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Les conflits israélo-arabes (1/5) : des origines à la guerre de création

Sommaire

La création de l’Etat d’Israël a tout d’une entreprise d’ « émancipation légitime », selon le mot du diplomate François Massoulié, après la souffrance du peuple juif tout au long du XIXe siècle, qui culmine avec la Shoah. Le sionisme, mouvement de retour vers la Terre Sainte initié par Theodor Herzl, correspondant autrichien en France ayant perdu l’espoir quant à l’intégration des juifs dans les communautés nationales européennes après l’Affaire Dreyfus, est le projet d’un peuple rejeté, stigmatisé quelle que soit la nation dans laquelle il se trouve, n’en témoignent que les pogroms en Russie et en Ukraine à la fin du XIXe siècle ou l’Affaire Dreyfus qui déchire la France. Pourtant, ce sionisme est contesté dès ses débuts par une population palestinienne qui refuse l’installation d’une population juive de toutes les parties de l’Europe, population croissante au fil du XXe siècle.

Ainsi, dès ses débuts, l’installation des Israéliens en Palestine est la cause de contestations de la part des diverses populations arabes, du territoire palestinien mais aussi des pays voisins. Dès lors, le conflit qui s’engage à partir du 15 mai 1948 (le lendemain de la proclamation de l’indépendance de l’Etat israélien) et qui court durant tout le XXe siècle et au-delà est non seulement un conflit israélo-palestinien mais également un conflit israélo-arabe. Le conflit se situe entre l’Etat israélien et ses voisins arabes et c’est alors bien de « conflits » dont il faut parler, chaque Etat ayant ses propres intérêts dans cette rivalité, et ce même si celui-ci est mené par les Etats arabes sous un semblant d’unité, qui se déchire peu à peu durant le conflit.

Par conflits, il faut entendre non seulement des conflits armés, guerriers : il en est ainsi des guerres et du terrorisme qui sévissent durant tout le conflit et ce jusqu’à aujourd’hui, mais aussi les conflits juridiques et symboliques : un conflit de frontières, les frontières israélo-palestiniennes étant fréquemment contestées, un conflit autour d’une ville à l’aura mondiale : Jérusalem. Dans la pluralité de leurs formes, les conflits israélo-arabes ont donc des limites, temporelles et géographiques, floues.

Les accords d’Oslo de 1993 semblent bien marquer une étape historique dans le conflit israélo-palestinien en tant qu’elle semble être la perspective d’une paix entre les peuples palestiniens et israéliens. Pour autant, les conflits israélo-palestiniens, s’ils prennent une forme qui n’est plus la forme guerrière des années 1950, 1960 et 1970, durent jusqu’à aujourd’hui sous la forme de guérillas, de manifestations face au mur de séparation érigé par Israël entre son territoire et le territoire cisjordanien depuis 2002, d’actes terroristes en tout genre … Il faut également étudier l’ensemble des acteurs qui prennent part à ces conflits : les conflits israélo-arabes prenant en effet également souvent la couleur de la Guerre Froide, les Etats-Unis comme l’URSS étant des acteurs récurrents de ces conflits.

Cette série de cinq articles va donc s’intéresser aux conflits israélo-arabes ainsi qu’au conflit plus spécifiquement israélo-palestinien, qui a connu un nouveau regain de tensions et de violences dans l’actualité récente.

1948-1956 : de la proclamation de l’Etat d’Israël au conflit de Suez

Les conflits « israélo-arabes » précèdent la création de l’Etat d’Israël

Les origines : le sionisme déjà source de conflits face aux voisins arabes

Le sionisme politique, qui tire son nom de la colline de Sion à Jérusalem, symbole du « retour » à la Terre promise, émerge dans la seconde moitié du XIXe siècle en Europe, dans une période de fort antisémitisme. Le contexte est en effet celui d’une montée en puissance de mouvements nationalistes modernes dans l’ensemble de l’Europe de l’Est et au sein des Empires (ottoman, tsariste et austro-hongrois). Le sionisme politique prône alors la création d’un Etat juif tandis que les pogroms se multiplient et que sévissent, d’une part, les lois antijuives de l’Empire tsariste (adoptées entre 1881 et 1884) et d’autre part l’antisémitisme de l’Affaire Dreyfus.

