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Investir à long-terme : une urgence à court-terme ?

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8 juillet 2022.  Meeting électoral à Nara au Japon. Shinzo Abe ancien premier ministre du Japon est tué pour ses idées. Parler de Shinzo Abe en économie, c’est parler des 3 flèches Abenomics : relance monétaire, relance budgétaire et politiques structurelles. Voilà le débat qui soulève les gouvernements du monde depuis des décennies. Arbitrer entre politiques conjoncturelles et structurelles, c’est arbitrer entre le court-terme et le long-terme.

Ces deux temporalités en économie sont indispensables et sont d’une importance capitale. Depuis les classiques, l’histoire économique débat entre les enjeux de court-terme et de long-terme. Aujourd’hui, des nouveaux enjeux à perspective de long-terme viennent s’ajouter aux exigences de court-terme de résorber la crise énergétique, inflationniste et sanitaire.

Alors doit-on encore opposer court-terme et long-terme ? En fait, investir à long-terme n’est-il pas une urgence de court-terme ?

Pour répondre à ces questions, cet article traitera de la nécessité et de la pertinence d’allier ou au contraire d’opposer politiques de court-terme et politiques de long-terme.

Bonne lecture !

 

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Un arbitrage court-terme, long-terme nécessaire

Naturellement, court-terme et long-terme sont antinomiques. De facto, l’État est dans le devoir d’arbitrer entre des politiques de court-terme et de long-terme. Un arbitrage justifié par une temporalité et des cibles différentes. Mais aussi car les politiques ne répondent pas aux mêmes enjeux économiques.

 

Un arbitrage justifié par une temporalité et des cibles différentes

À court-terme, l’État utilise la politique conjoncturelle de relance, en cherchant à changer rapidement la conjoncture économique. C’est par exemple la politique monétaire de la FED en 2022 à travers une hausse considérable des taux directeurs et un policy mix de relance immédiat pour pallier à la crise sanitaire et inflationniste. Les politiques structurelles donnant des résultats trop tardifs.

En temps de crise, les politiques structurelles sont donc moins préconisées. Ses effets se font ressentir à long-terme, ce qui ne peut être l’option retenue devant une augmentation massive de l’inflation conjoncturelle par exemple. L’inflation ne permet pas d’attendre. L’essentiel est alors de relancer la machine économique, ce qui n’est possible qu’avec des politiques conjoncturelles.

Par contre, si l’État se donne une cible de long-terme, il ne pourra pas les atteindre à l’aide de politiques conjoncturelles. Par exemple, lorsque l’État souhaite améliorer le développement durable. Il lui faut mettre en place des politiques de long-terme comme l’introduction d’une taxe pigouvienne ou la mise en place de normes écologiques. L’ambition est alors de changer les comportements de façon durable et d’inciter les entreprises à investir dans un appareil productif plus « propre ». La relance de court-terme peut ici se révéler néfaste car elle entrerait en contradiction avec les objectifs de long-terme. Une relance conjoncturelle d’indicateurs comme la consommation et la production peut se révéler néfaste pour le développement durable.

Les keynésiens et les libéraux n’ont pas la même vision des salaires. Pour Keynes (Court -terme), il s’agit d’un revenu qui alimente le circuit économique en demande effective. Et pour les libéraux (long-terme), c’est un coût. Keynes veut donc une hausse des revenus pour relancer la demander global. Ainsi, Katz et Krueger (The Effect of the Minimum Wage on the Fast-Food Industry, 1992) sont à l’origine du « Paradoxe du fast-food ». Ils démontrent que la hausse du salaire minimum, en 1992, au New Jersey, a induit une hausse de l’emploi dans le secteur.

Les libéraux eux veulent flexibiliser le marché du travail pour diminuer les coûts. A ce titre, la création du statut d’auto-entrepreneur en France en 2009 a permis la flexibilisation et la croissance des emplois indépendants.

 

Des politiques différentes pour des enjeux différents.

Débat entre les keynésiens et les libéraux. Keynes pense qu’il est possible d’atteindre le plein-emploi avec un policy-mix de relance (modèle ISLM).  Les libéraux ne croient pas à l’efficacité de ces mesures. Pour les libéraux, la clé et de s’axer sur le marché par des politiques conjoncturelles et structurelles de règle. C’est le cas notamment des politiques de concurrences ou d’innovation.

