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Philonotions #1 : Croire et savoir

Sommaire

Ce premier article est le début d’une série de fiches de synthèse du livre Les repères philosophiques : comment s’orienter dans la pensée ? de Jean-Michel Muglioni qui permet une introduction à la pensée. Ces fiches clarifient certains mots utilisés dans le langage commun et permettent, dans une optique de préparation au concours, d’orienter de manière plus judicieuse sa pensée lors de la réflexion sur un sujet et plus précisément lors de l’analyse des termes. Ces fiches sont donc des condensés du livre qui apportent  les grandes idées évoquées au sein de l’ouvrage qui lui apporte plus de détails et d’explications. 

 

Croire et savoir. 

Si on s’arrête à leur définition première, ces deux mots ont le même sens : tenir pour vrai. Cependant il existe plusieurs manières de tenir pour vrai, et il s’agit alors de faire un point vocabulaire. Il existe plusieurs espèces du genre “croyance”, pourtant ce terme appartient aujourd’hui à l’espèce croire. Ainsi le genre “tenir pour vrai” se nommera par la suite “créance” et on distingue au sein de ce genre plusieurs espèces telles que croire et savoir.

La différence entre croire et savoir ne porte pas sur le contenu mais dans la manière d’accéder à ce contenu.  Ainsi, la vérité d’une croyance ne la transforme pas en savoir : énoncer un théorème de mathématiques sans le comprendre ne fait pas de nous des mathématiciens. La distinction entre croire et savoir n’est pas analogue à celle du vrai et du faux, le savoir suppose la connaissance des raisons sur lesquelles se basent le supposé savoir. Quand on établit cela, il s’agit de réévaluer quelle créance mérite ou non le titre de connaissance ou de croyance.

 

Mathématiques, Histoire et connaissances des faits. 

Les mathématiques sont un savoir puisque les mathématiciens connaissent les vérités dont elles découlent. 

Notre expérience n’est pas une connaissance purement rationnelle du même ordre que les mathématiques pour autant elle est tout de même un savoir sur lequel on peut s’accorder et éclairer notre connaissance des faits.

Enfin, l’Histoire est une science conjecturale, elle vient du grec historia qui signifie “enquête”. Il n’y a pas d’expérience possible de l’histoire, et c’est ce qui rend l’accès à un savoir historique complexe. Il s’agit de critiquer les croyances qu’ont les Hommes en s’appuyant sur des principes rationnels tel que le respect de la chronologie ou de la compatibilité des faits. En Histoire, le témoignage d’autrui est du même genre que nos expériences personnelles.

 

Illusion de savoir et préjugés.

Dans de nombreux domaines l’Homme ne sait pas mais n’a que l’illusion de savoir. Croire par l’intermédiaire d’une personne à une vérité mathématique par exemple peut avoir une utilité, un aspect pratique, cependant, ce n’est aucunement un savoir mathématique. Ainsi, de nombreux hommes se pensent plus savants que les hommes du Moyen-Âge alors qu’ils ne savent que peu de choses. Ce qui est certain c’est qu’ils croient plus : l’Homme croit savoir alors qu’en réalité il croit et répète de grandes quantités de résultats sans les comprendre.

Cependant, l’aspect pratique de cette illusion est essentiel. Chaque homme se construit d’abord sur des préjugés. En effet, croire à une vérité scientifique sans la vérifier constitue un préjugé. Il est d’ailleurs plus difficile de faire comprendre son erreur à quelqu’un qui a des préjugés plutôt qu’à quelqu’un qui analyse les faits. Dans le second cas, il suffit de montrer à l’autre son erreur d’analyse, dans le premier il s’agit de remettre la manière de pensée de la personne, ce qui revient à modifier son être. 

Dans cette continuité, croire un philosophe un philosophe n’a pas de sens comme nous l’explique ce célèbre adage latin : amicus Platonis, sed magis amicus veritatis (Je suis ami de Platon, mais plus encore de la vérité). Il s’agit donc d’examiner ladite connaissance quelque soit son origine car penser selon ses amitiés n’est pas penser et rien n’est plus difficile que de ne pas le faire.

 

Argument d’autorité, autorité du maître et confiance. 

Ainsi, l’utilisation d’argument d’autorité, sans examen préalable est l’adage d’une pensée servile, l’argument type Aristoteles dixit n’est donc pas valable. Pourtant, à la lecture d’un grand auteur, il ne s’agit pas de s’arrêter à la première objection. Il faut faire confiance à cet auteur et suivre son raisonnement pour comprendre, finalement, les raisons qui le poussent à avancer cette idée. La confiance en un auteur ou un maître à pensée ne mène donc pas à une pensée servile mais à une pensée qui apprend à se développer en s’aidant de raisonnements de grands auteurs. 

En effet, ne pas accorder cette confiance remet automatiquement l’autorité du professeur ou du maître en cause car il ne peut plus transmettre à ses élèves. Le mot maître a deux racines latines : magister qui correspond au maître qui instruit et dominus qui correspond au maître qui domine. Il faut donc se rebeller contre le maître qui domine car il ne permet pas l’accès au savoir et accorder sa confiance au maître qui instruit car il permet de développer sa pensée. 