C’est Theodor Herzl, correspondant autrichien à Paris pour le Die Neue Freie Presse durant les années 1890 qui initie le mouvement sioniste après avoir assisté à l’Affaire Dreyfus et publié en 1896 L’Etat des juifs, soutenant que les juifs, en tant que peuple, ont besoin d’un Etat face à un antisémitisme qu’il considère comme « éternel » : le sionisme s’officialise alors avec le premier Congrès sioniste à Bâle en août 1897. La question de la possibilité de cette installation des populations juives en Palestine se pose alors.

La volonté britannique, matérialisée par la « déclaration Balfour » de novembre 1917 est aux fondements de cette installation, cette déclaration étant adressée par Lord Balfour – alors secrétaire d’Etat aux Affaires Etrangères – à Lord Rothschild qui représente le comité politique de l’Organisation sioniste. Il y est déclaré que « le gouvernement de sa Majesté considère favorablement l’établissement d’un foyer en Palestine pour la race juive (…) étant entendu que les droits civils et religieux des collectivités non juives existant en Palestine seront sauvegardés ».

Il y a cependant une certaine ambivalence dans la position de Balfour et dans la position britannique en règle générale : voulant garder une certaine balance entre juifs et palestiniens dans la gestion de la Palestine, les dirigeants britanniques font accéder certains des plus farouches antisémites comme Hadj-Amin al-Husseini à des postes de première importance, celui-ci devenant Grand Mufti de Jérusalem au début des années 1920.

Le nationalisme arabe naît à peu près en même temps que le nationalisme juif. Le Proche Orient est créé de toutes pièces par les Occidentaux après la Première Guerre mondiale – même si le partage est lancé en 1916, avec la signature des accords Sykes-Picot entre la France et l’Angleterre –  et, à partir de 1918, l’Empire Ottoman est disloqué. Cela provoque alors la montée d’un islamisme politique et d’un panarabisme marqués par la volonté d’unifier le monde arabe et de résister à l’oppression des puissances occidentales ainsi qu’à l’installation des populations juives qui est également vue comme un phénomène colonial.

Les tensions s’accentuent entre populations palestiniennes et populations juives alors que l’immigration de ces dernières prend de l’importance et c’est donc dans les années 1930, lorsque l’immigration juive en Palestine prend une grande ampleur, que les premières émeutes et conflits débutent.

 

Une partition croissante entre populations israéliennes et arabes

Des émeutes entre juifs et arabes éclatent en 1920 autour du pèlerinage musulman de Nabi Musa (ou tombe de Moïse) ainsi qu’en 1929 autour du droit de passage pour aller au Kotel (ou Mur des Lamentations). En 1929, les émeutes à Jérusalem se répandent dans toute la Palestine, jusqu’à Jaffa et Hébron, et feront au total une trentaine de morts à Jérusalem et plus de 300 dans tout le pays. C’est ainsi que conflits à caractère religieux et conflits à caractère politique s’entremêlent, la partition se faisant donc double entre les populations israélienne et arabe.

C’est en 1936 que cette partition se réalise pleinement : une grande révolte arabe, qui se mue en insurrection armée, formée contre l’accroissement numérique du yishouv (communauté juive implantée en Palestine avant la création d’Israël), qui s’agrandit de plusieurs vagues d’immigration forcée par les persécutions nazies et le climat européen en général dans les années 1930, s’étend dans toute la Palestine et provoque, à Jérusalem, l’exil du maire Hussein Fakhri al-Khalidi (ce dernier ayant soutenu le mouvement), ainsi que la fin de la municipalité mixte, dernier instrument de coexistence possible.  Cette révolte débouche finalement sur une répression britannique brutale en 1939. La Commission Peel, nommée à la suite de ces évènements, constate l’impossibilité de conciliation entre les aspirations des deux peuples et établit donc un principe de partage que l’ONU va suivre en 1947.

