Alors que la Birmanie sombre à grands bruits dans un nouveau régime dictatorial, près de 12 ans après la constitution de 2008 qui semblait conduire le pays vers la démocratie, la question de la survie des dictatures dans un monde censé être régi par le multilatéralisme est brûlante d’actualité.
Nous avons esquissé une définition de la dictature dans l’article précédent. Il faut maintenant voir quels régimes relèvent de la dictature.
L’Asie : entre dictatures et simulacres de démocraties.
L’Asie, et plus précisément l’Asie du Sud-Est, est une région où prolifèrent les régimes autoritaires. La Birmanie, que nous allons traiter dans le prochain article, ou encore la Thaïlande avec le putsch militaire de 2014 sont les derniers exemples en date. Mais en réalité, seuls quelques pays, principalement la Malaisie et l’Indonésie, connaissent une situation politique stable et largement démocratique.
La Corée du Nord ou l’archétype de la dictature
La Guerre de Corée, qui dure de 1950 à 1953 et qui cause plus de deux millions de morts, est close par l’armistice de Panmunjeom (en juillet 1953), celui-ci prévoyant la création d’une zone démilitarisée qui coupe au 38e parallèle nord les deux Corées.
Kim Il Sung s’impose alors en Corée du Nord entre 1948 et 1972 en tant que Premier ministre puis, de 1972 à sa mort, en 1994, comme président de la République, ceci en dirigeant tout du long le Parti du travail de Corée.
Son fils Kim Jong-il lui succède alors et dirige le pays jusqu’à sa mort en 2011, passant le pouvoir au dictateur Kim Jong-un.
Les dirigeants successifs de ce pays, appartenant à la dynastie des Kim, sont l’objet d’un intense culte de la personnalité, à la manière de Staline en son temps. Kim Il-Sung est le « Professeur de l’Humanité tout entière » et une université ainsi qu’un stade portent son nom. Un mausolée, le palais du Soleil Kumusan à Pyongyang, conserve les dépouilles embaumées des deux premiers dirigeants de la Corée du Nord tandis que les statues et les affiches louant l’image de ces dirigeants parsèment le pays.
Cette dictature se démarque également par sa politique internationale agressive, notamment à l’égard des Etats-Unis, et ce dans le cadre d’un progressif armement nucléaire du pays.
On connaît plus ou moins bien l’état des forces coréennes grâce au « livre blanc » publié en Corée du Sud tous les deux ans. Le stock de plutonium de la dictature n’aurait pas changé entre 2018 et 2020 – il stagne à environ 50 kilogrammes de plutonium de qualité militaire – et permettrait de construire environ 10 armes nucléaires.
Les missiles font également l’objet d’efforts de recherche par les Nord-Coréens, avec notamment les missiles Rodong et Musudan, menaçant respectivement la Corée du Sud et la base militaire américaine de l’île de Guam.
L’Afrique : une instabilité chronique
Les dictatures les plus longues
D’abord, la Guinée Equatoriale.
Teodoro Obiang Nguema Mbasogo est depuis 1979 le président de cette dictature pétrolière et hispanophone, soit depuis plus de 41 ans, ce qui en fait le plus ancien président en exercice au monde. C’est le 3 août 1979 qu’Obiang a fomenté un coup d’Etat contre son oncle, Francisco Macias Nguema, connu notamment pour la violence de sa dictature. Découvert dans les années 1990, le pétrole a permis d’augmenter considérablement le revenu par tête du pays, sans pour autant augmenter le bien-être de ses habitants. La moitié du budget du pays a en effet été dépensée, en 2016, dans la construction au milieu de la jungle de la ville de Djibloho tandis que l’opposition est muselée et qu’Obiang prépare la succession de son fils, Teodorin Obiang, par ailleurs condamné en 2017 à trois ans de prison et 30 millions d’euros d’amende en France dans l’affaire des « biens mal acquis ».
Ensuite, le Cameroun avec son président Paul Biya, au pouvoir depuis près de 39 ans.
