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Tout savoir sur Les mondes de l’art d’Howard S. Becker

Sommaire

Une des épreuves redoutées des admissibles à l’ENS Lyon est l’épreuve de Science Humaines, qui doit en principe se préparer seul. Tu seras ainsi interrogé sur un texte issu de l’un des quatre livres au programme. Dans cet article, nous te proposons de faire un point sur tout ce que tu dois savoir sur le livre “Les mondes de l’art” d’Howard S. Becker. Connaître le contexte du livre est indispensable pour cette épreuve, qui repose en partie sur l’examen de tes capacités à pouvoir situer un texte dans le champ théorique et arriver à en percevoir la portée.

 

L’ouvrage

L’ouvrage est paru en 1982 aux USA, et a été traduit en français en 1986. Il est écrit par Howard S. Becker, né en 1928 à Chicago. Ce dernier a fait des études de sociologie, avec notamment pour directeur de thèse Everett C. Hugues (sociologue du travail qui s’est intéressé aux travaux considérés non nobles, activités humbles, les « petits métiers »), et a exercé une activité musicale professionnelle reconnue, parallèlement à son activité académique. Ce dernier, dans ses autres travaux, à problématisé l’expérience du jazz et a converti ses connaissances et savoirs accumulés au sein de cet univers professionnel en leviers pour des questionnements sociologiques plus larges. Ainsi, concernant les pratiques musicales, c’est pour lui un domaine de choix pour comprendre comment des personnes s’y prennent pour faire des choses ensemble et il a été attentif dans les bars au continuum d’acteurs qui interagissent avec les artistes. Dans ce livre, il propose une sociologie de l’art au sens très général et empirique d’activité sociale.

En effet, il considère que l’art peut être réalisé dans les mêmes termes et avec les mêmes outils sociologiques que toutes les autres activités sociales. Il replace l’art dans ces mondes de production, de réception au sein de la société. Le monde de l’art est alors à comprendre dans son ouvrage comme des réseaux. 

D’Howard S. Becker, on peut également citer son travail sur la dissidence, avec un mélange de sociologie et d’expérience personnelle, notamment dans l’ouvrage de 1963 Outsiders, étude sociologique de la déviance. Il y étudie ainsi la marginalité : la délinquance, la bohême, tous les gens qui ne sont pas inclus dans une trace sociale clairement définie, ceux qui transgressent les normes établies par telle ou telle institution. Il s’oppose à l’idée de déviance comme une propriété inhérente – la déviance peut être une simple parenthèse : c’est le cas des musiciens de jazz qui sont au départ en dehors de la société et qui deviennent peu à peu par la reconnaissance des individus dans la société. La déviance est donc pour lui le produit d’interaction entre un ensemble d’acteurs. Car il y a ceux qui sont considérés comme déviants, mais il y a aussi ceux qui créent les normes, ceux qui respectent les normes. S’il n’y a pas de norme, alors il n’y a pas de déviance ! 

Le titre

Le titre est Art worlds. Le mot monde, étymologiquement c’est ce qui est beau – mundus, c’est le cosmos bien organisé des grecs. Or justement, c’est à cette organisation sociale que s’intéresse Becker. De manière générale, il s’intéresse aux structures et relations sociales qui entourent l’artiste et l’œuvre  comme en sociologie du travail, comme on étudie l’organisation du travail dans une société. Une œuvre est toujours le fruit d’un travail collectif. Il va donc travailler sur la collectivité – on ne considère pas l’œuvre de façon isolée, ni l’artiste comme déconnecté de la société.

Son travail relève ainsi de l’interactionnisme symbolique, qui est un cadre intellectuel et théorique. Selon ce courant de sociologie, les acteurs agissent en fonction des significations qu’ils attribuent au monde et aux choses, et ce sens s’élabore dans les interactions avec les autres individus et se transforme continuellement en fonction des situations rencontrées. Ainsi, les gens modèlent peu à peu leur ligne de conduite non seulement d’après leurs impulsions mais aussi d’après les réponses à leurs propres actions qu’ils attendent d’autrui : dans l’ensemble les individus agissent en tenant compte des réactions qu’ils anticipent chez les autres. Ainsi, « monde de l’art » est à comprendre comme un groupement organisé de personnes qui agissent en interdépendance.

 

Différentes approches de l’art en sociologie

On peut tout d’abord citer l’approche marxise qui met en relation le contenu des œuvres et les rapports de classe qui structurent la société  c’est la, « théorie du reflet » ou « theorie critique » d’Adorno, qui tente de déceler dans l’organisation interne de certaines œuvres musicales un contenu de vérité ou une charge critique ou subversive vis à vis des structures de domination et des mécanismes d’aliénation capitaliste, comme promesse de liberté et d’émancipation. Becker s’éloigne de cette approche avec un  propos non normatif, et une attention égale à tous les arts.

On peut également penser au travail de Raymonde Moulin sur les marchés de l’art : elle montre que la réputation des artistes plasticiens et la valeur de leurs œuvres ne se construisent qu’à travers les interventions d’un ensemble d’acteurs et d’intermédiaires tels que les artistes eux mêmes, mais aussi les acheteurs, marchands, galeristes, etc. Becker s’inspire beaucoup de cela entre la conceptualisation des activités artistiques et l’analyse du marché de la peinture comme organisation professionnelle d’un univers artistique et l’identification des différents types d’acteurs et de leurs manières d’interagir.

Il y a aussi le travail de Pierre Bourdieu qui cherche à analyser la circulation des produits intellectuels et artistiques (économie des biens symboliques) et embrasser l’ensemble des pratiques de production et de réceptions artistiques. On peut ainsi penser aux Règles de l’Art, 1992, un ouvrage issu de travaux des années 60 et 70, notamment de L’amour de l’art, les musées et leur public en 1966. C’est une fracture épistémologique avec Moulin (celle qui s’intéresse au marché de l’art, et ne s’intéresse pas au public mais surtout à l’économie de l’art). Bourdieu montre comment l’amour de l’art est fabriqué sociologiquement par les parents, l’éducation etc. On peut aussi citer La Reproduction des élites, de l’ordre sociale dans les années 70. Il écrit aussi La distinction en 1979 : c’est un ouvrage très diffusé, dans lequel il s’intéresse à beaucoup de domaines des habitudes sociales (nourriture, art)  : c’est un ouvrage sur le goût, la représentation de soi. Il travaille ainsi beaucoup sur la domination sociale : il étudie les liens heuristiques de soumission mais aussi une posture surplombante, déterministe qui ôte à l’individu sa liberté. Systématiquement, on considère que l’individu est dans l’illusion de sa liberté. 

Si on utilise un vocabulaire bourdieusien, Becker va développer une théorie des champs : c’est un domaine d’activité doté de ses propres valeurs, normes, règles relativement autonomisé et traversé par des rapports de pouvoir. Le champ culturel intéresse Bourdieu car il y est beaucoup question de pouvoir symbolique avec des dominants et de dominés : les dominants sont ceux qui ont les codes. 

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Corentin Viault