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Tour du monde et historique des zones de libre-échange : quel avenir, quels enjeux ?

Sommaire

Alors que la crise agricole semble être ravivée par la question de la signature de l’accord de libre-échange conclu entre l’Union européenne et le Mercosur, il semble nécessaire de faire le point sur l’histoire de ces zones de libre-échange, leur rôle, leur importance dans l’économie mondiale et leur rôle dans les équilibres géopolitiques du globe.

 

Un point d’histoire sur le libre-échange

 

Du XVIème au milieu du XVIIIème siècle, le mercantilisme se trouvait être la doctrine majoritaire dans les pays d’Europe. Celle-ci consistait en la promotion de l’économie nationale par la conquête des marchés extérieurs (exportations et industrialisation) et par la défense du marché intérieur face aux importations, vues ici comme une menace à la richesse nationale, de sorte à dégager des excédents commerciaux. Dans cette idée, l’Etat joue d’évidence un rôle important en soutenant la production et l’internationalisation de celle-ci, et en imposant des barrières, souvent douanières, à l’entrée de produits étrangers.

Ce n’est véritablement qu’au milieu du XIXème siècle que ce principe a été fondamentalement remis en question par l’avènement du libéralisme, comme mouvement politique et doctrine économique. En effet, c’est en 1838 que l’Anti Corn-Law League fut créée au Royaume-Uni, dans l’optique d’abolir les Corn Laws, lois protectionnistes adoptées entre 1773 et 1815 sur le commerce des céréales entre les îles Britanniques et l’extérieur. Ce groupe de pression obtiendra gain de cause quand, en 1846, le Parlement britannique abolit celles-ci et les échanges furent libéralisés. Cet événement fondateur est particulièrement marquant puisque Londres était à l’époque la première puissance économique au monde, grâce à son industrie florissante. Par la suite, des accords, tel que le traité Cobden-Chevalier entre la France et l’Angleterre en 1860, ont permis de généraliser la pratique du libre-échange sur le Vieux Continent.

Si les crises successives qui ont secoué la seconde moitié du XIXème siècle et la première moitié du XXème siècle ont précédé un certain retour du protectionnisme, à l’instar de la Grande Dépression des années 1860 ou plus encore durant celle les années 1930, le commerce a malgré tout suivi une tendance de libéralisation relative sur le long terme, notamment après la signature du GATT (General Agreement on Tariffs and Trade), devenu OMC en 1995, qui a établi un cadre commun pour les échanges commerciaux à l’échelle planétaire.

 

Lire aussi : La fuite des capitaux vers les États-Unis est-elle le symptôme d’un désaveu du projet européen ?

 

La construction européenne, pionnière dans la création d’une zone de libre-échange à grande échelle

 

Dans l’Europe en ruines qui émerge du second conflit mondial et suite aux lancements du plan Marshall et de l’Organisation européenne de coopération économique (OECE), une idée émerge : celle de créer un marché commun, afin d’intensifier l’interdépendance des économies et d’empêcher ainsi l’avènement de toute autre guerre sur le Vieux Continent, notamment entre la France et l’Allemagne. Ce projet, longtemps fantasmé par des intellectuels tels que Victor Hugo, est amorcé par la déclaration Schuman le 9 mai 1950, dans lequel le ministre des Affaires étrangères du même nom propose la mise en commun de la production sidérurgique et minière entre la France et une poignée d’autres pays européens.

Ainsi, la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) voit le jour à l’occasion du traité de Paris le 18 avril 1951 entre six Etats européens, parmi lesquels la France, l’Allemagne de l’Ouest, l’Italie, la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg. Cette nouvelle forme de coopération et de mise en commun fonctionne si bien qu’il est rapidement envisagé d’étendre cette coopération aux autres secteurs de l’économie.
Dans cette perspective, les mêmes Etats signataires du précédent accord s’entendent sur le traité de Rome, qu’ils signent le 25 mars 1957, après 2 ans d’âpres négociations. Celui-ci prévoit notamment l’établissement d’un marché commun entre les pays membres, c’est-à-dire une union douanière pour les marchandises dans cet espace. Cette entente prévoit également l’élimination progressive des barrières tarifaires et non tarifaires pour les services, les capitaux et les personnes, ainsi qu’une coordination des politiques commerciales accrue à long terme. A cet égard, une union douanière est établie en 1968 et définit un tarif extérieur commun (TEC) pour les échanges avec l’extérieur de la zone, en dépit des protestations britanniques et étatsuniennes.

