Une des épreuves redoutées des admissibles à l’ENS Lyon est l’épreuve de Science Humaines, qui doit en principe se préparer seul. Tu seras ainsi interrogé sur un texte issu de l’un des quatre livres au programme. Dans cet article, nous te proposons un résumé du livre “ L’épreuve de l’étranger ” d’Antoine Berman. Connaître la structure du livre est indispensable pour cette épreuve : il te sera notamment demandé d’avoir la capacité de pouvoir faire des liens entre les différentes parties du livres, de pouvoir en expliciter la progression. Ainsi, une connaissance du résumé est obligatoire.
Ouverture
Le livre s’ouvre sur deux épigraphes, De l’allemagne (qui a eu une influence majeure pour le transfert culturel du romantisme allemand en France),et la lettre d’Humboldt à Schlegel (où il énonce les deux écueils de la traduction, l’exactitude aux dépens de la langue cible ou de la langue source). Cela manifeste ce qui va suivre : pour l’inauguration d’une conscience théorique et historique sur la traduction, il s’agit de ressaisir les réseaux de langue, les valeurs attachées à l’acte de traduire, le plurilinguisme culturel dans lequel étaient insérés les traducteurs. Il s’insurge ainis contre la condition ancillaire de la traduction, suspecte de trahir soit la langue d’origine soit la langue d’arrivée. Contre le mythe d’une culture autonome et pure, Berman montre que toute culture a besoin de la traduction car l’Etranger fécond le propre dans un métissage productif. Il s’oppose également à l’ethnocentrisme. Il présente donc la visée éthique de sa démarche analytique, d’inspiration psychanalytique : repérer le système de refoulement et de résistances inconscientes qui conduisent à déformer le texte de l’Autre. Ainis, une bonne traduction est celle qui laisse apparaître certains possibles de la version originale, tout en dénaturalisant langue maternelle. Il s’écarte donc d’une visée métaphysique d’une langue universelle, qu’on pourrait retrouver chez Benjamin par exemple.
Il présente ensuite les romantiques allemands ainsi que leurs perspectives. Il part tout d’abord de Luther : il est le fondateur de la traduction allemande, réaffirmé après par l’idée de Bildung individuelle.
Chapitre 1 : Luther ou La traduction comme fondation
Il a traduit la Bible entre 1521 et 1534 à partir du latin, de l’hérbreu et du grec. Il a ainsi crée la première œuvre canonique de l’allemand moderne en transposant en hochdeutsch la langue du peuple. Mais il était resté aussi près que possible des lettres.
Chapitre 2 : Herder : fidélité et élargissement
Dans ce chapitre, il présente comment Herder a défini le rôle de la traduction dans ses Literaturbrrefe. Il y a l’exigence d’une fidélité à la lettre : la traduction est comme un test de la langue maternelle, et en permet élargissement. Il s’appuie sur la critique et la philologie, pour comprendre le caractère singulier de chaque œuvre. Il donnera les premiers classiques, contre les enjolivations françaises ou les traductions pragmatiques qui ne traduisent seulement le sens, le contenu. Il considère la langue maternelle comme une jeune vierge : elle devrait rester pure et se garder de tout commerce mais son destin est de devenir maternelle, ce qui nécessite la traduction.
Chapitre 3 : La Bildung et l’exigence de la traduction
Ici, Berman montre l’importance de la tradition et du détour par l’étranger dans la pensée de la Bildung. C’est un mouvement par lequel une forme se déploie et atteint sa forme propre. Par exemple, pour Novalis c’est la réversibilité : le devenir soi de l’autre et le devenir autre du même, loin de toute appropriation impérialiste. La Bildung est médiation, donne accès aux Urbilder (images originelles) et Vorbilder (modèles) grecs avec un transfert des formes poétiques et une grécisation de la langue poétique allemand dans la traduction de Voss. Mais Berman note que ce ne sont pas les mêmes modèles : ce sont les grecs (car altérité et pureté) pour Goethe et Holderlin, et les latins (car syncrétisme et transgénéricité) pour les romantiques.