Le pays, menacé de dislocation, principalement du fait du soulèvement des régions anglophones au Nord-Ouest et au Sud-Ouest du pays, voit se maintenir depuis 1982 un président adepte des répressions sanglantes, notamment lors d’une tentative de coup d’Etat en 1984, qui marque par ailleurs un tournant dans la pratique du dictateur. Corrompu à toutes les échelles, le pays est grevé par les conflits d’intérêts, les détournements de fonds – 2,8 milliards d’euros de recettes publiques auraient ainsi été détournés entre 1998 et 2004. Le pays souffre par ailleurs au Nord de nombreux attentats. John Fru Ndi, le principal opposant à Paul Biya et chef du Social Democratic Front, estime alors que « Monsieur Biya doit être amené à la Cour pénale internationale et [qu’]on doit le juger pour crimes contre l’humanité » dans une interview accordée au Monde en octobre 2017.
Le record de longévité est détenu par Mouammar Kadhafi en Libye et Omar Bongo au Gabon, tous deux ayant régné sur leur pays respectif d’une main de fer pendant 42 ans. L’Ouganda, dirigé Yoweri Musevini depuis environ 35 ans, le Tchad dirigé par Idriss Déby depuis 31 ans ou encore le Congo dirigé par Denis Sassou-Nguesso depuis 24 ans sont également en lice dans la catégorie des régimes dictatoriaux à la plus grande longévité.
La dictature la plus violente
L’Erythrée, dirigée depuis 28 ans par Issayas Afeworki, est souvent considérée comme la dictature la plus sanglante au monde, au point d’être parfois qualifiée de totalitarisme, notamment par Jean-Baptiste Jeangène Vilmer et Franck Gouéry dans leur ouvrage publié en 2015, Erythrée, un naufrage totalitaire.
Ces derniers montrent que le régime érythréen rassemble la plupart des caractéristiques du totalitarisme à l’exception du culte de la personnalité : « le parti monopolistique (il est le dernier État monopartite d’Afrique, et le plus récent du monde) ; l’idéologie officielle ; le monopole des moyens de communication ; l’ingérence de l’État dans tous les domaines de l’activité humaine ; la confusion entre le parti, le gouvernement, l’État, la nation et la société ; le sentiment d’infaillibilité du leader ; la paranoïa ; la délation ; la modification de la réalité ; le mouvement perpétuel ; le culte du secret ; le dédoublement des fonctions, etc. ».
En septembre 2001, après la guerre avec l’Ethiopie qui dure de 1998 à 2000, une « purge » provoquant l’arrestation de ministres, parlementaires et journalistes indépendants ainsi que la fermeture des médias privés accroît la dureté de la dictature d’Afeworki. Les victimes de la purge n’ont jamais été relâchées et aucune information concernant leurs conditions de détention ou leur état de santé n’a été communiquée.
Cultivant le culte du parti et de ses valeurs, la violence de la dictature s’observe notamment par le nombre d’Erythréens ayant fui leur pays entre 2003 et 2013 : environ 305 000 pour une population d’un peu plus de 3 millions d’habitants.
L’Amérique latine : le retour des dictatures ?
La Bolivie, un coup d’Etat militaire ?
Le président du Mouvement vers le socialisme et ex-syndicaliste Evo Morales prend la tête de la Bolivie en 2006. Son élection est marquée par la revendication de ses origines amérindiennes et sa volonté d’écouter les revendications culturelles et sociales des populations indigènes. Sa présidence est alors marquée, par exemple, par un recul de l’analphabétisme ou bien le recul du taux de pauvreté, qui passe de 63,9% en 2004 à 35,5% en 2017.
En 2019, le président veut se présenter pour un quatrième mandat alors que la Constitution l’interdit. Affaibli par des campagnes de discréditation depuis 2016, sa victoire aux élections d’octobre 2019 embrase le pays.
Evo Morales détient plus de 47% des voix. Une figure d’opposition appartenant à une droite raciste et évangélique se démarque, Luis Fernando Camacho, appuyé par des structures indépendantes tandis que l’Organisation des Etats américains, qui siège à Washington, dénonce certaines « irrégularités » dans l’élection. Le mot d’ordre est bientôt à la démission du président et intervient alors le chef d’état-major William Kaliman qui “recommande” la démission du président devant les médias.
Evo Morales fuit donc le pays et doit s’exiler en Argentine pour laisser la place à la sénatrice conservatrice Jeanine Añez. Néanmoins, Evo Morales retourne en Bolivie en 2020 après que la justice a annulé les poursuites contre ce dernier pour « terrorisme ». Une plainte déposée par une députée du Mouvement vers le socialisme contre celle qui avait pris la tête du pays après la démission d’Evo Morales et contre Luis Fernando Camacho a alors conduit à l’arrestation de cette dernière.