Les vingt années qui suivent cette étape sont surtout définies par l’élargissement de l’espace commun européen, plutôt qu’un approfondissement quelconque du projet. Ainsi, le Royaume-Uni, l’Irlande et le Danemark rejoignent la Communauté en 1973, tandis que la Grèce et les deux pays de la péninsule ibérique l’intègrent respectivement en 1981 et en 1986, après leur démocratisation. Cette expansion au nord et au sud de l’Europe, en particulier de la Grande-Bretagne, assoit un peu plus la légitimité du projet économique comme politique de la CEE sur la scène internationale.

Le projet européen prend véritablement un tournant à partir de la deuxième moitié des années 1980 quand l’Acte Unique de 1986 entérine l’instauration d’un marché unique dans lequel la liberté de circulation des capitaux, des marchandises et des personnes est garantie, décision concrétisée en 1995 par l’espace dit « Schengen ». La construction européenne atteint alors un stade inédit dans l’histoire en matière de libre-échange.

Non content d’avoir achevé l’intégration complète des marchés européens membres, le couple franco-allemand s’entend, au tournant des années 1990, pour parvenir à une harmonisation monétaire et budgétaire dans la CEE, qui devra pour ce faire se doter d’une véritable structure politico-juridique. Après moult négociations et referendums indécis, le traité de Maastricht établit l’adoption d’une monnaie unique par la majorité de l’Europe des Douze d’alors, renommée pour l’occasion Union européenne (UE), ainsi que des mécanismes de convergence des politiques monétaires et budgétaires qui demeurent encore aujourd’hui, tels que les 60% d’endettement ou les 3% de déficit vis-à-vis du Produit Intérieur Brut (PIB). L’euro est finalement lancé de manière scripturale le 1er janvier 1999, simultanément à la Banque Centrale Européenne (BCE), puis le 1er janvier 2002 sous forme d’espèces.

Outre les très importants élargissements des années 2000 à l’Est, peu de changements systémiques ont depuis eu lieu dans le fonctionnement du marché unique ou dans les modalités fondamentales de coordination budgétaires et monétaires, nonobstant la quantité croissante de normes émises par les diverses instances bruxelloises.

Toutefois, le rapport Draghi, du nom de l’ancien directeur de la BCE et ex-président du Conseil italien, a récemment réévoqué l’idée imaginée en 2014 par Jean-Claude Juncker d’union des marchés de capitaux. En effet, si ceux-ci jouissent de la liberté de déplacement sur l’ensemble de l’espace économique européen, de nombreux dirigeants et économistes font le constat d’un manque de sources de financement pour les entreprises du Vieux Continent résultant d’une circulation imparfaite de ces mêmes capitaux dans l’Union. De même, beaucoup insistent sur la nécessité de mobiliser de très importantes ressources pour le financement des grands enjeux qui concernent l’Europe en tant que puissance économique et géopolitique, parmi lesquels la transition écologique et industrielle ou la défense.

Si l’UMC reste un projet ambitieux sur le plan technocratique, tant il exige l’établissement d’une superstructure capable de superviser ce nouveau grand marché, elle demeure actuellement la nouvelle, et peut-être l’ultime étape de la singulière intégration de la plupart des pays européens dans ce grand projet de libre-échange qui représente un modèle du genre à l’échelle planétaire.