Qu’il soit Keynésien lors d’une insuffisance de demande ou libéral lors d’une insuffisance d’offre, l’État doit donc arbitrer entre les deux politiques. Par exemple, un effet d’hystérèse demande une réaction de court terme (Blanchard, Summers) pour empêcher que le chômage conjoncturel se transforme en en chômage structurel. A l’inverse, le défi social de réduire les inégalités en France et dans le monde nécessite des changements de long terme, des interventions structurelles.

Face à un processus de destruction créatrice, l’État a deux choix.  Agir à court-terme en faveur des coûts sociaux mais contre la productivité. Ou laissez-faire en faveur de la productivité et de l’allocation des ressources.  Un exemple parlant et récent est celui de l’adoption de la “Flat tax” et l’abandon de l’impôt sur la fortune par le gouvernement Macron. Avec la “Flat tax”, il y a beaucoup plus de flexibilité dans la fiscalité. Les ménages peuvent choisir de se soumettre à cette taxe ou rester sur le barème progressif de l’impôt.

 

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Allier court-terme et long-terme : pertinence et débats

Paradoxalement, l’État est souvent amené à combiner long-terme et court-terme. En fait, chaque problème économique a à la fois sa solution de court-terme et de long-terme. La question n’est pas plutôt celle de l’utilité d’un tel arbitrage. A-t-on le choix de faire cet arbitrage ?

 

Chaque problématique économique a sa solution de court-terme et de long-terme

Pour Summers, la stagnation séculaire provient d’un “déficit de demande” qui se traduit par un output gap négatif. Il faut donc agir sur la croissance effective par des politiques conjoncturelles de relance budgétaires. Pour d’autres comme Gordon, la stagnation séculaire est l’expression d’un “new normal” qui provient d’un déficit d’offre. Il faut donc agir sur la croissance potentielle par des politiques structurelles.

C’est la seule solution face à la déflation des pays développés à économie de marché du fait de l’insuffisance de demande globale. Il faut donc mener des politiques de relance à court-terme pour faire augmenter cette demande. Mais ces économies présentent presque toutes des facteurs structurels qui dépriment la demande. Un fort niveau d’inégalité, un vieillissement démographique… Des réformes structurelles doivent accompagner les politiques de relance si l’État veut que la lutte contre la déflation soit durable. 

Les deux périodicités peuvent se révéler complémentaires. Les réformes structurelles sont synonymes de “sacrifices”. En effet par exemple les politiques de l’emploi sont souvent source de licenciement. De plus les effets positifs des réformes structurelles sont inégalement répartis. Il faut donc combiner politiques conjoncturelles et politiques structurelles. Les premières permettent de rendre les secondes « supportables », voire tout simplement possibles.

Lutter contre le chômage oblige à ne pas arbitrer dans certains cas. Dans les pays à chômage de masse persistant, le chômage se présente sous une double forme. Un chômage conjoncturel et chômage structurel. Ce qui naturellement sans devoir arbitrer, invite à utiliser les deux types de politiques.

 

Politiques conjoncturelles et structurelles : Le choix n’est plus à l’ordre du jour

La mondialisation a rendu cet arbitrage désuet, puisqu’elle a axé les objectifs sur la compétitivité et la concurrence, enjeux nécessitant forcément des politiques structurelles.

Un avenir tourné vers des politiques structurelles d’autant plus que la politique monétaire apparaît inefficace (réforme de la politique monétaire). Et que la politique budgétaire est difficilement envisageable à cause de l’endettement massif.

Le choix est encore moins envisageable que dans la zone euro, les États n’ont plus leurs souveraineté monétaire, ils ne peuvent pas contrôler cette politique qui revient à la BCE. Le champ de l’arbitrage est donc largement restreint. Certains pays comme l’Allemagne ont adopté des « règles d’or » budgétaires. Cela réduit considérablement les marges de manœuvre de l’État en matière de politiques conjoncturelles.

Manœuvres conjoncturelles réduites, manœuvres structurelles restreintes : finalement, l’État doit aussi aujourd’hui faire face à la contrainte environnementale. La transition énergétique restreint fortement la possibilité d’arbitrer entre court-terme et long-terme. Il ne s’agit plus de penser ou de réfléchir mais d’agir.

Conclusion

L’épilogue de cet article est que le temps est trop court pour penser à un éventuel arbitrage. Politiques conjoncturelles et politiques structurelles doivent agir de concert, même si elles répondent à des horizons temporels différents et des problématiques différentes. La mondialisation, la numérisation et la transition écologique sont à la fois des objectifs urgents de court-terme, mais surtout des enjeux primordiaux à long-terme.

 

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Martin Guerville
Je m'appelle Martin Guerville, je suis passionné d'économie et j'ai à coeur de transmettre ce savoir aux étudiants de prépa !