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Lazarsfeld : les déterminants du vote lors des élections

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Paul Lazarsfeld, sociologue de l’Ecole de Columbia, est connu pour ces travaux sur les effets des médias sur la société ainsi que pour sa contribution au développement de la sociologie électorale. Dans cet article, nous aborderons son célèbre ouvrage The People’s choice publié en 1944.

Dans The People’s choice, Lazarsfeld fait une enquête localisée (en travaillant sur un comté aux Etats-Unis) pour analyser le choix des électeurs. Il remet en question deux mythes : celui de la puissance des médias et celui du citoyen éclairé (qui effectuerait son choix en fonction de la pertinence de la campagne de tel ou tel candidat). Il met en avant le rôle central des relations interpersonnelles en tant que processus de contrôle social « local » et instance de légitimité endogène à la classe d’appartenance, qui s’interpose entre les individus et les pouvoirs institutionnels.

 

Des prédispositions politiques liées à la position sociale

Une personne pense politiquement comme elle est socialement : le vote n’est que la transposition de la position sociale.  Ainsi le statut socioéconomique, la religion, le lieu de résidence sont des déterminants sociaux du vote. Par exemple, Lazarsfeld montre qu’aux Etats-Unis, on a plus de chance de voter pour les Républicains quand on vit à la campagne et quand on est protestant.

En conséquence, la campagne électorale a un rôle électoral limité. Elle ne fait que renforcer des prédispositions, elle est juste incitative (inciter à aller voter) mais ne change pas les orientations des électeurs. Ces orientations s’appuient sur deux types de relations qui concourent à la production et au maintien de l’opinion « correcte ».

 

Le leadership d’opinion 

Lazarsfeld s’oppose au modèle « vertical » d’une domination généralisée des élites qui seraient le point focal où se concentrerait le pouvoir, la légitimité et l’innovation et à partir duquel, par effet de mode, toute la société serait mise en forme. Pour qu’un discours de communication atteigne un individu, il faut que ce discours ait un sens autour de lui. Considérer que les actions venant d’en haut (du gouvernement notamment) parviennent d’elles-mêmes à convaincre la population est donc une illusion selon Lazarsfeld.

Il défend l’idée d’une influence « horizontale » : il existe des structures de pouvoir internes au groupe et il définit le leadership d’opinion comme une relation de domination rapprochée et familière. En effet, certains proches (conjoints, parents, collègues ou amis) font office de conseillers écoutés, car ils se distinguent par la compétence spéciale dont ils sont crédités, par une sociabilité plus importante (notamment en ayant plus de contact avec le monde extérieur à leur cercle).

On pourrait lier la réflexion de Lazarsfeld à l’analyse du refus vaccinal aux Etats-Unis dans Comprendre la méfiance vis-à-vis des vaccins, des biais de perceptions aux controverses (2020) de Peretti-Watel et Ward. Si on attribue souvent aux réseaux sociaux la responsabilité de ce refus, les auteurs montrent que cela passe avant tout par une relation de proximité, celle entretenue entre le patient et son médecin généraliste.  C’est pourquoi selon eux, les politiques médicales devraient passer par ces médecins.

 

L’interaction

Mais la relation la plus fondamentale influençant le vote est l’interaction selon Lazarsfeld. Il s’appuie sur la théorie de la conversation comme processus de production de significations et d’actions socialement correctes, c’est-à-dire localement légitimes, permettant de contrôler les comportements politiques.

La stabilité ou le changement de l’intention de vote dépend d’abord de la nature des positions politiques des interlocuteurs. Par exemple, la probabilité sociale de rencontrer l’environnement habituel un soutien conversationnel est le principal facteur de stabilité du choix politique. De même, l’adoption d’une nouvelle préférence politique est fonction de la participation à des discussions avec les partisans de cette position.

Ainsi, la dynamique interne propre des classes sociales joue un rôle central. Entre le vote final et les « prédispositions politiques », s’intercale pour les confirmer ou les corriger la médiation efficace des échanges verbaux : « Par le processus même du dialogue, les dispositions vagues des gens se cristallisent, pas à pas, en attitudes, actes ou votes déterminés » (Lazarsfeld).  

 

Lire aussi: Les classes sociales chez Bourdieu: un enjeu de lutte scientifique et politique

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Nora Lucchesi