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Le rapport au monde

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Réfléchir à la notion de monde implique de réfléchir au rapport entre l’Homme et le monde, et notamment à la formule “l’usage du monde” : il s’agit de réfléchir à notre manière d’être au monde, qui relève de l’arrivée de l’Homme dans un monde préétabli, dans lequel nous n’arrivons que postérieurement à celui-ci : quel pouvoir avons nous donc sur lui ? Le terme d’usage révèle plusieurs sens à interroger : il désigne le rapport au monde, mais aussi la réduction du monde à un objet connaissable par l’Homme. Et de quelle nature est cet usage du monde : est-il le même pour tous ? Et dans quel sens penser ce rapport, est il seulement un rapport de l’Homme sur le monde ? Dans cet article, nous allons tenter d’éclairer cette formule d’usage du monde.

 

Une impossible adéquation entre l’homme et le monde

Il semblerait tout d’abord qu’il y ait une incompatibilité entre l’homme et le monde, et donc d’un possible usage du monde. En effet, l’usage relève d’une nécessité, d’un besoin, on fait usage d’un objet : mais le monde lui nous résiste, il n’est pas à notre mesure, alors comment pourrait-on considérer pouvoir en faire usage? C’est notamment ce qu’exprime Nietzsche dans son Gai Savoir, dans l’aphorisme 112, “Cause et effet” : notre rapport au monde n’est qu’une simple anthroporythmie qui est plaquée sur le tempo du monde qui nous dépasse. Il écrit que nous avons tendance à réduire toute chose observée à notre échelle, ne serait-ce que dans l’explication du mouvement, explication dont nous sommes incapables car cela nécessiterait de dérouler entièrement sans ne rien omettre tandis que nous ne sommes capables de percevoir le mouvement que comme une succession ou « série de points isolés », non comme un « continuum ». Nous avons nécessairement tendance à humaniser le monde, à l’humaniser à tort puisqu’en restant convaincus que nous en avons une vision juste. Ici, le pire est que cette confusion, ce leurre nous suit jusque dans le rapport que nous avons dans celui-ci. 

Notamment, nous attachons un grand soin à nommer ce qui nous entoure, pour être capables de désigner le monde ce qui facilite l’usage que nous en faisons si nous considérons l’usage comme le fait de pratiquer le monde ou plutôt de la fréquenter et ce quotidiennement. Or, si tout change, à chaque instant, le langage lui-même compris comme adéquation généralement admise d’une idée à une réalité n’a plus aucune pertinence. Nous prétendons alors faire l’usage d’un monde qui nous file sans cesse entre les doigts, cela pose grandement problème. 

 

L’usage du monde comme expérience constitutive du sujet 

Mais sommes-nous préalablement conditionnés, déterminés dans notre rapport au monde ? Dans l’Existentialisme est un humanisme (1946) Sartre écarte l’idée selon laquelle le sujet serait pré-déterminé, préalablement formé pour être adapté à, à l’image de…  « L’existence précède l’essence ». A partir de ce moment-là, l’expérience au sens commun du monde devient véritablement nécessaire puisqu’il devient en quelque sorte l’écrin de la constitution de cette identité, et non seulement d’identité mais en quelque sorte de formation de l’homme. Si l’homme n’est rien antérieurement au monde alors force est de constater que l’homme se doit de faire l’usage du monde. Le monde est alors un appui pour la formation de son identité. A défaut de pouvoir se constituer préalablement au monde, l’homme vient au monde et s’y constitue. En cela, le rapport au monde semble nécessaire à l’acquisition de la conscience de soi, c’est-à-dire la propension à se saisir comme sujet se percevant puisque l’homme apprend à se connaître, à se reconnaître également par distinction et comparaison vis-à-vis des autres. L’homme est ainsi responsable de l’image de l’homme qu’il crée en se créant lui-même au travers de son rapport au monde. 

Néanmoins, n’y a t-il rien qui nous échappe de cette identité, ne peut-on considérer aucune altérité qui nous échapperait ? Tout n’est il que formé dans notre rapport au monde ? 

 

L’Homme n’est pas hermétique au monde 

En effet, il ne convient tout de même pas de stipuler que cette constitution du sujet, la formation d’une identité, est acosmique c’est-à-dire sans relation avec l’univers sensible, indépendamment de son insertion dans le monde ou que le sujet aurait un primat sur le monde. Mais il y a un risque : on pourrait croire que l’homme est en proie aux expériences qu’il fait du monde, que celles-ci le déterminent tellement qu’il ne peut y échapper. 

Il s’agit donc pour nous de dépasser cette confrontation entre l’homme et le monde : il faudrait penser l’absence du primat de l’un dans le rapport entre l’homme et le monde, chose qu’on retrouve notamment avec la notion d’intentionnalité chez Merleau-Ponty : il avance « une manière d’être très particulière » :  « il faut lui reconnaître une manière d’être très particulière, l’être intentionnel, qui consiste à viser toutes choses et à ne demeurer en aucune ». Autrement dit, le sujet fait l’expérience du monde mais il est un être au monde, il n’est ni objet dans le monde ni étranger au monde si bien qu’il ne peut se définir uniquement selon l’une ou l’autre de ses dimensions. En cela, l’homme est une conscience impliquée dans un monde : on ne peut nier ses attaches que Merleau-Ponty dit « corporelles et sociales ». Toutefois, il n’y est pas restreint, limité. Le monde construit l’homme puisqu’il exerce sur lui une influence indéniable : que ce soit dans le rapport aux autres, du rapport à soi vis-à-vis des autres ou parmi les autres mais, en même temps, simultanément, l’homme construit le monde. L’être au monde n’est aucunement passif puisqu’il construit le monde, lui donne forme et cohérence. Ainsi, l’intentionnalité du sujet consiste à dire que je construis le monde autant qu’il me construit. Il n’y a pas de primat de l’un sur l’autre mais une réciprocité fondamentale pour nous aider à ne pas penser le monde comme un rapport unilatéral car cela ne semble aucunement le cas dans l’expérience, au sens commun du terme, que nous faisons du monde au quotidien et en cela son usage. 

 

Conclusion

En conclusion, nous pouvons affirmer que l’homme n’a pas choisi de faire l’usage du monde et, qu’il le veuille ou non, le monde a nécessairement une influence notoire sur lui. Néanmoins, l’homme peut décider de quel usage il souhaite faire du monde en dirigeant sa conscience selon telle ou telle direction, en refusant l’enseignement qu’est susceptible de lui apporter autrui, il se braque contre l’altérité, en l’acceptant, en étant ouvert au monde il est susceptible de se, comme qui dirait, bonifier, en une certaine mesure. En outre, la question de l’usage du monde est indéniablement révélatrice de toute la difficulté que soulève notre rapport au monde alors que nous avons tendance à considérer notre place dans celui-ci comme allant de soi, parfaitement légitime et entérinée.

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Corentin Viault