 

Droits et devoirs ne sont pas affaires de croyance.

Kant dans son œuvre Logique écrit : “ On doit être tout à fait certain si une chose est légitime ou non, conforme ou non au devoir, permise ou interdite.” Il en est de même en morale et en droit. En effet, le juge ne peut pas appuyer sa condamnation sur de simples croyances ou alors l’institution judiciaire n’a plus aucun sens. Toute la difficulté pour l’homme est de réussir à bien distinguer ce qu’il sait et ce qui n’est que croyance. Kant prend l’exemple de l’Inquisition espagnole qui faisait brûler des hommes en faisant prévaloir sur le devoir de ne pas tuer un homme pour ses religions une croyance fondée sur une tradition qui est transmise par les Hommes et donc susceptible d’erreurs. Il distingue alors la simple croyance de la véritable foi. En s’appuyant sur le lien nécessaire entre devoir et savoir objectif (un devoir relève obligatoirement du savoir objectif), l’analyse de Kant montre que l’inquisiteur n’est qu’un superstitieux sans véritable foi.

 

Dom Juan. 

Dom Juan s’oppose à Sganarelle en ce que Sganarelle incarne la superstition. Ce dernier  a peur de tout et c’est ce qui en devient drôle. À l’inverse, Dom Juan croit en l’arithmétique :” Je crois que deux et deux sont quatre et que quatre et quatre sont huit.”  L’Église perd donc son autorité au profit de la science. Dom Juan est libertin dans ses mœurs mais aussi dans ses pensées : il ne croit rien en dehors des mathématiques. En effet, le courant des libertins supporte la pensée libre et donc le savoir.

Pour autant, peut-on tout de même dire que l’on ne sait pas s’il existe des devoirs ? (c’est ce que Dom Juan fait lorsqu’il énonce  sa seule croyance en l’arithmétique). La réponse se trouve dans l’ouvrage : le personnage principal illustre la destinée qui nous attend si nous ne supposons connaître que l’arithmétique. 

Nous avons donc des devoirs en tant qu’homme, il ne reste plus qu’à l’homme, lui-même, de les trouver car, ici la philosophie ne l’aidera pas. Il doit trouver en lui-même ce qu’il sait devoir faire. 

 

La foi et la confiance.

La foi est de l’ordre de la croyance et non du savoir mais ce n’est pas pour autant qu’elle est une croyance naïve : les fondements de cette foi sont examinés et la foi est choisie par le croyant

Dans le cadre de l’éducation, un professeur qui a foi en la réussite d’un élève lui accorde sa confiance : la capacité de l’élève est reconnue avant même qu’elle se manifeste. Sans cette foi, qui ne demande donc aucune preuve préalable, il n’y a pas d’éducation ni d’enseignement possible. En effet, quel est l’intérêt de l’enseignement si le professeur est convaincu que l’élève ne pourra pas comprendre ce qu’il lui enseigne ? La foi est donc une croyance et doit s’opposer au fait. Cette conviction subjective, qui n’est pas un savoir, doit être pour celui ou celle qu’elle anime aussi solide que le savoir. 

Ainsi, le professeur qui abandonne au premier échec de l’élève ne suit pas une bonne pédagogie. Il doit renouveler sa foi en lui chaque jour malgré les faits. Sinon, l’élève qui se sentira incompétent dans les yeux de son professeur risque de reproduire l’échec qu’il voit dans les yeux de son professeur. Muglioni montre que l’expérience valide cette pensée : “ on trouve ce genre de mépris dans la manière dont la télévision croit devoir divertir parce que la culture serait ennuyeuse.” Et cela n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. 

 

Amour et foi. 

Il n’y a pas d’amour sans confiance en l’autre. Sans confiance, la personne jalouse attend alors des preuves de l’amour de l’autre de la même manière que pour un théorème mathématique.

La fidélité, du latin fides qui veut dire foi, est la même chose que la foi. C’est la certitude que je voulais, je veux et je voudrais toujours la même chose et cela ne relève pas d’un certain savoir mais de ma propre volonté. Il ne s’agit pas de savoir mais d’être fidèle à la décision prise même si les circonstances ont changé. Ainsi, l’amour ne relève pas seulement de la passion mais aussi du sentiment : il n’est pas seulement subi mais voulu. 

 

La foi religieuse, superstition et foi.

Cette foi permet la confiance de l’Homme en la bonté de Dieux malgré les épreuves qu’il peut traverser. Cette foi religieuse est le contraire de la superstition mais ne semble pas être un savoir. 

Dès que la religion se donne pour savoir, elle vogue vers des dérives qui la plongent dans la superstition (croyances en des événements qui n’ont pas eu lieu selon les lois de la nature) et le cléricalisme  qui est soumission à l’autorité des prétendus savants. Ces dérives nous mènent à l’absence de réflexion propre. 