 

Lire plus : Critiques et contestations de la mondialisation

 

Les autres zones de libre-échange majeures dans le monde

L’ASEAN, ou l’émergence sud-est asiatique

De toute évidence, l’Union européenne actuelle représente à ce jour l’exemple de cadre de libre-échange le plus approfondi. Néanmoins, il convient de noter que les accords et organisations de libre-échange se sont multipliées ces dernières décennies.

Pour s’en convaincre, il suffit de se tourner vers le Pacifique et l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est, plus connue sous l’acronyme ASEAN. Fondée en 1967 à Bangkok sous le nom d’Association of Southeast Asia (ASA) et basée à Jakarta en Indonésie, l’organisation regroupe, comme son nom l’indique,10 pays d’Asie du Sud-Est, parmi lesquels l’Indonésie, Singapour, la Thaïlande, et plus récemment le Vietnam ou encore le Cambodge. De son but premier qui était alors de contrer l’influence communiste grandissante à la suite des épisodes chinois, coréen ou vietnamien, l’association s’est muée en véritable structure de coopération économique et commerciale, par la coordination de ses pays membres dans les négociations commerciales, en dépit de grands désaccords sur certains aspects de politique étrangère, à l’instar de l’invasion du Cambodge de Pol Pot par le Vietnam en 1978. A partir des années 1980, les pays de l’ASEAN bénéficient d’un fort dynamisme économique lui-même porté par le décollage japonais, qui y installe des usines pour réduire ses coûts, suivi par un grand nombre d’entreprises occidentales. Par conséquent, le bloc sud-est asiatique devient un acteur indispensable du commerce et des relations internationales dans un contexte de mondialisation accrue.
Toutefois, l’ASEAN ne devient une zone de libre-échange qu’à l’aube des années 1990 quand est signé en 1992 à Singapour l’ASEAN Free Trade Area (AFTA), accord qui n’entrera en vigueur qu’en 2003, du fait de la crise asiatique de 1997. Si l’ampleur de cette dernière a été l’occasion de mettre en cause cette dynamique d’intégration régionale, elle a davantage été vue au contraire comme une occasion de renforcer les liens et la coordination des politiques économiques et monétaires des Etats membres, d’où, entre autres, la multiplication des sommets de l’ASEAN depuis le début du siècle.

Depuis 1997, l’organisation a également cherché à se rapprocher des trois principales économies est-asiatiques, à savoir le Japon, la Chine et la Corée du Sud, afin de développer avec elles des rapports privilégiés en matière économique et commerciale, l’objectif étant notamment de bénéficier d’un meilleur rapport de force face aux occidentaux dans les négociations de l’OMC. Ce rapprochement, surnommé ASEAN+3, est la raison pour laquelle les pays de l’alliance réalisent désormais plus de la moitié de leurs échanges avec ces trois marchés.

Aujourd’hui, l’ASEAN représente un marché de 650 millions d’habitants, réalisant un PIB cumulé s’approchant des 3 900 milliards de dollars (4% de la richesse mondiale), signe d’une véritable réussite en termes d’intégration économique dans cette région du monde. Cela n’est d’ailleurs pas près de s’arrêter, en témoigne la signature du partenariat économique régional global (RCEP), incluant l’Australie, la Chine, la Corée du Sud, le Japon et la Nouvelle-Zélande à l’occasion du 37e sommet de l’ASEAN, en novembre 2020.

 

La longue et tortueuse histoire du libre-échange en Amérique du Nord (ALECA, ALENA, ACEUM)

La question d’un accord de libre-échange en Amérique du Nord a très longtemps semblé être un projet irréaliste pour plusieurs raisons, tant historiques qu’idéologiques, mais aussi géographiques.

