donc favorisée par les gains de productivité.
La supériorité de la Grande Bretagne serait due à l’existence précoce d’une classe moyenne (petits entrepreneurs, paysans enrichis, employés de banques, professions libérales) dont la demande est suffisante pour permettre un premier soubresaut de croissance. Jules Michelet – le peuple, 1846 – écrit : « Mais la grande et capitale révolution a été l’indienne (…) Toute femme portait jadis une robe bleue ou noire qu’elle gardait 10 ans sans la laver, de peur qu’elle ne s’en allât en lambeaux. Aujourd’hui, son mari, pauvre ouvrier, au prix d’une journée de travail, la couvre d’un vêtement de fleurs ».
Pour d’autres auteurs, c’est l’augmentation de la demande qui dépasse les capacités anciennes de production qui est la cause principale des grappes d’innovations du 18ème siècle, en particulier du secteur textile. A contrario, l’absence de classe moyenne aurait pénalisé la France, et expliqué le maintien de la proto – industrie jusqu’au milieu du 19ème siècle alors qu’elle avait disparu rapidement en Grande Bretagne.
La proto – industrie permet de satisfaire à la fois une élite consommatrice de produits de luxe et le peuple des campagnes consommateur de produits « grossiers ».
II/ La sphère du marché s’étend avec la révolution industrielle
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A/ Le rôle des marchés extérieurs
Au milieu du 19ème siècle, les marchés extérieurs prennent le relais du marché intérieur. Certes, le commerce s’est développé avec les Amériques et les Indes dès la fin du 18ème siècle pour représenter dés cette époque la moitié des exportations européennes. Il s’agit pour l’essentiel d’échanger des produits textiles, de la toile en particulier, contre du sucre, du café et du tabac. Mais les effets du commerce colonial sur la croissance sont généralement considérés comme secondaires. La part de production exportée par les pays européens demeure en effet assez modeste (15% pour la Grande Bretagne en 1800). C’est seulement après 1820 avec la stagnation de la demande intérieure qu’apparaît en Grande Bretagne, la volonté de tourner les productions vers l’exportation, avant même l’abolition emblématique des corn laws en 1846. La baisse des droits de douane commence d’ailleurs en 1828.
B/ La spécialisation des économies
Contrairement aux échanges de type coloniaux fondés sur une complémentarité entre les pays (on dirait aujourd’hui nord – sud), qui provoquaient de fortes rivalités entre les économies européennes en concurrence sur les mêmes produits, le développement du commerce entre les économies européennes et avec les USA va entraîner logiquement une forte spécialisation.
Ainsi, la tradition française du luxe devient – elle un avantage comparatif. Les articles de Paris profitent du développement des bourgeoisies américaines et britanniques.
L’avance industrielle permet à la Grande Bretagne d’exporter vers les USA et le reste de l’Europe, non pas desproduits finis, mais des produits intermédiaires comme le filés de coton. Vers le milieu du siècle, les biens d’équipement dominent ses exportations (machines textile et matériel ferroviaire en particulier).
C/ L’essor de la concurrence
L’essor des marchés, c’est aussi l’essor d’une régulation concurrentielle de l’économie comme l’atteste la mise en place du marché du travail. Celle- ci permet de dépasser la pénurie de main d’œuvre qu’on observait du début du siècle.
En effet, l’exode rural est quasi inexistant jusqu’en 1815 – 1820, la croissance démographique ne répond que partiellement à la demande de travail, donc les salaires augmentent. Cette période est celle d’intenses débats en Grande Bretagne. En effet, Karl Polanyi – la grande transformation, 1944 – explique comment l’arrêt de Speenhamland qui institue en 1795 un salaire minimum, conduit paradoxalement à la contestation des lois sur les pauvres qui seront finalement abolies en 1834.
On constate un mouvement analogue en France au moment de la révolution. Dès 1791, le décret d’Allarde met fin aux corporations et la loi Le Chapelier interdit les coalitions. En 1804, le code civil établit les règles du travail salarié : « on ne peut engager ses services qu’à temps et pour une durée déterminée ». La concurrence devient alors le principe régulateur des salaires après quoi il faudra attendre 1860 pour que s’amorce une augmentation du salaire réel ouvrier qui aura doublé en 1914.