Chapitre 4 : Goethe : traduction et littérature mondiale
Goethe a une approche pratique de la traduction, comme phénomène de transferts et de circulation qui caractérisent l’âge moderne. Sa pensée apparaît dans une conversation avec Eckermann. Il montre les rapports entre les littératures nationales : la traduction est ainsi la pierre de touche de la littérature mondiale. Il y ainsi trois temps de la traduction :
- traduction en prose, étranger dans notre sens à nous
- époque parodistique, transposition de l’esprit étranger dans notre esprit
- traduction qui sert de près l’original et rencontre résistances, amène à modification de notre goût > traduction interlinéaire, littérale > transmet la sprachlichkeit
L’étranger est donc compris comme une source de régénération, car c’est le reflet de soi même que l’on observe chez l’autre et qui produit un émerveillement. La traduction est donc comme un rajeunissement. Mais il a une conception restreinte de la traduction comme reflet : Berman passe ensuite aux romantiques, qui ont eux mis en œuvre une réflexion généralisée sur la traduction.
Chapitre 5 : Révolution romantique et versabilité infinie
Le romantisme est un âge critique, de conscience de soi et de la réflexivité, qui rapproche poésie, philosophie et critique, et adopte une écriture du fragment. Il y a une passion philologique, pour les livres, et pour la Nature en elle même. L’idéalisme allemand fait ainsi de l’oeuvre, contre Kant, le médium de l’infinité du sujet. Il y a un mouvement d’infinitisation caractérisé par une structure en paliers, une ascension « potentialisation » amplification » et « romantisation » du monde. Le principe de versabilité infinie peut se définir ainsi : les forme et les genres littéraires se mêlent et se transforment les uns dans les autres, mais les sciences et idées aussi s’inversent et se réfléchissent en permanence selon la méthode du renversement qui permet de parler de poésie de la poésie ». Il y a ainsi un processus de convertabilité dans lequel la traduction occupe une place structurelle.
Chapitre 6 : Langage de nature et langage d’art
Berman replace la traduction dans la pensée romantique de la langue. il y a une opposition entre langage de nature (naturel, imagé, mimique) et langage d’art (artificiel, arbitraire, volontaire) qui rejoint les mathématiques, musique… car le poète essaye de produire un pur langage a priori, sans aucune imitation et détaché des liens référentiels à la réalité extérieure. Le langage d’art est symbolique ou allégorique : c’est un langage non dénotatif, une communication sans communiqué, un langage universel et vide, où tout est signes, symptômes,…mais sans contenu. Il affirme une préférence pour des formes textuelles éloignées de la référence directe au monde mais comme élevées à la puissance : commentaire, note, traduction.
La traduction contribue au mouvement de parachèvement de l’oeuvre, l’éloignant de son terreau naturel, avec envol vers pur langage absolu
Chapitre 7 : La théorie spéculative de la traduction
Dans ce chapitre, Berman éclaire les formules de Novalis « toute poésie est traduction » et de Brentano « le romantique lui même est traduction ». Ils ont recouvert la traduction sous le concept critique
- Dans la lettre de Novalis à Schlegel il loue la réflexivité de la traduction : la traduction est comme supérieure car elle débarrasse l’œuvre de sa couche empirique première, dans une progressivité, potentialisation de l’oeuvre
- Dans Grains de pollen Novalis propose sa propre triade traductive, différente de celle de goethe : traduction grammatical, traduction transformante et transformation mythique
- Godwi, Brentano est un dialogue parodique sur la forme du romantisme : il présente une théorie de la traduisibilité de l’oeuvre qui se renverse en une théorie de son intraduisibilité et en une poétique de l’incommunicabilité : et la musicalité n’est plus celle de la musique pure mais du lied, la chanson, ancré dans le folklore (dans le dialogue, il y a une différence entre les grands poètes car pas assujettis à la langue, peuvent donc être traduits, et les poètes chanteurs, intraduisibles car adhérant trop au langage naturel)
Chapitre 8 : La traduction comme mouvement critique
Dans ce chapitre, Berman montre que le concept critique, dans son sens transcendantal (pensée de la poésie par elle même) et empirique (critique des œuvres singulières) a englobé la traduction comme acte de compréhension et un mime philologie (Schlegel) sans spécificité propre ni autonomie : il y a un programme de traduction des romantiques guidé par la critique. Mais ils ont considéré la traduction comme accomplissement, moins nécessaire que la critique.