La ville de Jérusalem est l’exemple le plus frappant de cette séparation du fait de sa partition progressive : le tissu urbain se fragmente, la mixité disparaît, ce qui s’aggrave avec la décision britannique de n’intervenir que dans la vieille ville : de plus en plus de nouveaux juifs arrivent, établissant de nouvelles installations à l’ouest le plus souvent, séparées des installations palestiniennes. La scission des compagnies de bus en deux compagnies distinctes dans la ville est l’exemple de cette séparation systématique.

La période est aussi celle de la naissance du terrorisme sioniste, qui naît d’un désaccord quant à la réponse à apporter à la violence arabe des années 1920 et 1930. La doctrine officielle est celle de la « retenue » (la Havlagah, qui explique que le recours à la violence ne peut qu’envenimer les relations entre juifs et arabes, déjà mauvaises, doctrine soutenue par Ben Gourion). Mais les partisans de la violence sont de plus en plus nombreux.

C’est ainsi qu’en 1937 naît l’Organisation militaire nationale, l’Irgoun, organisation semi-clandestine, qui prône la résistance contre les Arabes en vue de la proclamation d’un Etat juif. Et si, en 1939, il y a bien un abandon temporaire du combat sioniste du fait des débuts de la Seconde Guerre mondiale et du génocide juif, c’est durant cette même période qu’émerge un des groupes les plus radicaux : le Lehi (Combattants pour la liberté d’Israël), qui est fondé autour d’Avraham Stern.

Le Lehi tranche avec l’Irgoun : son adversaire immédiat est le Royaume-Uni, avant l’Allemagne. Le groupe est impliqué dans diverses affaires criminelles et s’attache également à frapper les acteurs de la question palestinienne : cela se matérialise notamment par l’assassinat de Walter Guiness – homme d’affaires et membres du parti conservateur britannique – que le Lehi accuse d’avoir bloqué l’immigration juive en Palestine pendant la guerre.

La guerre de mai 1948

Un conflit qui débute avant la guerre

Après la radicalisation des années 1930, les conflits ne peuvent désormais plus se résoudre à l’amiable puisqu’ils deviennent des conflits entre deux populations distinctes « juifs » et « arabes » avec tout ce que cette opposition contient d’irréductible.

En mai 1939, suite aux difficultés palestiniennes, le gouvernement britannique publie le « Livre Blanc », série de mesures qui accèdent en partie aux revendications des arabes insurgés : l’immigration juive est par exemple limitée. Mais après la guerre, l’Irgoun, avec Menahem Begin à sa tête, rompt la trêve et un rapprochement avec le Lehi s’esquisse. Les zones réservées aux fonctionnaires britanniques sont prises pour cibles, tout comme les pipe-lines, les aérodromes…

Ben Gourion – futur fondateur de l’Etat d’Israël -, d’abord sévère face à ces actions, rejoint l’Irgoun et le Lehi en octobre 1945 au sein du Mouvement de la révolte hébraïque. De nombreux attentats et actions offensives sont organisés. L’attentat contre l’hôtel King David, siège des services administratifs anglais, le 22 juillet 1946 est parmi les plus violents de l’organisation avec 91 morts et 46 blessés. De plus, l’absence d’interlocuteurs palestiniens officiels renforce le poids des Etats arabes voisins. En juillet 1946, Londres propose un nouveau plan, le plan Morrison-Grady qui instaure une division de la Palestine en provinces autonomes juives et arabes demeurant sous la tutelle britannique, mais ce plan est refusé par les deux parties.