De toute évidence, l’indépendance des Etats-Unis, acquise de haute lutte face aux britanniques, n’a d’abord pas aidé à réchauffer les relations entre les Américains et leurs voisins du nord de la frontière, encore dépendants de la Couronne britannique comme une colonie appelée à cette époque Amérique du Nord britannique. Ainsi, du fait de la doctrine Monroe, le gouvernement fédéral étatsunien adopta très tôt une posture isolationniste vis-à-vis du reste du monde. De plus, étant donné le fait que le gouvernement américain n’a pas été autorisé à collecter d’impôt sur le revenu avant le début du XXème siècle, les tarifs douaniers étaient sa principale source de revenu. En 1866, le Congrès américain invalida le “Traité de réciprocité” conclu 12 ans plus tôt et garantissant un dynamisme des échanges entre les deux jeunes pays. En effet, les Etats-Unis, affaiblis au bout d’une guerre de sécession qui aura mobilisé – et détruit – une partie conséquente de la production agricole et industrielle du pays, se trouvent en position défavorable respectivement à leurs voisins, d’autant que ces derniers, méfiants vis-à-vis de leur montée en puissance et craignant qu’une annexion ne finisse par advenir, avaient imposé une taxe aux frontières dite Cayley-Galt de 10 à 20% en 1858. Les deux pays continuèrent une politique de méfiance mutuelle, qui culmina lors de l’application de la “Politique Nationale” du Premier ministre canadien conservateur John Alexander MacDonald, qui consistait en l’application de tarifs douaniers systématiques de l’ordre de 20 à 35% sur les produits manufacturés pour favoriser le développement industriel canadien.

En fin de compte, si entre les années 1930 et 1980, des accords de baisse mutuelle des taxes à la frontière canado-américaine furent signés périodiquement, la question d’un accord formel de libre-échange suscitait encore des craintes et une opposition farouche d’une partie des échiquiers politiques respectifs et de certains secteurs économiques se sentant particulièrement vulnérables à une ouverture commerciale, à l’instar de l’agriculture.

Ce n’est finalement qu’en 1988 que le Premier ministre Brian Mulroney, et le président américain Ronald Reagan, s’entendirent pour signer l’Accord de Libre Echange canado-américain (ALÉCA), qui élimina intégralement les tarifs douaniers à la frontière entre les deux pays, bien que la signature de l’accord fît l’objet d’un débat vigoureux à Ottawa, si bien que Mulroney convoqua des élections la même année que l’on surnommera avec le recul “l’élection du libre-échange” (“The free trade election” dans le texte) et qu’il remporta. Si les mesures prises sont relativement mineures du fait de la dynamique globale de suppression des taxes à l’importation en Amérique du Nord, la ratification de l’ALÉCA mit fin à une succession d’épisodes de tension réciproques autour de la question des échanges commerciaux.

Toutefois, cet accord fut rapidement supplanté en 1993 par l’Accord de libre-échange nord-américain, l’ALENA (connu sous le nom de NAFTA en anglais, North American Free Trade Agreement), qui, pour la première fois, incluait le Mexique. En effet, Mexico était fort mécontent de ne pas être inclus dans un accord nord-américain alors même que le pays a fait son entrée dans le GATT, l’ancêtre de l’OMC, dans les années 1980 en même temps qu’il libéralisait son économie. Ainsi, le nouvel accord tripartite entre en application le 1er janvier 1994, ouvrant la libre circulation aux services et donnant aux investisseurs des trois pays les mêmes droits dans chacun des autres pays. Avec le recul, si des protections sociales et environnementales avaient été incluses dans le traité, et si ce cadre a objectivement intensifié les échanges en Amérique du Nord et dynamisé le sous-continent, l’accord est pointé du doigt par certaines associations, notamment altermondialistes, ainsi que certains secteurs économiques de la frontière sud à celle du nord pour avoir décimé certains pans de leurs économies respectives, à l’instar de l’industrie manufacturière étatsunienne, externalisée en partie dans les Maquiladoras le long de la frontière américano-mexicaine, ou de l’agriculture mexicaine, trop faible pour lutter contre l’agro-industrie au nord. Durant les années 1990 puis à nouveau à la suite de la crise financière de 2008, l’idée de voir à terme les trois pays partager une monnaie commune à terme, sur le modèle de l’euro, a été soulevée par des observateurs comme un prolongement du rapprochement commercial, mais elle n’a jamais été officiellement évoquée par aucun des gouvernements.