Le gouvernement est désormais présidé par Luis Arce, membre du Mouvement vers le socialisme, tandis qu’Evo Morales s’est placé en retrait du pouvoir.
Brésil : un retour progressif à la dictature ?
Le 31 août 2016, la présidente du Brésil Dilma Rousseff est destituée par 61 voix contre 20 : cette destitution est qualifiée de « coup d’Etat parlementaire ». Le motif officiel, une manipulation budgétaire appelée « pédalage budgétaire » utilisée pour dissimuler le déficit budgétaire du pays au moment de sa réélection en 2014 cache en réalité des motivations politiques plus larges alors que le Brésil connaît une récession et un taux de chômage importants.
Au moment de cette destitution, une figure se détache, celle du député et ancien capitaine de l’armée Jair Bolsonaro qui rend alors hommage et dédie son vote approuvant la destitution au colonel Carlos Alberto Brilhante Ustra, un des tortionnaires notoires de la dictature (1965-1984) à la tête de la police secrète de Sao Paulo entre 1970 et 1974, condamné par un tribunal civil à Sao Paolo, et qui a notamment torturé l’ex-présidente Rousseff.
Connu pour ses propos homophobes, racistes et sexistes, le président brésilien se démarque également sur la scène internationale par ses provocations, notamment à l’égard du président français Emmanuel Macron, avec lequel il a pu avoir de nombreux différends concernant l’environnement et la déforestation de l’Amazonie. Ainsi en janvier 2021, Bolsonaro twitte : « Arrêtez de dire des idioties, Macron, vous ne connaissez pas votre pays et vous n’arrêtez pas de donner votre opinion sur le Brésil » après les attaques d’Emmanuel Macron contre la production de soja au Brésil et la dépendance de l’Europe qui « cautionne la déforestation de l’Amazonie ».
La dernière dérive en date du président consiste dans la falsification des chiffres de la pandémie, qui a fait officiellement 36 000 morts et plus de 650 000 contaminés, mais que le président qualifie toujours de « grippe ».
De nombreux observateurs s’inquiètent alors d’un retour à une dictature que Bolsonaro loue dans ses discours.
L’Europe : un continent en proie à l’autoritarisme ?
Peut-on parler de « dictatures » en Europe ? Alors que l’état de droit – que l’on pourrait définir succinctement, avec Hans Kelsen, d’Etat dans lequel les normes juridiques sont hiérarchisées de telle sorte que sa puissance s’en trouve limitée – est inscrit dans l’article 2 du traité sur l’Union européenne, aux côtés de la liberté, de la démocratie, de la dignité humaine et du respect des droits de l’Homme et des minorités, des pays comme la Hongrie ou la Pologne prennent un tournant « illibéral ». Tout en étant élus démocratiquement, les dirigeants à la tête de ces pays privent peu à peu, à l’aide de réformes législatives et constitutionnelles, les citoyens de leurs droits les plus fondamentaux.
Le terme de « démocratures », lancé notamment par Renée Fregosi dans son ouvrage Les nouveaux autoritaires. Justiciers, censeurs et autocrates pour désigner des pays comme la Russie et la Turquie permettent de désigner ces « démocraties illibérales ». En effet, ce sont des systèmes hybrides mêlant élections et ce que l’auteur appelle « justicialisme » consistant dans la dénonciation d’élites qui bâillonnent le peuple.
La Hongrie et le Fidesz.
Premier ministre de 1998 à 2002 puis à partir de 2010, Viktor Orbán prône en 2014 un nouvel Etat « illibéral ».
Ce dernier a alors modifié la constitution pour affaiblir l’Etat de droit. Un des amendements majeurs consiste dans l’abaissement drastique et soudain de l’âge de la retraite des juges, la mesure ayant pour but de se débarrasser des juges qui s’opposent pour une majorité aux mesures d’Orban.
Dans ce pays membre de l’Union Européenne depuis 2004, la presse est totalement muselée : la presse de gauche puis un an plus tard de droite ont été obligées de fermer leurs portes. S’il n’y a pas de journalistes en prison, les journalistes dissidents ne sont pas tolérés et c’est par le rachat des journaux d’opposition ou par des procès à répétition que le dictateur parvient à faire taire l’opposition. Les seuls journaux indépendants ne doivent alors pas parler de famille d’Orban, le journalisme d’investigation est prohibé et la seule opposition tolérée est celle « nuancée et modérée ».
600 000 Hongrois, majoritairement des jeunes, ont quitté leur pays depuis le début des années 2010 face aux mesures liberticides du président.