Finalement, le gouvernement britannique se démet de son mandat le 14 février 1947. L’ONU désigne alors le 13 mai un comité, l’UNSCOP (United Nations Special Committee On Palestine), pour déterminer le futur de la Palestine. Le 29 novembre, l’ONU adopte, avec la résolution 181, le plan de partition de la Palestine proposé par l’UNSCOP, qui avait pourtant fait l’objet de vives contestations dans le camp arabe. Cette partition prévoit la création de deux Etats distincts : un Etat Juif, Israël, et un Etat Arabe, la Palestine. La ville de Jérusalem se voit donner un statut international.

Soviétiques comme Américains approuvent et promeuvent ce plan de partition : l’URSS y trouve son compte du fait de la perte d’influence anglaise dans cette région tandis que les Etats-Unis semblent vouloir utiliser l’Etat d’Israël pour conserver un poids dans cette région au caractère hautement stratégique. Le projet de l’UNSCOP prévoit 55% de la Palestine pour l’Etat d’Israël.

La ville de Jérusalem constitue l’un des enjeux majeurs de ce plan : si le plan de l’ONU prévoit une gestion internationale de la ville, c’est sans doute pour que les puissances européennes puissent conserver le contrôle sur les Lieux Saints et leurs alentours tandis que les Arabes refusent de se laisser départir de cette ville sainte dont ils assurent le contrôle depuis plus de cinq siècles.

Mais alors, les sionistes, bien que favorables au plan de partage, restent insatisfaits car l’Etat juif reste majoritairement peuplé d’Arabes de même que les Arabes ressentent le partage comme une véritable injustice et une violation du droit à l’autodétermination. Les violences éclatent alors.

En Palestine tout d’abord, des attaques sont lancées par les Arabes au lendemain du vote des Nations Unies. Les émeutes qui embrasent tout le pays déclenchent des contre-offensives de l’armée clandestine juive, la Haganah, et provoquent également des actions terroristes menées par les dissidents juifs de l’Irgoun et du groupe Stern.

Divers conflits éclatent alors, avec, du côté juif, le Palmah, fort de 3000 hommes, qui porte l’essentiel de la lutte, tandis que la Haganah, avec environ vingt mille hommes, s’engage dans une tactique défensive, en particulier contre l’Armée de libération arabe, composée essentiellement de volontaires non palestiniens. Cette armée arabe pénètre en Galilée en janvier 1948 avec 2000 hommes afin d’empêcher la mise en œuvre du plan de partage.

Israël disposait d’un avantage qualitatif indéniable : préparation psychologique à la guerre, unité de commandement et surtout expérience des combats. Les 26 000 Juifs de Palestine qui se sont portés volontaires pour servir dans l’armée britannique pendant la Seconde Guerre mondiale ont eu à ce titre un rôle fondamental.

Les atouts du Yishouv en termes d’organisation, de motivation et de formation sont importants face à des troupes arabes qui agissent sur une base strictement locale, sans stratégie d’ensemble. En outre, les Palestiniens pâtissent des rivalités incessantes entre deux grandes familles de notables, les Husseini et les Nashashibi. De plus, alors que les Juifs sont encadrés par des élites politiques et militaires, très actives, les Palestiniens sont menés par des dirigeants absentéistes. Sur les 12 membres du Haut Comité arabe, trois seulement se trouvent encore sur place à partir de juillet 1947. L’action sur le terrain se trouve très mal coordonnée. La seule faiblesse israélienne est alors le manque d’armes, mais celle-ci est corrigée dès avril 1948 avec l’arrivée de matériel russe via la Tchécoslovaquie.

Le conflit prend alors un nouveau tournant avec la création de l’Etat d’Israël en mai 1948, qui va cristalliser l’opposition entre deux populations.

Lire plus : Les conflits israélo-arabes (2/5) : de la création d’Israël à la crise de Suez

 
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Clément Fontanarava