A la suite de la première élection de Donald Trump en 2017, que ce dernier avait en partie basé sur sa critique du Mexique, un nouvel accord remplaçant l’ALENA est trouvé : l’Accord-Canada-Etats-Unis-Mexique (ACEUM, en anglais United States-Mexico-Canada Agreement, USMCA), qui mentionne pour la première fois le secteur technologique, augmente les exigences en matière de production sur le sol nord-américain ou en matière de salaire, ce qui avantage la production étatsunienne aux dépends du voisin hispanophone, le but du 45ème président américain étant de réduire son déficit extérieur.

Aujourd’hui, l’ACEUM représente un marché de 500 millions de personnes et un PIB de près de 31 000 milliards de dollars, soit près d’un tiers de la richesse mondiale.

 

Le Mercosur, moteur de l’émergence sud-américaine

Sujet d’intenses controverses, le Mercosur est très présent dans l’actualité française et européenne du fait des discussions autour de l’accord évoqué depuis près de deux décennies avec l’Union européenne.

A l’origine, dès leur indépendance progressive vis-à-vis des puissances coloniales européennes, en particulier l’Espagne et le Portugal, les économies latino-américaines étaient principalement des économies tournées vers l’exportation de matières premières et de produits agricoles. Ainsi, le sous-continent, largement sous-industrialisé et manquant d’infrastructures tant entre les pays qu’en leur sein, s’est trouvé pendant une très longue période dépendant de la santé économique de l’Europe et des Etats-Unis, à l’instar de la grave crise post-1929 qui a vu des régimes autoritaires poindre au Brésil ou encore en Argentine. Pour ces raisons, le protectionnisme y est longtemps demeuré la norme et le libre commerce l’exception, en dépit de plusieurs tentatives par le passé, restées infructueuses tantôt du fait d’aléas économiques, tantôt du fait de différends politiques.

En 1985, alors que la tendance dans cette partie de l’hémisphère sud est à l’ouverture et à la libéralisation après des décennies de protectionnisme et d’étatisme généralisé, les présidents brésilien et argentin de l’époque, José Sarney et Raúl Alfonsin, signent la déclaration dite d’Iguaçu, affirmant la volonté des deux plus grosses économies sud-américaines de multiplier les rapprochements et les initiatives de coopération dans le domaine commercial de sorte à affirmer la voix du sous-continent et de réduire la vulnérabilité de leurs économies face à l’Occident.

Le Programme d’intégration et de coopération économique (PICE) bilatéral imaginé au départ se mue en projet d’union douanière à horizon 1995 auquel finissent par se joindre l’Uruguay et le Paraguay et qui se concrétise en mars 1991 avec la signature du Traité d’Asunción, qui institue officiellement le Marché commun du Sud, ou Mercosur en espagnol (Mercado Común del Sur) en décembre 1995. Zone de libre circulation des personnes, des biens et des marchandises, elle est un cadre de rapprochement des politiques économiques et commerciales des deux pays à l’instar de l’instauration de tarifs douaniers communs aux frontières de l’espace du marché.

Bien que l’Amérique du Sud continue de souffrir d’une certaine pauvreté et d’une dépendance au commerce de matières premières, en témoignent les problématiques de déforestation en Amazonie, les échanges au sein du Marché du Sud ont été démultipliés, passant de 4 milliards en 1990 à 46 milliards de dollars en 2022. De plus, l’accès à un marché de plus de 300 millions de personnes a permis aux entreprises de la région de se développer et d’être plus compétitives, ce qui, couplé à l’augmentation des IDE, a accru le développement de l’industrie et des services au sein de la zone, ainsi que la naissance de projets transnationaux tels que le Corridor Bio-océanique, projet ferroviaire incluant le Brésil, le Chili, le Paraguay et l’Argentine et visant à relier le port de Santos, au Brésil, bordant l’océan Atlantique, avec les ports d’Iquique et d’Antofagasta, au Chili, du côté de l’océan Pacifique. Il va également sans dire que l’existence d’un front uni sur la scène internationale donne plus de poids aux pays membres dans les négociations internationales, particulièrement en matière commerciale. En décembre 2023, la Bolivie est officiellement acceptée au sein du Mercosur, portant à nouveau le nombre de membres à cinq à la suite de la suspension du Venezuela de Maduro, auxquels s’ajoutent sept membres associés, parmi lesquels la Colombie, l’Equateur ou le Pérou.