Ce chapitre est un basculement dans l’ouvrage, car Berman fait ensuite place à un retour à l’empircité de la traduction et une prise de distance par rapport au haut niveau spéculatif du premier romantisme allemand
Chapitre 9 : August Wilhelm Schlegel : la volonté de tout traduire
Il propose une pensée de la traduction adossée à théorie du langage poétique. ll a notamment mené une retraduction de Shakespeare où il mène vers la théorie de l’universalité des formes poétiques, et affirme que la poésie, en raison de son essence formelle, est traduisible. Il y a un programme de traduction totale qui témoigne de l’omni puissance des romantiques d’Iena. Mais il existe un principe de sélectivité, avec un privilége des œuvres du passé sur celles des contemporains, au nom d’une conception futuriste du passé : l’épreuve de l’étranger est donc évitée, le romantique ne se traduit jamais que lui même et cherche dans les œuvres qu’il traduit une réflexivité poétique, une conscience de soi, en éclipsant le vil et le bas chez Shakespeare par exemple. Cela explique ainsi le fait qu’il ait critiqué la traduction trop gécrisante de L’illida de Voss, ou de Luther, car il mélangeait écrit et oral
Chapitre 10 : Schleiermacher et Humboldt : la traduction dans l’espace hermeneutico-linguistique
Dans ce chapitre, il replace la théorie dans le contexte contemporain. Ainsi, le langage ne détermine pas le discours mais constitue un certain milieu dans lesquel s’articulent langue naturelle, plurilinguisme et rapports entre la langue maternelle et les langues culturelles et tout acte de parole d’un sujet.
Schleiermacher dans sa conférence à l’Académie royale des sciences de berlin donne la description méthodique et systématique de la traduction, et isole la traduction de l’interprétariat et des autres formes de communication. En effet, il comprend la traduction comme un processus de rencontre intersubjectif, qui fait l’effort du rapprochement vers l’autre soit au lecteur soit à l’écrivain. La traduction requiert une conscience de l’histoire des langues et correspond à une certaine maturité par rapport à la langue, à l’inverse du bilinguisme (qui correspond à un âge de domination). Le processus de traduction doit être massif pour que se constitue le champ de la traduction dans l’espace linguistique et littéraire
Selon Humboldt parce qu’il n’existe pas de correspondances entre les mots d’une langue et ceux d’une autre, la traduction nous ouvre des formes de l’art et de l’humanité inconnues et élargit la langue propre, contribuant à la bildung. Il s’agit donc de saisir le caractère véritable de l’étranger et pas ce qui est accidentel, étrangeté.
Néanmoins, Berman ose une critique de cela avec une approche interprétative de type psychanalytique : l’herméneutique ne peut considérer texte traduit que comme pis aller, alors qu’il existe un travail critique propre au traducteur et à la lecture d’un texte traduit
Chapitre 11 : Holderlin : le national et l’étranger
Dans ce chapitre, il présente les traductions grec de Holderlin qui sont comme des dépassements des limites de la bildung. En effet, Holderlin repousse la frontière entre étranger et étrangeté, et ne s’arrête pas au goût du lecteur. Il n’y a donc pas un retour à soi mais des aspirations simultanées qui s’auto limitent l’une l’autre. Il y a une véritable épreuve de l’étranger qui conduit au péril de la confusion des langues et de la folie. A travers le recours à des formes dialectiques souabes et par un usage étymologique de certains mots, Holderlin réactive le sens qu’ils avaient en mittelhochdeutsh ou chez Luther. Il propose ainsi une traduction abusant le grec, qui constitue une interprétation qui dévoile le sens latent ou refoulé, comme si traduire était remonter à époque virtuelle de la formation de l’oeuvre. Il dépasse ainsi ainsi la bildung classique comme grand tour, aboutissant à l’auto-limitation, et à la bildung des romantiques spéculatifs, pour qui le voyage amène à découvrir que soi même et l’autre sont réversibles, ne font qu’un. Il ouvre un espace poétique au métissage, dans un accouplement et une différenciation des langues. La traduction devient dialogue et non pas monologique
Conclusion
Dans la conclusion, Berman insiste sur l’influence du premier romantisme allemand. Ce livre se veut comme un manifeste : la traduction est devenue manifeste à l’âge moderne, visible et consciente, et elle est affaire de toutes les sciences humaines. Cette conscience traductive doit servir comme modèle contre le réductionnisme foncier et contre l’homogénéisation croissante des systèmes de communication. Berman défend ainsi l‘ouverture d’un champ de la traductologie. Il propose une théorie non ethnocentrique de la traduction, descriptive et normative, qui analysera les systèmes de déformation pensant sur toute opération de traduction, une science et un art de la traduction aussi critique envers le préjugé de l’intraduisibilité qu’envers l’idée de la traduisibilité universelle, qui repose sur le présupposé de correspondance et d’équivalence entre les langues, qu’il réfute.