Orban s’est par ailleurs désigné un ennemi principal, Georges Soros, milliardaire hongrois exilé aux Etats-Unis. Le président a ainsi, en 2017, chassé du pays grâce à des mesures du Parlement l’Université d’Europe centrale, fondée par le milliardaire. Il s’agit d’un des premiers cas d’université chassée d’un pays européen depuis les années 1930.
La Pologne et le mouvement Droit et justice
En Pologne, c’est Jaroslaw Kaczynski et son mouvement d’extrême droite Droit et Justice (PiS) qui dirigent le pays. Le parti ultra-conservateur est créé en 2001 par Jaroslaw Kaczynski et son frère jumeau, président de la République entre 2005 et 2010. Entre 2007 et 2015, le parti ne détient pas le pouvoir au gouvernement, avant les victoires aux présidentielles et aux législatives de 2015, amenant Andrzej Duda à la présidence et permettant à PiS de détenir la majorité absolue à la Diète. Beata Szydło, vice-présidente du parti, devient alors Première ministre.
J Kaczynski, accusé d’être l’instigateur réel des politiques gouvernementales, s’illustre par des affirmations comme : « L’ennemi, c’est l’impossibilisme légal ». En 10 mois, le gouvernement a alors :
- Mis à mal l’autonomie de la justice en faisant voter une loi permettant au Parlement de désigner les juges du Tribunal constitutionnel, pourtant déjà désignés par la majorité libérale qui dirigeait le pays avant 2015
- Accru son contrôle sur les médias polonais en faisant nommer et révoquer les directions des médias publics par le ministre du Budget
- Lancé une « politique historique » révisionniste, le gouvernement ayant par exemple eu pour projet d’emprisonner les personnes affirmant la responsabilité de la Pologne dans la Shoah, projet finalement abandonné.
Le gouvernement s’illustre également par sa politique anti-avortement, avec notamment la mise en application d’un arrêt du Tribunal Constitutionnel en janvier 2021 qui interdit presque entièrement l’avortement alors que, selon certaines ONG et organisations féministes, près de 200 000 avortements sont opérés clandestinement chaque année dans ce pays.
La Biélorussie : la dernière dictature d’Europe
Une autre dictature est celle de la Biélorussie, pays dirigé par Alexandre Loukachenko depuis juillet 1994. Souvent qualifié « dernier dictateur d’Europe », celui-ci se réfère souvent à Staline et affirme exercer une surveillance constante sur les citoyens de la Biélorussie. Ancien bolchévique, il commémore l’anniversaire de Lénine et a pu, grâce à un référendum favorable en 1996, bâtir une Constitution qui l’érige comme seul détenteur des pouvoirs dans le pays. Il affirme, en 1995, dans une interview donnée à un quotidien allemand, que « l’ordre allemand a atteint son apogée sous Hitler. ».
Après la réélection de Loukachenko le 9 août 2020 avec 80% des voix, des protestations ont agité le pays, et ce jusqu’au mois de novembre, notamment dans la capitale, Minsk, où les opposants sont arrêtés par centaines. Début novembre 2020, Loukachenko demandait aux forces de l’ordre de « ne pas faire de prisonniers » et déclarait que la police tirerait à balles réelles sur les manifestants.
Une des principales figures de l’opposition, Svetlana Tikhanovskaïa, a dû fuir le pays après la victoire fallacieuse du dictateur tout en affirmant qu’elle était la véritable gagnante de l’élection.
Conclusion
Cet article ne prétend bien sûr pas à l’exhaustivité, et l’analyse de chaque pays dont l’appartenance à la catégorie des démocraties pose question aurait été fastidieuse. The Economist propose un indice de démocratie basé sur cinq grands ensembles :
- Les processus électoraux et le pluralisme
- Le fonctionnement du gouvernement
- La participation à la politique
- La culture politique démocratique
- Les libertés civiles
Le journal anglais ne dénombre alors, pour 2020, pas moins de 57 régimes autoritaires, 35 régimes hybrides (entre le régime autoritaire et la démocratie) et 52 démocraties défaillantes (dont la France du fait des mesures sanitaires), les démocraties « complètes » n’étant alors qu’au nombre de 23.
Au rang des grands absents de cet article, on pourrait alors compter la Russie, la Chine, le Venezuela, la Tchétchénie et d’autres dictatures qui s’illustrent par le caractère autoritaire de leur régime.