Le Mercosur représente de nos jours 85% de la richesse créée en Amérique du Sud, environ 2600 milliards de dollars, l’équivalent de l’Italie, un pays du G7, chiffre amené à grandir à mesure que l’organisation multiplie les partenariats avec le reste du monde et que les économies en son sein développent le potentiel qu’elles ont longtemps échoué à atteindre.

 

Lire aussi : Le rôle crucial des diasporas dans la mondialisation et la géopolitique

 

Quel avenir pour le libre-échange et ces zones ? Quelles menaces, quelles promesses ?

 

Ces exemples de réussites relatives de ces organisations de coopération économique aux quatre coins du monde pourraient laisser penser à tort que la dynamique globale actuelle est celle d’une ouverture accrue des économies entre elles. Or, force est de constater que le tableau est de plus en plus à nuancer depuis une quinzaine d’années.

En effet, si la mondialisation a, depuis les années 1980, globalement ouvert les économies et libéralisé les échanges, certains pays tels que la Chine usent depuis ces dernières années de plus de l’arme protectionniste pour développer leur compétitivité, à des fins certes économiques mais également géopolitiques, sur fond d’idéologie. Cette stratégie, couramment appelée protectionnisme éducateur, fait des émules et semble porter ses fruits, alors que l’Europe craint de voir déferler une vague de voitures électriques ultra-compétitives dans les prochaines années sur son sol.

De même, l’irruption de Donald Trump sur la scène politique américaine et, durant son mandat, sur la scène politique internationale, a remis la question du protectionnisme sur la table en Amérique et en Occident plus généralement, avec le déclenchement de nouveaux conflits commerciaux et mesures agressives, poursuivies d’ailleurs par son successeur avec l’Inflation Reduction Act (IRA) ou le Chips Act, grands programmes de subventions destinées à réindustrialiser les Etats-Unis face à la Chine en matière de nouvelles énergies et technologies en particulier.
De retour au pouvoir, le futur 47ème président a à maintes reprises annoncer son intention d’appliquer des tarifs douaniers pour tous les produits étrangers de l’ordre de 10 à 20%, et jusqu’à 60% contre les produits chinois, ce qui remet en question l’existence même du nouveau traité ACEUM signé quelques années plus tôt.

L’Europe est de son côté tiraillée entre sa volonté de rester fidèle à sa doctrine libre-échangiste de toujours et les appels à une politique plus affirmée de compétitivité face aux géants chinois et américains, lorsqu’il s’agit d’imposer une barrière aux frontières de l’UE vis-à-vis de Pékin ou qu’il est question de signer des accords critiqués pour leur coût en matière d’environnement et d’agriculture, comme le CETA ou l’UE-Mercosur.

Ce dernier fait d’ailleurs la une des actualités au regard de l’opposition de la France à sa ratification du fait de craintes au sujet de ses éventuelles conséquences sur l’agriculture française, contre l’avis de la Commission von der Leyen et des pays d’Europe du Nord comme l’Allemagne et le Bénélux. Cette posture, bien que très largement partagée dans l’opinion et la classe politique françaises, est vivement critiquée par le reste du Vieux Continent et qualifiée par certains de rétrograde et protectionniste.

Alors que l’Italie semble s’être jointe à la France dans ce mouvement de blocage à l’application de l’accord de libre-échange, en négociation depuis une vingtaine d’années, la question est de savoir quels choix finira par faire l’Union européenne dans ce dilemme critique pour sa survie dans une économie mondiale et dans des équilibres géopolitiques en pleine mutation.

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Charles Rat