Une considération de la géopolitique en tant que matière neutre est par évidence une naïve erreur. Elle est, en règle générale, le résultat d’un ensemble de points de vue face à des situations précises, en relatant que ces observations sont sous une influence certaine de facteurs historiques, politiques et géographiques.
Ce court rappel me permet d’introduire l’ouvrage de Jacques Gourdault Montagne (ancien ambassadeur notamment à Tokyo, Berlin, et Pékin) paru en 2023. Tandis que le titre semble être une provocation certaine à l’Occident « les autres ne pensent pas comme nous », l’épigraphe confirme le premier sentiment évoqué. En effet, l’auteur écrit : « les continents émergents en développement observent avec stupéfaction ce conflit régional entre blancs » (faisant référence au conflit ukrainien).
Analyse profonde d’une thèse devenue centrale
La thèse de l’auteur demeure relativement simple. Ce dernier estime que nous sommes actuellement dans un véritable basculement du monde et que la guerre en Ukraine n’est qu’un simple accélérateur de cet événement. Cela s’illustre par un dérèglement des organisations multilatérales, créées par les vainqueurs, mais qui semblent dépassées par l’histoire. Alors, dans ce contexte, Jacques Gourdault Montagne prône un Occident qui cède sa vision universaliste, sa volonté d’expansion des valeurs qu’elle considère comme une véritable norme. Aucune norme ne serait universelle et les pays émergents, ayant plus de pouvoir qu’auparavant, mettent aujourd’hui en lumière une réflexion différente et un besoin d’extraire la pensée occidentale qui influence trop souvent les décisions prises au sein des grandes organisations telles que l’ONU.
Par ailleurs, la mise en avant d’un paradoxe saisissant renforce une légère attaque à un égo occidental perdurant selon l’auteur. En rappelant que l’une des valeurs fondamentales de notre héritage est le fait que la vie d’un homme équivaut à celle d’un autre, pouvons-nous réellement penser que l’Occident applique cette valeur à sa politique internationale ? Cette interrogation stipulée par l’auteur s’illustre parfaitement par un conflit trop souvent oublié dans la société actuelle.
Certes, l’Ukraine et le conflit israélo-palestinien font la une des médias, néanmoins, il s’agirait de rappeler la guerre sanglante se déroulant au Soudan. Sur les rives de la mer Rouge, cet immense pays est le théâtre d’une tragédie humanitaire en cours. Plus de 7 millions d’habitants sont des déplacés internes, un record mondial actuellement. Ce désastre est le résultat d’une guerre ayant éclaté en avril dernier, opposant deux généraux. 12 000 personnes ont été tuées depuis le déclenchement des hostilités et dans les régions impactées, 70 % du matériel de santé ne fonctionne plus selon l’OMS. Dans cette catastrophe, le Conseil de sécurité de l’ONU semble impassible, tout comme la majorité des médias qui ne semblent pas se saisir de l’affaire.
En s’appuyant sur l’œuvre au cœur de notre réflexion, nous pourrions alors nous demander si la pensée occidentale considère toujours que la vie d’un homme équivaut à celle d’un autre : le débat est ouvert et la géopolitique n’est pas toujours neutre…
Un sentiment d’injustice comme résultat
Ce sentiment d’injustice ressenti par les pays du sud global n’est sûrement pas nouveau, sans doute que ce dernier était inscrit depuis que l’influence occidentale s’est répandue dans les pays du sud sous formes diverses. Cependant, la véritable nouveauté est le fait que ces Etats osent le reprocher directement à l’Occident, en n’hésitant pas à user de la violence. L’exemple des attaques de différentes ambassades françaises en Afrique subsaharienne relève de cet acte.
Sommes-nous ainsi dans un véritable tournant ? Koshore Mabubani expliquait à sa manière que « la parenthèse de domination occidentale qui a duré 400 ans est en train de se terminer ». Cela ne veut pas dire que l’Occident n’existe plus, ni que nos valeurs ont disparu, mais qu’aujourd’hui, se distinguent des pays émergents avec une réelle volonté d’exister sur la scène internationale, ainsi qu’un souhait que les grandes organisations prennent en comptent leurs intérêts. Alors, il faut comprendre que les autres ne pensent pas comme nous ou finalement, qu’ils n’ont jamais pensé comme nous, mais que maintenant, l’heure est à refuser un fameux entre soi occidental pour reprendre les mots de Maurice Gourdault Montagne.
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Dans une telle impasse, quelles sont les potentielles solutions ?
Alors, dans une telle situation, il est nécessaire de s’interroger sur les potentielles solutions permettant d’éviter un entre soi occidental certain afin de s’opposer face aux éventuels sentiments d’injustice. A ce propos, notre ex-ambassadeur s’interroge dans son ouvrage : « comment travailler avec les autres, ceux qui ne pensent pas comme nous ? ». Empêcher un vide sécuritaire à l’aide de compromis serait alors, selon lui, la solution idéale.
Peu d’individus se souviennent des accords d’Helsinki qui fut une période marquante durant la guerre froide. En effet, il s’agit de la première conférence multilatérale en Europe mêlant les deux blocs et qui débouchait sur de nombreux accords résultant de compromis. Justement, ces types de compromis sont fondamentaux dans la recherche du vivre ensemble et cela peut être la solution adéquate. Lors de la guerre froide, les idéologies furent fondamentalement différentes et cela n’a pas empêché les deux blocs de trouver des compromis. En d’autres termes : le compromis plutôt que la conversion pourrait être la clef de voûte accompagnant les véritables mutations géopolitiques que notre société ne cesse de rencontrer.
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