Pour autant, la religion peut avoir un lien avec la superstition. La croyance peut se comprendre comme la croyance en un Dieu bon, qui a créé un monde où notre volonté d’être honnête n’altère pas avec son cours. Mais plus radicalement, le Dieu spectateur de sa création peut devenir un Dieu acteur qui agit sur le monde pour que ce dernier s’adapte au désir de ses fidèles. La superstition se fonde donc sur l’espoir de voir nos désirs satisfaits. Ce tournant vers la superstition permet de justifier de nombreux crimes, comme l’évoque Lucrèce dans De la nature “Tant la religion a pu conseiller de crimes”. Ce dernier soutient d’ailleurs un matérialisme qui nie toute superstition. L’homme vit dans un monde composé de groupements d’atomes, dès lors, s’inquiéter de la mort ou de questions occultes n’a plus aucun sens. Cette pensée prône l’acceptation du monde tel qu’il est et une sagesse dans son rapport au monde

Ici encore l’esprit critique de l’homme est mis à rude épreuve. Si l’homme accepte le monde tel qu’il est, il doit maintenant savoir comment se comporter dans celui-ci. D’autant plus, il doit savoir les raisons qui le poussent à se comporter d’une telle manière. Platon dans Eutyphron pose cette question : “Faut-il être pieux parce que le dieux le veulent ou au contraire est ce que parce que la piété par sa nature est un devoir que les dieux veulent que nous soyons pieux ?” Un homme n’a alors plus besoin de s’en remettre à une autorité supérieure pour le guider car il est capable ou non de déterminer le caractère moral ou non d’une action. 

Cependant, pensant que l’homme n’était capable de réfréner ses plus bas instincts, certains dirigeants crurent bon de les rendre craintifs de la religion et d’user de cet argument pour gouverner. L’idée est que sans la crainte d’un châtiment divin, l’homme ne trouvera pas en lui la force de respecter les lois civiles et morales. Cette idée trouve son fondement dans l’argument suivant : l’homme n’est guidé que par ses passions les plus basses. 

Finalement il faut s’attacher à distinguer spiritualité et superstition. La spiritualité mêle intellectuel et morale malgré la mauvaise image qu’elle peut avoir. 

 

L’idée de foi rationnelle ou croyance de la raison. 

Il ne faut pas cependant opposer de manière trop catégorique foi et savoir : certaine doctrine pense que la foi permet d’accéder à quelque chose qui dépasse la raison mais qui ne lui est pas contraire. 

Aussi, Kant montre le côté rationnel de la foi : lorsqu’elle se fonde sur une certitude morale, elle est une croyance rationnelle ou raisonnable. En postulant (ou en le croyant car nous ne pouvons le savoir) que le devoir ne nous impose que ce qui est possible, c’est-à-dire dans l’ordre de la nature des choses, croire qu’un Dieu bon existe c’est croire en un créateur moral  : “il n’y a contradiction entre notre exigence morale et la nature des choses” (Muglioni, p27). Ainsi, selon Kant la foi n’est donc pas irrationnelle puisqu’elle postule que ce que la raison exige est possible

Lors de l’usage du verbe croire, il s’agit alors de différencier ce qui relève de l’opinion ou de l’espoir et ce qui relève de la véritable croyance, de la foi. 

 

L’ignorance socratique. 

“Je sais que je ne sais pas.” Cet énoncé permet à la pensée de se libérer de nombreuses croyances et de chercher enfin à savoir. L’aveu de cette ignorance s’oppose au savoir : on ne peut être savant et ignorant sur un sujet. Cependant elle ne s’oppose pas à la croyance car on peut croire savoir et donc ignorer.

Par cette phrase, Socrate cherche à savoir ce que nous savons vraiment. Si nous comprenons entièrement un théorème mathématique, il s’agit de comprendre les axiums  qui les précèdent et ainsi de suite. Cette pensée qui donne plus tard naissance au scepticisme est liée à une exigence de précision et une recherche de la vérité. Il ne faut cependant pas tomber dans l’excès du “scepticisme mou de ceux qui ne croient en rien par indifférence pour la vérité” (Muglioni p.31). 

La philosophie s’interroge, elle, s’interroge sur ce qui fait que le savoir est un savoir et c’est là qu’elle démontre toute son exigence. C’est ce qui se cache derrière “connais-toi toi-même !” : il ne s’agit pas de se connaître psychologiquement mais de connaître les raisons qui nous poussent à penser d’une certaine manière. 

 

Bravo ! Tu es arrivé à la fin de cette première fiche. On espère que le contenu t’as plu et qu’il te sera utile. Le but de cette fiche est de te faire gagner du temps mais si tu ne comprends pas certaines idées importantes n’hésite pas à te référer au livre qui explique plus en détail ce que l’on a résumé ici.

 

(Pour compléter, tu peux lire les pages 191-194 de Les petites garçons naissent aussi des étoiles, de Emmanuel B. Dongala qui évoquent croyance, religion et savoir.)

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Kosma Haratsaris